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L’appropriation a posteriori des inventions hors mission.

PARTIE 1 : LES PRÉROGATIVES DES PERSONNES PUBLIQUES.

B. L’appropriation a posteriori des inventions hors mission.

Le régime des inventions hors mission tient dans l’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle qui prévoit que « toutes les autres inventions appartiennent au salarié ». Le droit de la propriété industrielle, après avoir établi la distinction entre les inventions de mission et les inventions hors mission, opère, dans la seconde catégorie, une sous-distinction, qui permet à l'employeur d'exproprier l'inventeur d'une invention pourtant faite en dehors de toute mission.

L’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle crée un droit de préemption au profit de l’employeur sur certaines inventions hors mission, alors que ceux-ci sont à priori la propriété du salarié. Comme le relève justement J. Foyer, cela signifie qu’à chaque fois que l'invention présente un intérêt pour l'entreprise, l'employeur peut exproprier le salarié « pour cause d'utilité privée196 ».

Le recours à l’expropriation « pour cause d’utilité privée » de l’entreprise se transforme-t-il en expropriation pour cause d’utilité publique dès lors qu’il est exercé par une personne publique ? Rien ne s’oppose à cette analyse, dès lors que nous verrons dans le prochain Chapitre que l’expropriation pour cause d’utilité publique est possible en matière de brevets. Si l’expropriation est admise pour des inventions créées à l’extérieur des services de l’administration, il n’y a aucune raison qu’elle ne soit pas recevable pour les inventions des agents publics. Ce constat renforce l’idée que les personnes publiques sont soumises au droit commun de la propriété intellectuelle.

Le régime applicable aux inventions hors mission des agents publics reprend la classification issue du Code de la propriété intellectuelle entre les invention hors mission attribuables (1) et non attribuables (2).

1. Inventions hors mission attribuables

Les inventions hors mission attribuable sont définies par l'article L. 611-7, 2o du Code de la propriété intellectuelle comme les inventions faites « par un salarié soit dans le cours

de l'exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l'entreprise, soit par la connaissance ou l'utilisation de techniques ou de moyens spécifiques à l'entreprise ou de données procurées par elle ».

Ces inventions sont la propriété du salarié, mais la loi reconnaît à l’employeur une faculté de préemption qui peut être mise en œuvre dès lors que l’invention répond aux critères posés par la loi et moyennant le paiement d’un juste prix.

Cette définition légale de l’invention hors mission attribuable est parfaitement applicable aux inventions des agents publics autres que les inventions de mission, mais présentant un lien avec le service public, par exemple car elles entrent dans son domaine d’activité, ou parce qu’elles ont été réalisées par l’agent public dans l’exécution de ses fonctions ou grâce aux moyens, techniques et connaissances mis à sa disposition par l’entreprise.

La qualification d’invention hors mission attribuable est la même pour les agents publics que pour les salariés du secteur privée. Le droit de préemption prévu par le Code de la propriété intellectuelle s’applique à la personne publique dans les mêmes conditions que pour l’employeur personne privée. En effet, l’article R.611-12 du Code de la propriété intellectuelle énonce que « la personne publique employeur a le droit, dans les conditions et délais fixés par la présente sous-section, de se faire attribuer tout ou partie des droits attachés au brevet protégeant l'invention lorsque celle-ci est faite par un fonctionnaire ou agent : Soit dans le cours de l'exécution de ses fonctions ; Soit dans le domaine des activités de l'organisme public concerné ; Soit par la connaissance ou l'utilisation de techniques, de moyens spécifiques à cet organisme ou de données procurées par lui. »

Une question demeure : la revendication de la personne publique employeur s’appuie- t-elle sur le brevet ou sur l’invention elle-même ? Si l’agent public voulait faire obstacle à la revendication de la personne publique sur le brevet, il suffirait de ne pas procéder à la formalité de dépôt. A notre avis, ainsi que l’écrit J-M Mousseron197, la revendication s’appuie nécessairement sur l’invention, ce qui permet à la personne publique employeur de contrôler complètement les modalités d’exploitation de celle-

ci. En outre, J. Azéma complète cette affirmation en établissant que si le brevet est déjà déposé, la revendication porte sur celui-ci, tandis que si aucun brevet n’est déposé, l’employeur cherchera à obtenir des droits sur un brevet couvrant l’invention, ce qui a pour effet que le premier déposant jouira du brevet sur l’invention198.

Une lacune du régime des personnes publiques apparait dans la fixation du juste prix devant être versé à l’inventeur en contrepartie de la cession de ses droits. La contrepartie de l’exercice du droit de préemption est le paiement d’un juste prix à l’inventeur.

Le régime applicable aux personnes privées prévoit qu’à défaut d'accord entre les parties, ce juste prix est fixé par la Convention nationale des inventions salariées ou par le Tribunal de grande instance. L’article L.611-7 du Code de la propriété intellectuelle précise : « ceux-ci prendront en considération tous les éléments qui pourront leur être fournis, notamment par l'employeur et par le salarié, pour calculer le juste prix tant en fonction des apports initiaux de l'un et de l'autre que de l'utilité industrielle et commerciale de l’invention ».

Etrangement, les dispositions règlementaires qui régissent la matière pour les personnes publiques ne mentionnent pas la question du juste prix. Cette absence est d’autant plus étonnante que les dispositions règlementaires consacrées aux inventions des fonctionnaires et des agents publics reprennent l’intégralité du régime commun. En l’absence de précisions réglementaires sur la question, il convient de considérer que, comme pour les employeurs de droit privé, la personne publique doit s’acquitter du juste prix auprès de l’agent public, qui correspondrait, par analogie à ce qui est prévu pour les salariés, à une somme forfaitaire, une redevance proportionnelle ou une combinaison des deux199.

