• Aucun résultat trouvé

T ITRE II : DES PREROGATIVES POUR LA GESTION DES

CREATIONS INTELLECTUELLES PEU INSPIREES PAR L

INTERET

GENERAL

.

Nous avons montré que les personnes publiques ont la possibilité d’acquérir des créations intellectuelles selon le régime de droit commun ou en application des prérogatives exorbitantes du droit commun dont elles sont titulaires303. Il faut ici envisager la nature de l’activité de gestion des créations intellectuelles publiques. S’interroger sur la légitimité des personnes publiques à exploiter leurs créations intellectuelles revient à déterminer le type d’action publique dans lequel cette activité s’intègre. En conséquence, l’objet de ce titre sera d’analyser la nature de l’activité publique d’exploitation des créations intellectuelles publiques. Cette activité constitue-t-elle une activité de service public ou doit-elle être rattachée aux intérêts patrimoniaux des personnes publiques ?

Il pourrait sembler inadéquat d’aborder la question de la nature du droit des personnes publiques de d’exploiter un patrimoine intellectuel après avoir constaté que le droit positif leur permet d’acquérir des droits de propriété intellectuelle en vue d’une exploitation. Cela revient à observer ces éléments dans un ordre à priori illogique. Pour autant, c’est ainsi que la situation de présente en pratique : les personnes publiques constituent et exploitent leurs créations intellectuelles dans le cadre de leurs activités, sans que la question du rattachement de cette activité à un service public ou à des intérêts patrimoniaux ne soit posée.

Les personnes publiques ont pour objet de satisfaire l’intérêt général, qui par définition s’oppose aux intérêts particuliers. En effet, J-J. Rousseau n’a-t-il pas écrit que « la manifestation des intérêts particuliers ne peuvent que nuire à l’intérêt général qui, dépassant chaque individu, est en quelque sorte l’émanation de la volonté de la collectivité des citoyens en tant que telle »304. Il est donc intéressant de s’interroger

sur la capacité des créations intellectuelles à satisfaire l’intérêt général en droit

303 Partie I, Titre I

public, tandis qu’elles ne s’adressent qu’à des intérêts particuliers en droit privé. En quoi l’acquisition des droits de propriété intellectuelle sur un logotype et son exploitation constituent-ils une activité visant à la satisfaction de l’intérêt général ? Cette question revient à analyser l’élasticité de la matière de la propriété intellectuelle. Nous avons déterminé dans le Titre I que la propriété intellectuelle est suffisamment polymorphe pour s’adapter aux spécificités des personnes publiques et leur permettre d’acquérir des propriétés intellectuelles selon des voies de droit exorbitantes du droit commun.

Nous nous interrogeons ici sur la capacité de la propriété intellectuelle à s’intégrer dans l’action des personnes publiques, à travers la recherche de l’intérêt général dans l’activité d’exploitation du patrimoine intellectuel. Pour ce faire, nous rechercherons si cette activité s’exerce dans le cadre d’un service public ou si elle doit être rattachée aux intérêts patrimoniaux des personnes publiques. De plus, nous chercherons à identifier la domanialité du patrimoine intellectuel public, qui détermine les conditions de son exploitation (Chapitre 1).

L’incorporation des créations intellectuelles dans le domaine privé contribue à encourager une gestion des actifs intellectuels des personnes publiques selon le droit privé. L’évolution du droit de la personnalité publique suit cette dynamique, si bien qu’en matière d’exploitation de leurs créations intellectuelles, les personnes publiques se comportent souvent comme des acteurs de droit privé. Pour cette raison, à l’instar des personnes privées, les personnes publiques se voient aujourd'hui reconnaître le bénéfice de droit moraux (Chapitre 2). Cette situation contribue à développer une personnalité publique calquée sur la personnalité privée, qui renforce l’application unifiée du droit de la propriété intellectuelle sans distinction de genre.

Chapitre 1 : La gestion des créations intellectuelles des personnes

publiques est-elle d’intérêt général ?

