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Élément fonctionnel : la poursuite de l’intérêt général.

Section 1 : Une préférence pour la domanialité privée qui stimule la gestion des créations intellectuelles des personnes publiques.

3) Élément fonctionnel : la poursuite de l’intérêt général.

Nous avons rapporté que la notion d’intérêt général est évolutive et que la jurisprudence admet qu’elle intègre « activités nécessaires à la réalisation des missions de service public dont sont investies les personnes publiques 413». Par

conséquent, il faut considérer que toute activité qui contribue à la réalisation d’un service public doit être considérée comme une activité d’intérêt général.

Existence d’un intérêt général. Par exemple, la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) est un établissement public industriel et commercial (EPIC) qui assure une mission de service public de transport de voyageurs en Ile de France. Lors de la création de l’établissement public, il a donc été décidé que la forme de l’EPIC serait la plus adaptée pour permettre l’exécution du service public. Ainsi, dès l’origine de la RATP, il était admis que la pratique d’activités industrielles et commerciales serait nécessaire à la mise en œuvre de l’activité confiée. Le dépôt de

la marque « RATP » auprès de l’INPI414, ou le développement d’une application mobile permettant aux utilisateurs de calculer leur itinéraire ou de connaître l’heure d’arriver de leur train s’inscrivent dans le cadre d’une démarche permettant un meilleur service pour les usagers.

Bien entendu, le développement de l’image de la marque « RATP » s’inscrit également dans une logique commerciale, qui est justifiée par la nature de l’établissement public. En conséquence, la création de ces outils de communication qui constituent des actifs intellectuels a vocation à permettre aux usagers de mieux identifier le service et de faciliter son utilisation. Dans ces conditions, et quand bien même elles auraient une vocation commerciale, l’acquisition de droits de propriété intellectuelle et leur exploitation entrent dans le cadre de l’activité d’intérêt général confiée à l’établissement public. Le critère fonctionnel est donc ici rempli.

Dans le cas du Musée du Louvre, l’intérêt général est également caractérisé : le décret instituant l’établissement public dresse la liste des missions qui lui sont confiées incluant celle d’ « acquérir et exploiter tout droit de propriété littéraire, artistique ou informatique, faire breveter toute invention ou déposer en son nom tout dessin, modèle, marque ou titre de propriété industrielle correspondant à ses productions, valoriser selon toute modalité appropriée tout apport intellectuel lié à ses activités. » Ainsi, il ne fait aucun doute que la double activité de constitution et d’exploitation d’un patrimoine intellectuel fait partie de la mission de service public qui lui est confiée et qu’elle satisfait à un besoin d’intérêt général.

L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OPMI) édite un guide de gestion de la propriété intellectuelle à l’attention des musées415. Ce guide énonce que les musées ne sont pas seulement des usagers des droits de propriété intellectuelle, mais ajoute qu’ils en sont également titulaires. Plus encore, il explique que les personnes publiques culturelles ont la responsabilité de gérer leur patrimoine intellectuel. Ainsi, l’OMPI raisonne en terme de droits et obligations des musées au

414 La base de données des marques déposées de l’INPI compte trente deux marques déposées contenant l’occurrence « RATP ». 415 R. Elster Pantalony, Guide de gestion de la propriété intellectuelle à l’attention des musées, Publication de l’OMPI N°1001F WIPO

regard de la propriété intellectuelle, et érige au rang d’obligation la nécessité d’exploiter leur patrimoine intellectuel.

Remise en cause de l’existence d’un intérêt général. Pour d’autres personnes publiques qui se livrent à une activité de constitution et d’exploitation d’un patrimoine intellectuel, le rattachement à une activité d’intérêt général est moins évident. Par exemple, le dépôt de leurs marques par les Universités Panthéon- Sorbonne et Panthéon- Assas soulève des questions.

Les statuts des l’Universités Panthéon-Sorbonne et Panthéon-Assas prévoient qu’elles sont des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, et qu’elles ont pour vocation la formation initiale et continue ainsi que la recherche dans leurs domaines scientifiques respectifs. Ces dispositions ne font référence à aucune activité commerciale, mais uniquement aux activités de formation culturelles et scientifiques de l’établissement.

Pourtant, ces Universités ont déposé à plusieurs reprises leur nom en tant que marque, assortie de logotypes différents et disposent de sites internet. Cette démarche pourrait être justifiée par la nécessité de permettre aux étudiants d’identifier et d’accéder facilement aux services des Universités. En effet, la mise en place de tels outils peut être justifiée par la proximité géographique et par la quasi homonymie des deux établissements, car elle vise à éviter tout risque de confusion entre eux. Dans ce cas, la constitution et l’exploitation d’un patrimoine intellectuel entrerait de plein droit dans le cadre de l’activité de service public en permettant une meilleure identification du service pour les usagers.

