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L’appropriation ab initio des inventions de mission.

PARTIE 1 : LES PRÉROGATIVES DES PERSONNES PUBLIQUES.

A. L’appropriation ab initio des inventions de mission.

Les inventions de mission sont créées par les agents publics soit dans le cadre de l’exécution des tâches inventives qui correspondent à leur mission, soit dans le cadre de recherches qui leur sont confiées par la personne publique. L'invention de mission implique un contrat de travail ad hoc comportant une mission inventive permanente ou occasionnelle, tel, par exemple le contrat d’un ingénieur de recherche. Le Tribunal de grande instance de Paris a jugé le 17 février 2010 qu’un salarié dont le contrat de travail précisait uniquement que celui-ci avait été engagé comme ingénieur géologue n’empêchait pas la qualification d’invention de mission étant donné qu’au regard des fiches annuelles d'évaluation du salarié, une mission constante d'études et de

recherches lui avait été confiée189. La Cour de cassation a confirmé cette

interprétation dans une décision du 10 septembre 2013190.

Comme pour les personnes privées, c’est la personne publique dans le service de laquelle l’invention est réalisée qui est propriétaire de l’invention dès sa conception. L’absence de convention collective dans la fonction publique contraint les agents publics à se référer à une liste des fonctionnaires et agents publics ayant une activité inventive dans leurs missions statutaires annexée à l'article R. 611-14-1 du Code de la propriété intellectuelle. En raison de la multitude d’agents visés, cette liste ne peut être complète et comporte des lacunes en matière d’agents publics ayant une activité inventive. Par exemple, l’oubli des infirmiers ou kinésithérapeutes d’un centre hospitalo-universitaire démontre que la conception d’une liste exhaustive est impossible en la matière, tant le champ visé est vaste. De même, cette liste est imprécise sur la question des missions ponctuelles de recherche ou de création, qu’il est impossible de renseigner sous cette forme.

Devant la difficulté à appréhender le régime des agents publics dans ce cadre, le législateur leur applique le statut des salariés mais énonce deux dérogations : les conditions de détermination de la rémunération supplémentaire (1) et le droit

189 TGI Paris, 3e ch., 17 févr. 2010 : PIBD 2010, III, p. 334

supplétif d’exploitation de l’agent (2), qui dérogent au statut de la création salariée de droit commun.

1. La rémunération supplémentaire des agents publics pour les inventions de mission.

Avant loi du 26 novembre 1990 relative à la propriété industrielle191, le salarié qui

était à l’origine d'une invention de mission n'avait pas de droit à rémunération autre que la contrepartie de sa prestation de travail. Des systèmes dérogatoires à ce principe étaient envisageables sous forme d'octroi de prime, d'intéressement ou de gratification

forfaitaire192. Depuis la réforme de 1990, le salarié bénéficie d'une rémunération

supplémentaire, qui, pour une partie de la doctrine s’appuyant sur la terminologie « supplémentaire » s’envisage nécessairement comme une somme d’argent s’ajoutant à la rémunération habituelle. Cependant, et ainsi que le souligne le J-M. Mousseron, à défaut de convention collective applicable ou de mention spécifique dans ladite convention encadrant cette rémunération, le salarié ne peut exiger une rémunération supplémentaire pour son invention193.

Dérogeant à ces dispositions pour les agents publics, le Code de la propriété intellectuelle énonce que « la rémunération supplémentaire prévue par l'article L. 611-7 est constituée par une prime d'intéressement aux produits tirés de l'invention par la personne publique qui en est bénéficiaire et par une prime au brevet d’invention194. » Le Code de la propriété intellectuelle aménage ainsi un régime

spécifique pour les agents publics dérogatoire à celui des salariés du secteur privé. Le décret du 26 septembre 2005195 prévoit qu’une prime d’intéressement est versée annuellement à l’agent public inventeur sans tenir compte des modalités d’appropriation de l’invention. Elle continue d’être versée à l’agent public pendant

191 Loi n°90-1052 du 26 novembre 1900 relative à la propriété industrielle, NOR : INDX8900121L

192 J. Schmidt, La nouvelle loi sur la propriété industrielle : ALD 1991, p. 29. – J. Thyraud, Rapport au nom de la Commission des lois

du Sénat, n° 233, 11 avr. 1990, p. 58 ; Rapp. Déb. Sénat, p. 451

193 J.-M. Mousseron, L'évolution de la propriété industrielle, 3e journée, R. Savatier : PUF 1991, p. 157 : « le nouveau texte n'implique

pas littéralement que toutes les inventions de mission brevetables entraînent rémunération supplémentaire : il n'en sera ainsi que lorsque ladite invention entrera dans le champ des conditions fixées par les conventions collectives ».