L’activité de gestion du patrimoine intellectuel est traditionnellement rattachée aux intérêts particuliers des personnes privées. Pour cette raison, il est difficile d’imaginer que cette activité puisse être légitime lorsqu’elle est exercée par les personnes publiques qui sont réputées rechercher la satisfaction de l’intérêt général. En effet, l’intérêt général et les intérêts particuliers sont considérés comme concurrents, même s’ils ne s’excluent pas nécessairement. J. M. Keynes305 considère

qu’ « on ne saurait déduire des principes de l'économie politique que l'intérêt personnel dûment éclairé œuvre toujours au service de l'intérêt général. Il n'est même pas vrai que l'intérêt personnel soit généralement éclairé. » Apparaît ici la première difficulté de l’analyse de l’intérêt général : il ne fait pas l’objet d’une définition stable et admise par tous. On considère qu’il désigne les intérêts partagés par l'ensemble des membres de la société, et que sa satisfaction vise à procurer un bien- être à tous les individus.

L'intérêt général est l’une des grandes matrices du droit public. Le droit public fonctionne selon l’idée que l'administration accomplit une mission spécifique tendant à la satisfaction de l'intérêt général, ce qui implique que celui-ci constitue non seulement le fondement, mais aussi le but et la limite de l'action de

l’administration306. L’intérêt général fonctionne comme un cadre qui présente un

intérêt à deux égards : d’une part, les personnes publiques peuvent l'invoquer pour

développer leurs prérogatives307. D’autre part, elles doivent s’assurer que leurs

actions soient guidées par lui. Cette ambivalence et cette double influence de l’intérêt général se retrouvent dans les décisions du juge, qui lui accorde une importance capitale. Il est à la fois une cause d’illégalité et de légitimité de l'action des personnes publiques. Ainsi, le juge annule l'acte administratif qui poursuit un but étranger à l'intérêt général et valide celui qui a pour objet de restreindre les conditions d'exercice de certains droits des personnes privées dans la mesure où l'intérêt général

305 J.M. Keynes, La fin du laissez-faire, 1924

306 F. Rangeon, L'idéologie de l'intérêt général, Economica, 1986, p. 21 et s.

307 D. Truchet, L'intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d'État: retour aux sources et équilibre, Conseil d’État, rapp. public

le justifie. Dans ces conditions, et puisque l’intérêt général est la « pierre angulaire de l’action publique308 », nous devons déterminer quel intérêt il présente du point de

vue de la propriété intellectuelle des personnes publiques. Est-il le fondement de l’activité de gestion des propriétés intellectuelles des personnes publiques ?

Considérer que toutes les actions menées par les personnes publiques sont par principe des activités d’intérêt général serait une erreur. La perte du monopole des activités d’intérêt général a mis en lumière le fait que les personnes publiques se livrent parfois à des activités qui ne visent pas à satisfaire l’intérêt général. Cette deuxième affirmation est primordiale pour envisager l’activité de gestion des créations intellectuelles des personnes publiques. Ainsi, et même si cela est établi en droit positif, il nous semble important de réitérer l’affirmation selon laquelle toute les activités des personnes publiques ne sont pas des services publics.

Pour autant, l’exploitation de ce patrimoine a lieu dans des conditions imprécises notamment sur l’appartenance des propriétés intellectuelles à la domanialité publique ou privée. Cette question pourtant cruciale pour permettre une gestion pérenne du patrimoine intellectuel des personnes publiques. En effet, les biens qui appartiennent au domaine public sont réputés indisponibles et inaliénables309. Ainsi, la personne

publique qui en est propriétaire ne peut pas librement disposer310 de sa propriété si

elle appartient au domaine public. Cette indisponibilité est justifiée par l'affectation des biens à une fonction déterminée telle qu’un service public. A l’inverse, la domanialité privée permet une gestion libre des actifs qui s’y trouvent.

Nous envisagerons dans une première section dans quelles conditions les personnes publiques concourent à rechercher la domanialité privée de propriétés intellectuelles publiques (Section 1), avant d’étudier en quoi l’affectation domaniale joue un rôle déterminant dans la qualification de l’activité de gestion de ces actifs (Section 2). En effet, une jurisprudence ancienne et renouvelée établit que l’activité de gestion des biens du domaine privé n’est pas un service public si elle ne vise qu’à satisfaire des intérêts patrimoniaux.

308 Conseil d'État, Rapport public 1999. Jurisprudence et avis de 1998. L'intérêt général, La Documentation française, 1999, p. 245. 309 Art. L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques : « Les biens des personnes publiques mentionnées à l'article

L. 1, qui relèvent du domaine public, sont inaliénables et imprescriptibles ».

310 La libre disposition d'un bien est le pouvoir qui est conféré à son propriétaire d'accomplir des actes juridiques relativement à son bien,

Section 1 : Une préférence pour la domanialité privée qui stimule la gestion des