• Aucun résultat trouvé

L’œuvre collective : mise en œuvre ab initio du droit d’auteur des personnes publiques.

PARTIE 1 : LES PRÉROGATIVES DES PERSONNES PUBLIQUES.

B. L’œuvre collective : mise en œuvre ab initio du droit d’auteur des personnes publiques.

L’appropriation d’une création intellectuelle par une personne publique grâce au droit d’auteur est celle d’une œuvre collective.

Une personne morale peut être titulaire des droits sur une œuvre dans trois hypothèses : par contrat, par l’effet de la loi, ou encore ab initio par la qualification d’œuvre collective. C’est cette dernière hypothèse qui retiendra ici notre attention, car elle permet l’appropriation d’une création intellectuelle grâce au droit d’auteur. L’œuvre collective renvoie à une conception du droit d’auteur évoluée au regard de la place grandissante des personnes morales dans le processus de création.

Le droit d’auteur a été conçu pour protéger l’œuvre de l’individu qui, par son activité créative, intervient dans l’univers des formes. A l’origine, donc, l’auteur est une personne physique ; c’est l’activité humaine qui génère de œuvres de l’esprit. Pourtant, il existe une exception à cette hypothèse in favorem auctoris : l’œuvre collective.

120M. Vivant, Le programme d'ordinateur au Pays des muses, observations sur la directive du 14 mai 1991, JCP éd. E 1991.I.94 : le

texte communautaire n'utilisant pas la formule française d'« apport », le rapprochement avec la notion de nouveauté, applicable en matière de brevet, est moins sensible, mais il considère néanmoins à propos de la formule de la directive qu'il y a « une continuité entre

celle-ci et celle adoptée par la Cour de cassation ».

121 CJCE 12 févr. 2009, n° C-5/08, RTD com. 2009. 312, obs. F. Pollaud-Dulian et 2009. 709

122 Civ. 1re, 13 nov. 2008, n° 06-19.021, D. 2009. 263, note B. Edelman, et 266, note E. Treppoz ; RTD com. 2009. 121 et 140, obs. F.

L’œuvre collective permet, le plus souvent à une personne morale de droit public ou privé, de bénéficier d’une titularité initiale en tant qu’instigateur de l’œuvre. Le Code de la propriété intellectuelle énonce qu’ « est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé123. » Le législateur ajoute encore « l'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée. Cette personne est investie des droits de l'auteur.124 »

La possibilité offerte aux personnes morales d’être titulaires originaires du droit d’auteur perturbe la thèse personnaliste que nous avons exposée. Comme le relève A. Bensamoun, « ainsi en est-il de la nature des choses en droit français : l'œuvre est « reliée » à son créateur. La nature ne croit ni en l'autorat de la personne morale, ni en sa titularité première. Dans ces conditions, « l'autorat de la personne morale » sonne comme un propos dissident !125 » Ce constat inspire à A. Bensamoun un questionnement sur le

caractère « contre-nature » de la titularité du droit d’auteur des personnes morales.

Tout ici est lié : la dérive du critère d’originalité vers l’apport personnel et la multiplication des formes protégeables telles que le logiciel ont conduit vers une forme nouvelle de droit d’auteur tourné vers l’entreprise. C’est cette évolution qui a conduit à accueillir la personne morale comme titulaire du droit d’auteur.

Une décision illustre cette difficulté de titularité du droit d’auteur entre la personne morale et la personne physique. La Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 14 septembre 2012 « Van Cleef & Arpels »126, conteste l’originalité des dessins d’un employé ayant permis la

réalisation de bijoux pour la grande maison de joaillerie. La question qui se pose est de déterminer si le salarié était asservi par sa mission de travail ou si son originalité pouvait s’exprimer à travers son travail. La Cour relève « qu'il (le salarié) ne justifie pas, pour

123 Art. L. 113-2 du Code de la propriété intellectuelle. 124 Art. L.113-5 du Code de la propriété intellectuelle.

125 A. Bensamoun, La personne morale en droit d’auteur : auteur contre-nature ou titulaire naturel ? D. 2013. 376. 126 CA Paris, pôle 5-ch. 2, 14 sept. 2012, Juris-Data, n° 2012-021861 ; PI 2012. 400, obs. A. Lucas.

chacun des dessins dont il revendique la paternité, qu'il disposait d'une réelle autonomie créatrice ainsi que d'une liberté dans les choix esthétiques lui permettant de conclure qu'il est le seul titulaire de droits d'auteur sur ces dessins, lesquels reflètent l'empreinte de sa seule personnalité ». Plus encore, la Cour rappelle que la création salariée dans une telle maison est réalisée en équipe, tout en respectant « les codes génétiques » de la marque. Ainsi, la création salariée n’est pas réellement libre, si bien que « chaque dessin ne constitue que la contribution particulière [du requérant] à une œuvre collective dont la finalité est toujours un modèle de bijou. »

Cette décision illustre deux points intéressants de l’œuvre collective. D’une part, la Cour énonce que les apports des contributeurs à l’œuvre collective ne sont pas en eux-mêmes des œuvres, ce qui implique que les contributeurs ne sont pas des auteurs. Cela peut sembler étrange, car le Code de la propriété intellectuelle mentionne pourtant « la contribution personnelle des divers auteurs » participant à l’élaboration de l’œuvre collective. D’autre part, la Cour confirme que les auteurs ne peuvent pas prétendre à la titularité du droit sur l’œuvre collective et précise qu’ils ne peuvent pas non plus bénéficier des droits sur leur contribution.