198 J. Azéma : Lamy commercial 1995, n° 1741 199 CNIS, Rapp. 1980-1983, p. 20

2. Inventions hors mission non attribuables

L’invention hors mission non attribuable correspond au statut qu'auront les inventions qui ne se rattachent à aucune des deux catégories précédentes200. Pour l’agent public, les inventions hors mission non attribuables correspondent à celles réalisées en dehors de toute mission confiée par la personne publique et ne présentant aucun lien avec le service public.

Le régime applicable à ces inventions est explicite : « elles appartiennent au salarié .» La loi n’aménage pas de privilège spécifique au bénéfice de l’employeur. Demeure tout de même l'obligation classique de fidélité du salarié qui peut le conduire à proposer son invention à son employeur préférentiellement à tout autre partenaire, ce qui donnera lieu à une négociation en dehors de la relation de travail subordonnée.201

L’agent public est ainsi le seul titulaire des droits relatifs à son invention et dispose du droit d’en faire l’utilisation qu’il souhaite. L’agent public peut choisir de la conserver sous forme de secret, de la publier, de la protéger en déposant une demande de brevet en France ou à l'étranger.

Deux voies de droit s’offrent cependant à la personne publique employeur qui souhaiterait s’approprier l’invention : d’une part, elle peut mettre en œuvre une procédure contentieuse visant à démontrer que l'invention relève en réalité d'une autre catégorie que celle des inventions hors mission non attribuables. D’autre part, elle peut exercer ses prérogatives exorbitantes du droit commun pour exproprier l’agent public de son invention si la satisfaction de l’intérêt général le commande.

200CA Lyon, 4 nov. 1981, PIBD 1982.294. III. 17, Dossiers Brevets 1982. I. 3 201Rappr. TGI Paris, 16 sept. 1986, PIBD 1987.404. III. 24, Dossiers Brevets 1987. I. 4

Conclusion du Chapitre

L’observation des procédés d’acquisition des créations intellectuelles issus du Code de la propriété intellectuelle montre que les personnes publiques sont soumises au régime commun de la propriété intellectuelle dans une très large mesure. Toutes les voies d’accès à la propriété intellectuelle leur sont ouvertes dans des conditions identiques à celles requises pour les personnes morales de droit privé.

D’une part, il existe une identité de régime entre les personnes publiques et les personnes morales de droit privé pour l’acquisition des créations intellectuelles ab initio à travers la qualification d’œuvre collective pour l’application du droit d’auteur et le recours à l’enregistrement pour les créations industrielles.

D’autre part, on constate une identité entre le régime des salariés et des agents publics en matière d’accès aux droits de propriété intellectuelle sur leurs créations. Les fonctionnaires et agents publics sont placés dans une situation statutaire, législative et réglementaire étrangère aux salariés du secteur privé. Cependant, même si la fonction publique conserve des spécificités évidentes (recrutement, carrière), la tendance du droit positif est au rapprochement avec le droit du travail. Cette évolution du droit de la fonction publique est influencée d’une part par le droit de l’Union européenne et droit issu de la Convention européenne de 1950 qui ne distingue pas le droit public et le droit privé, et d’autre part par la constitutionnalisation concomitante du droit du travail et de la fonction publique. La constatation de l’identité de régime entre les agents et fonctionnaires et les salariés du secteur privé en matière de titularité du droit d’auteur renforce le rapprochement entre ces deux statuts.

L’existence de ces règles communes issues du droit commun témoigne de la parfaite adaptation du Code de la propriété intellectuelle à la propriété intellectuelle des personnes publiques. Cependant, les personnes publiques bénéficient par exception des règles d’accès à la propriété intellectuelle dérogatoires au droit commun.

Chapitre 2 – L’acquisition par des procédés exorbitants du droit

commun.

D’une manière générale, les personnes publiques jouissent de prérogatives exorbitantes du droit commun en raison de la mission d’intérêt général qu’elles poursuivent. Ces prérogatives spéciales s’expriment dans les situations que le droit commun n’est pas en mesure de régir.

En matière de propriété intellectuelle, ces prérogatives sont marginales. Plus précisément, les prérogatives exorbitantes du droit commun dont jouissent les personnes publiques en matière de propriété intellectuelle n’existent que dans le cadre de l’acquisition des créations intellectuelles. Cela signifie que mis à part dans les hypothèses que nous envisagerons dans ce Chapitre, les personnes publiques ne bénéficient d’aucune autre prérogative exorbitante du droit commun en matière de propriété intellectuelle. En revanche, nous verrons dans la seconde partie de la thèse que les personnes publiques sont soumises à plusieurs obligations exorbitantes du droit commun.

Les prérogatives exorbitantes sont conçues pour encadrer les situations qui échappent au droit commun, et consistent dans des pouvoirs exceptionnellement étendus dont disposent les personnes publiques pour mener à bien leur mission d’intérêt général. Elles manifestent l’exercice de la puissance publique202, c’est à dire qu’il serait

inenvisageable de les attribuer à une personne privée, notamment car elles sont inspirées par l’intérêt général et non par des intérêts privés. La propriété intellectuelle des personnes publiques met en œuvre des prérogatives exorbitantes du droit commun dans deux situations : les marchés publics de prestation intellectuelle (Section 1) et les voies d’accès à la propriété intellectuelle par la contrainte (2).

202B. Dacosta, concl. sur CE 19 nov. 2010, Office national des forêts c/ Girard-Mille, JCP Adm. 2011, n° 3, p. 2020