194 Art. R 611-14-1 du Code de la propriété intellectuelle

195 Décret n°2005-1217 du 26 septembre 2005 relatif à la prime d’intéressement et à la prime au brevet d’invention

attribuées à certains fonctionnaires et agents de l’État et de ses établissements publics auteurs d’une invention et modifiant le Code de la propriété intellectuelle.

tout le temps de l’exploitation de l’invention par la personne publique, même s’il quitte ses fonctions ou part à la retraite.

La prime au brevet d’invention a un caractère forfaitaire, et son montant est fixé par un arrêté que rendent conjointement les ministres chargés du budget, de la fonction publique et de la recherche. Cette prime est versée en deux tranches, le premier versement pouvant intervenir à l’expiration du délai d’un an à compter du premier dépôt de la demande de brevet. Ce délai peut sembler irrégulier en ce que le droit à rémunération supplémentaire de l’agent est conditionné non pas à la demande d’un brevet, mais bien à la constatation d’une invention. En réalité, cette procédure de versement impose à la personne publique de déposer des demandes de brevet pour chacune des inventions de ses agents, ce qui traduit la volonté du législateur de ne pas laisser échapper de brevets publics. En effet, si la demande de brevet n’est pas concomitante à la constatation de l’invention, le délai requis pour l’ouverture du droit au premier versement n’est pas légal. Ici encore, l’incitation qui est faite aux personnes publiques de déposer des brevets systématiquement, caractérise la volonté du législateur d’encourager l’accès à la propriété immatérielle des personnes publiques.

Le second versement intervient lors de la signature d’une concession de licence d’exploitation ou d’un contrat de cession du brevet, ce qui signifie que le versement de cette seconde tranche est déclenché par l’exploitation de l’invention par la personne publique. Ce découpage en deux tranches de montants distincts (vingt pour- cent pour la première, quatre-vingt pour-cent pour la seconde), démontre encore la volonté de protection des personnes publiques par le législateur : le montant de la prime versé à l’agent-inventeur dans l’année qui suit est en réalité minime. Si exploitation commerciale il y a, et donc garantie de retour sur investissement, la personne publique verse alors une somme beaucoup plus importante correspondant à la quasi-intégralité de la prime au brevet d’invention.

2. Le droit supplétif d’exploitation des agents publics sur les inventions de mission.

La seconde différence majeure avec le droit de la création salariée en matière de rémunération des inventions de mission est le droit supplétif d’exploitation. Il opère une rupture avec l’esprit du régime commun de l’invention de mission dans lequel le salarié ne dispose d’aucun droit sur l’invention qu’il a créé, et dispose éventuellement d’une créance de salaire vis à vis de son employeur. En présence d’une invention créée par un agent ou un fonctionnaire, la personne publique peut décider de ne pas procéder à l’exploitation commerciale d’une invention créée dans le cadre du service qu’elle dirige, mais elle est contrainte déposer une demande de brevet pour chaque invention créée par l’un de ses agents.

Dans ce cas, des inventions brevetées mais écartées par la personne publique de toute exploitation commerciale peuvent se retrouver inexploitées. Préférant que l’invention soit exploitée par l’agent plutôt qu’elle ne soit pas du tout exploitée, le législateur a prévu un système permettant à l’agent-inventeur, moyennant la conclusion préalable d’une convention avec la personne publique, de bénéficier de droits patrimoniaux sur son invention. Dans sa démarche protectrice des personnes publiques, le législateur a pris soin de préciser que l’invention demeurait la propriété de la personne publique, et que par absence d’exploitation, il fallait entendre l’inexistence de toute exploitation directe ou indirecte. Cette dernière précision vise à exclure toute exploitation de l’invention qui viendrait concurrencer celle menée par la personne publique à travers des licences par exemple.

La spécificité de la personne publique fait ici obstacle à l’identité de régime avec les personnes privées, l’objectif de rentabilisation des investissements en matière de recherche exposés rendant nécessaire la création d’une voie de droit permettant une exploitation sans risque pour pérenniser l’action intellectuelle publique.