En conséquence, comme le relève la Cour de cassation dans un arrêt du 17 mars 1982, « une personne morale ne peut être investie à titre originaire des droits de l’auteur que dans la mesure où une œuvre collective, créée à son initiative, est divulguée sous son nom.127 » Dans une décision du 22 mars 2012, la Cour a ajouté que « la personne physique

ou morale à l'initiative d'une œuvre collective est investie des droits de l'auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral.128 » Investir une personne morale

du droit moral sur une œuvre de l’esprit constitue une rupture avec la conception personnaliste du droit d’auteur.

Le recours à la qualification d’œuvre collective a d’abord été envisagé pour l’entreprise privée, mais les personnes morales de droit public sont pleinement concernées par cette

127 Civ. 1re, 17 mars 1982, JCP G 1983. II. 20054, note R. Plaisant ; D. 1983. IR 89, obs. C. Colombet ; RTD com. 1982. 428, obs. A.

Françon.

128 Civ. 1re, 22 mars 2012, n° 11-10.132, D. 2012. 873, obs. J. Daleau. 1246, note A. Latil, et 2842, obs. P. Sirinelli ; Rev. sociétés 2012.

496, note N. Binctin ; RTD civ. 2012. 338, obs. T. Revet ; RTD com. 2012.321, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE 2012, comm. 61, note C. Caron ; PI 2012. 329, obs. J.-M. Bruguière ; Légipresse 2012. 377, note V. Varet.

forme de création. Aujourd’hui, il ne fait aucun doute que les personnes publiques peuvent être titulaires du droit d’auteur sur une œuvre collective.

Par exemple, dans une décision du 31 décembre 2003 « Mme de Charmoy c/ Ville de

Montpellier », la Cour administrative d’appel de Marseille a qualifié d’œuvre collective une plaquette informative éditée par la commune de Montpellier. Le juge reconnaît à la plaquette de caractère d’œuvre de l’esprit, et ajoute encore « considérant que la plaquette de présentation de l'exposition des œuvres de Mme de Charmoy a été créée, publiée et divulguée sous la direction et le nom de la commune de Montpellier, avec les contributions de M. de Beynes pour la rédaction du texte « Ecarts », et de la requérante pour le choix des œuvres présentées, la sélection des textes biographiques, et le maquettage ; qu'elle a donc le caractère d'une œuvre collective au sens des dispositions précitées des articles L. 113-3 et L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle. (…)129 »

Ainsi, les personnes publiques sont pleinement éligibles à la titularité du droit d’auteur sur des œuvres collectives, et le juge n’hésite pas à appliquer les dispositions du Code de la propriété intellectuelle à des œuvres dont l’auteur est une personne publique. Du point de vue de la qualification de l’œuvre collective, il n’existe donc aucune différence que l’auteur soit une personne morale de droit privé ou de droit public.

Il convient néanmoins de s’interroger sur le régime qui gouverne l’appropriation des œuvres créées dans le cadre d’une mission de travail mais qui ne répondent pas aux critères de l’œuvre collective pour vérifier que les personnes publiques sont soumises au même régime que les personnes privées.

129 J-M. Pontier, La commune, la plaquette et le droit moral de l’auteur au respect de son œuvre, AJDA 2004.718 ; CAA

Marseille, 31 décembre 2003 n°99MA01116 Mme de Charmoy c/ Ville de Montpellier, AJDA 2004. 718 ; J-J. Louis, Le droit

Sous – section 2 : L’appropriation à titre originaire des créations industrielles : l’enregistrement.

En droit, le mode naturel d'appropriation d’une création industrielle est l’usage : on évoque alors son caractère attributif. C’est le cas en Amérique du nord et en Angleterre, où l’usage est déterminant dans l’appropriation d’une création industrielle. Cette pratique est cependant délicate à encadrer, ce qui conduit le droit français, ainsi que le droit allemand et le droit de l’Union européenne à subordonner l’acquisition du droit sur les créations industrielles au respect d’un formalisme strict. L'enregistrement constitue la seule voie de droit pour approprier les créations entrant dans le champ de la propriété industrielle, à savoir principalement les signes distinctifs et les créations industrielles. A la différence de certains régimes où le dépôt a une fonction déclarative (le droit d’auteur, par exemple), l’enregistrement a depuis 2001 une fonction constitutive : il fait naître les droits de propriété industrielle. L’enregistrement n’est cependant pas limité aux seules créations industrielles dès lors qu’il est parfois requis pour des œuvres qui font déjà l’objet d’une protection par le droit d’auteur (A). Il demeure toutefois le formalisme requis pour l’appropriation des créations industrielles par toute personne, incluant les personnes publiques (B).