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L’enregistrement n’est pas exclusif du droit d’auteur : le logiciel.

PARTIE 1 : LES PRÉROGATIVES DES PERSONNES PUBLIQUES.

A. L’enregistrement n’est pas exclusif du droit d’auteur : le logiciel.

En principe, la qualité d’œuvre de l’esprit exclut celle d’invention, ce qui a pour conséquence qu’une œuvre protégée par le droit d’auteur n’a pas de raison de faire l’objet d’un enregistrement. C’est pourtant la solution inverse qui est retenue en matière de logiciel : la coexistence du droit d’auteur et du droit des brevets sur un même logiciel est possible130. Le droit d’auteur protège le contenu du logiciel et le brevet l’invention technique qui en découle.

La prise de conscience que le logiciel était une valeur appropriable et susceptible d’être protégée est ancienne, puisque dès 1971, un groupe consultatif d'experts gouvernementaux sur la protection des programmes d'ordinateurs a été consulté pour

envisager la forme que devait revêtir la protection juridique des programmes d’ordinateurs131. La réflexion autour du Livre vert sur le brevet communautaire et le système des brevets en Europe132 place centre des préoccupations la brevetabilité des inventions mises en œuvre par ordinateur.

B. Caillaud énonce que le logiciel est une œuvre du langage en ce qu’il comprend des mots, même si ce langage s'adresse à une machine, ce qui rend l’application du droit d’auteur parfaitement naturelle133. Dans le même sens, la directive du Conseil du 14 mai

1991 concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur134 opère le

rattachement du logiciel au droit d'auteur, puisque, selon l'article 1, alinéa 1 de la Directive, un programme d'ordinateur constitue une œuvre littéraire au sens de la Convention de Berne.

En droit positif français, le logiciel est susceptible d’être protégé par deux régimes distincts à deux niveaux différents : la protection par le droit d’auteur emporte la protection du code proprement dit, ce qui signifie que toute copie du code source est prohibée. Le mécanisme de protection industrielle protège quant à lui les idées et principes qui sont sous-jacents, et qui sont matérialisés par le programme d’ordinateur. En conséquence, la protection du logiciel par le seul droit d'auteur est inadaptée : la protection de la forme, efficace contre la reproduction servile du logiciel est insuffisante pour protéger une création alors que la valeur essentielle de celle-ci réside dans sa fonction.

La jurisprudence utilise le critère de la fonctionnalité pour écarter en partie le logiciel de la protection du droit d’auteur. En effet, la Cour d'appel de Versailles dans son arrêt du 9 octobre 2003 qui énonce que « les fonctionnalités en tant que telles, et dans la mesure où elles correspondent à une idée, ne peuvent bénéficier de la protection

131 Groupe consultatif d’experts non gouvernementaux sur la protection des programmes d’ordinateurs, Le droit d’auteur,

revue de l’OMPI, 88ème année, n°9 septembre 1975.

132Document de la Commission COM (1997) 314 final du 24 juin 1997 Promouvoir l'innovation par le brevet. Livre Vert sur le brevet

communautaire et le système des brevets en Europe.

133 B. Caillaud, La propriété intellectuelle sur les logiciels, Propriété intellectuelle, La documentation française, 2003, p.113,

p 155 s.

des œuvres de l'esprit. Si elles avaient le caractère innovant nécessaire, elles pourraient recevoir une protection par le moyen du brevet.135 ».

Cette décision sera par la suite confirmée par Cour de cassation le 13 décembre 2005 qui exclut les fonctionnalités d'un logiciel de la protection par le droit d'auteur en énonçant que « les fonctionnalités d'un logiciel, définies comme la mise en œuvre de la capacité de celui-ci à effectuer une tâche précise ou à obtenir un résultat déterminé, ne bénéficient pas, en tant que telles, de la protection du droit d'auteur dès lors qu'elles ne correspondent qu'à une idée, la cour d'appel a relevé que l'expert judiciaire, s'il avait constaté une identité dans les résultats recherchés, ce qui tenait

à l'objectif même de la fonctionnalité, n'avait évoqué aucune similitude de forme

permettant de conclure à la contrefaçon et que le rapport d'expertise amiable n'était pas de nature à remettre en cause ces conclusions.136 »

A son tour, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé ce principe en déclarant que « l'article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, doit être interprété en ce sens que ni la fonctionnalité d'un programme d'ordinateur, ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d'un programme d'ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions, ne constituent une forme d'expression de ce programme et ne sont, à ce titre, protégés par le droit d'auteur au sens de cette directive.137 »

La création logicielle est donc appréhendée par la protection des brevets, tant du point de vue de l’algorithme qui procède à la désignation d’une procédure ou d’un ensemble d'opérations à effectuer pour résoudre un problème, que de l’interface graphique, qui permet la communication d’informations à un utilisateur, qui sont autant de fonctionnalités du logiciel.

L’accès à la qualité d’invention du logiciel est cependant limitée en jurisprudence : « le programme d'ordinateur utilisé en combinaison avec un calculateur universel est

135 Cour d’appel de Versailles, 12ème ch., section 2, 9 octobre 2003,

136 Civ. 1ère, 13 déc. 2005, Cuardos c/ Microsoft France, Bull civ. I n°499.

137 CJUE, 2 mai 2012, aff. C.406/10, SAS Institute Inc. c/ World Programming Ltd : D. 2012, p. 2343, obs. C. Le Stanc ; RTD

considéré comme un programme en tant que tel, et non pas comme une invention au sens de l'article 52(2) de la Convention sur le Brevet européen138 ». En droit français,

les tribunaux adoptent une posture identique notamment s'agissant d'une demande de brevet qui consistait en un système interactif, permettant de faire essayer à sa propre photographie tout article ou tout modèle présenté par des images139. La limite de la

protection par le brevet d’un logiciel apparaît donc dans ce que réalise en réalité le programme d’ordinateur : pour être considéré comme un moyen technique, il doit contribuer à l'obtention d'un effet technique et non se limiter à une interaction normale avec les autres éléments de l’ordinateur. La chambre de recours technique a ainsi précisé que les programmes d'ordinateurs pouvaient être considérés comme des inventions brevetables lorsqu'ils avaient un caractère technique140.

La coexistence des régimes protecteurs du logiciel divise la doctrine. C. Caron

s’interroge : « pourquoi tant de haine141 ? ». La commission européenne souhaite

éradiquer les exclusions implicites relatives à l’exercice de plusieurs droits de propriété intellectuelle sur les logiciels. Sa démarche est guidée par le fait que déjà cinquante mille brevets faisant l’objet de plusieurs droits de propriété intellectuelle circulent en Europe.

La réflexion que nous menons à propos du logiciel est destinée à démontrer que la dualité traditionnelle en droit de la propriété intellectuelle entre la propriété littéraire et artistique et la propriété industrielle est aujourd’hui remise en cause par l’existence de créations à la fois artistiques, originales, littéraires, et ayant une vocation industrielle.

B. L’enregistrement constitutif des droits de propriété industrielle des