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La reconnaissance du droit d’auteur des personnes publiques.

PARTIE 1 : LES PRÉROGATIVES DES PERSONNES PUBLIQUES.

A. La reconnaissance du droit d’auteur des personnes publiques.

Les dispositions de la loi des 19 et 24 juillet 1793 ont été pensées pour s’appliquer à des personnes privées, car à l’époque, l’idée que les personnes publiques ont une activité de création intellectuelle n’est pas encore née. Mais force est de constater que cette activité existe. Sous le droit intermédiaire, le juge reconnaît que les personnes privées

peuvent être titulaire des droits sur des créations intellectuelles, mais à la condition que, que celles-ci soient dans ce cas considérées comme des propriétaires privés.85

Toutefois, si le juge reconnaît l’existence du droit d’auteur des personnes publiques, le législateur n’a jamais expressément reconnu que les personnes publiques pouvaient en être titulaires. L’absence d’intervention du législateur sur la question de l’attribution de droits patrimoniaux et moraux aux auteurs des œuvres nées de l’initiative des personnes publiques_ a conduit la doctrine à soutenir des thèses divergentes. Ces théories peuvent être

regroupées sous deux catégories, à savoir les théories inspirées du droit public, et celles inspirées des principes issus du droit de la propriété intellectuelle.

a) Théories administrativistes.

A. Kéréver rapporte l’existence d’une théorie des « œuvres administratives », qui considérait que des œuvres élaborées par les personnes publiques dans le cadre de leurs missions jouissaient d’un statut spécifique impliquant que « les créateurs intellectuels de telles œuvres, quels que soient leur statut et la forme de leur participation au service, ne jouiraient d'aucun des droits reconnus aux auteurs par la loi de 1957.86_ » Cette théorie

excluait donc purement et simplement l’application du droit de la propriété intellectuelle aux créations intellectuelles des personnes publiques.

Le Conseil d’État, dans un avis du 14 mars 195887, expose une seconde théorie inspirée de la distinction opérée en matière de responsabilité administrative pour identifier les œuvres « dont la création n'est pas détachable du service_88» et propose la mise en place de

critères permettant de déterminer si l’œuvre se détachait suffisamment de la fonction du créateur-fonctionnaire pour être originale, lui permettant de bénéficier de la protection du droit d’auteur. La subordination de l’auteur est alors considérée comme un obstacle à la reconnaissance de sa paternité, cette doctrine analysant le principe hiérarchique comme empêchant la personnalité du créateur de s’exprimer.

85 T. civ. Seine, 3 févr. 1875, État c/ Peigné – Delacour : S. 1875, 2, p. 148 ; solution confirmée par CA Paris, 5 mai 1877, Peigné –

Delacour c/ État : S. 1877, 2, p. 144

86 A. Kéréver, Le droit d'auteur français et l’État : RIDA oct. 1981, p. 85

87 Avis non publié, v. P. Renaudin, Situation des agents publics au regard de la propriété artistique : EDCE 1958, p. 29 88 P. Renaudin, Situation des agents publics au regard de la propriété artistique, préc.

A propos de cette théorie, A. Kéréver énonce qu’elle « est la réplique de la distinction entre faute personnelle détachable du service ou non-détachable du service. Lorsqu’une faute, personnellement commise par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions ne se détache pas du service, c’est la responsabilité du service qui est seule mise en cause, car la personnalité de l’auteur de la faute est absorbée par le service. De même, si la création de l’œuvre ne se détache pas du service, la personnalité des créateurs intellectuels, personnes physiques, s’efface devant celle du service. 89 »

L’intérêt de cette théorie est triple : d’abord, elle repose sur une distinction bien connue du droit administratif puisqu’elle est appliquée en matière de responsabilité à propos de la faute de service et de la faute personnelle.

Ensuite, elle n’enlève rien aux critères du droit d’auteur : pour être protégée, l’œuvre doit remplir les conditions d’originalité prévues par le Code de la propriété intellectuelle. A ce sujet, la Cour de cassation a précisé que « l’œuvre doit être nouvelle et se distinguer du domaine public antérieur90_ », critère auquel doit être ajouté l’empreinte de la personnalité

de l’auteur.

Enfin, cette approche est explicite sur le fait que les personnes publiques peuvent être titulaires de droits de propriété intellectuelle. Elle fait état de la double hypothèse qui gouverne la titularité des droits de propriété intellectuelle des œuvres créées dans un service : ils peuvent être attribués au fonctionnaire qui est à l’origine de la création, ou à la personne publique qui a commandé la création à son service.

b) Théories issues de la propriété intellectuelle.

La problématique qui gouverne la création intellectuelle dans les services administratifs n’est pas différente de la problématique privatiste de la création dans une entreprise privée. La création dans née de l’activité d’une entreprise privée est soumise par le Code de la propriété intellectuelle au régime de la création salariée et à celui de l’œuvre collective. C’est ici l’œuvre collective qui retiendra notre attention, les autres modalités

89 A. Kéréver, Le droit d'auteur français et l’État, préc. 90 Cass. com., 23 mars 1965, Gaz. Pal. 1965. 2, 81

d’appropriation des œuvres intellectuelles créées dans un service administratif étant traitées dans la prochaine Section.

L’article L.113-2 alinéa 3 du Code de la propriété intellectuelle définit l’œuvre collective comme suit : « est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et sous son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans un ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

H. Desbois, A. Françon et A. Kéréver91 s’inspirent de cette disposition pour affirmer que

les personnes publiques ne peuvent être titulaires de droits de propriété intellectuelle que dans les hypothèses envisagées par le Code de la propriété intellectuelle, c’est à dire par notamment d’œuvre collective, intégré au droit d’auteur par la loi de 1957.

Ce rapprochement est pertinent car il s’applique sans difficultés à la création née dans un service administratif. L’œuvre créée sur l’initiative d’une personne publique dans laquelle la contribution personnelle des agents publics qui ont participé à son élaboration n’est pas identifiable n’est pas la copropriété des agents publics coauteurs ayant simplement contribué à la création, mais celle de la personne publique qui a pris l’initiative de la création.

En matière d’œuvre collective, les personnes publiques semblent être des auteurs comme les autres, c’est à dire que dans le cadre de la détermination du régime applicable, leur nature ne les différencie pas des auteurs privés.