L’observation des catégories pour lesquelles les marques des Universités sont enregistrées auprès de l’INPI démontre leur volonté de protéger et d’exploiter leurs marques dans un but scientifique. Ainsi, les deux Universités protègent leurs marques notamment dans le domaine des abonnements à des publications scientifiques, de l’éducation et de la formation416. Cette activité s’intègre sans difficulté dans les

missions confiées aux Universités, et doit être considérée comme étant d’intérêt général.

Cependant, les marques « Sorbonne Université 417 » et « Université Paris II Panthéon Assas418 » sont également déposées dans les catégories suivantes : joaillerie, produits

de l’imprimerie, cuir et imitation du cuir, vêtements, chaussures, chapellerie, jeux, jouets et publicité. Des catégories pour le moins éloignées du cœur de métier de l’Université. La création d’un espace de vente de produits dérivés de ces marques tels que des vêtements, cartes postales, briquets dans les murs de l’Université (Université Panthéon-Sorbonne) ou sur un site internet marchand (Université Panthéon-Sorbonne et Panthéon-Assas) peut-elle être d’intérêt général ?

Le cas de l’Université Panthéon-Sorbonne est particulier, en ce que le déposant de la marque « Sorbonne Université » est un établissement public : la communauté

d’université et établissements (COMUE) Sorbonne Université. La COMUE419 de la

Sorbonne est un établissement public à caractère scientifique, culturel et

professionnel (EPSCP), avec d’importantes conséquences en termes de gouvernance

et de représentativité des membres de la communauté universitaire. En outre, la

marque « Université Paris II Panthéon Assas » a été déposée par l’Université Panthéon-Assas Paris 2, qui est également un EPSCP. Dans ces deux hypothèses, les produits dérivés des deux marques qui ont pu être commercialisés leur ont directement apporté un revenu. Il apparait donc que certaines universités exercent une activité commerciale qui est étrangère à la mission de service public qui leur est confiée. Cette activité ne peut que relever des intérêts patrimoniaux des personnes publiques.

417 https://bases-marques.inpi.fr 418 https://bases-marques.inpi.fr

419 originellement PRES, prévu par la loi de programme no 2006-450 du 18 avril 2006 pour la recherche, devenu COMU sous la loi de

Sous – section 2 : La gestion des créations intellectuelles publiques satisfait les intérêts patrimoniaux des personnes publiques.

Il faut se défaire de l’idée que toutes les activités des personnes publiques constituent des services publics. Cette erreur est liée au fait que le service public est la seule activité des personnes publiques faisant l’objet d’une étude commune, approfondie, communiquée et enseignée. Ainsi, G. Cornu écrit-il à propos de l’activité des personnes publiques que l’intérêt général est « ce qui est pour le bien public420 ». Le droit administratif serait destiné à permettre à l'administration d'agir dans une finalité unique : la satisfaction de l'intérêt général421. En d’autres termes, les personnes

publiques n’auraient vocation qu’à satisfaire l’intérêt général via l’exercice d’une mission de service public.

Dans le droit fil de cette conception, nous avons démontré dans la Sous-Section qui précède que l’activité d’exploitation et de constitution d’un patrimoine intellectuel pouvait réunir tous les critères d’identification du service public. Ainsi, du seul point de vue du raisonnement juridique, cette double activité peut être qualifiée d’activité de service public.

Cependant, derrière ce raisonnement théorique se dissimule une autre réalité, qui illustre la complexité de notre droit positif. En effet, la conception du droit public à travers le prisme du service public omet le fait que les personnes publiques, comme les personnes privées, se livrent à de nombreuses activités qui sont parfois non dénuées de lien avec un service public, et parfois totalement dépourvues de tout rattachement avec une telle activité. Ce sont ces activités qui nous intéressent ici, celles auxquelles la doctrine ne prête que peu d’attention car elles s’exercent en marge de l’activité principale des personnes publiques.

Pourtant, du point de vue de l’étude de la propriété intellectuelle des personnes publiques, ces activités nous semblent particulièrement intéressantes. En effet, l’activité de constitution et d’exploitation d’un patrimoine intellectuel ne constitue

420 G. Cornu (dir.) et Association Henri Capitant, Vocabulaire juridique, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 2005,

7e éd., 970 p, « Intérêt général », p 496

jamais, mis à part le cas des musées et des bibliothèques, le cœur de la mission de service public confié à la personne publique. Dans les faits, une mission de service public est confiée à une personne publique, et c’est elle qui va développer une activité de constitution et d’exploitation d’un patrimoine intellectuel autour de sa mission. Bien entendu, l’objet premier de l’activité de constitution et d’exploitation du patrimoine intellectuel est toujours en premier lieu, une activité liée au service et à la mission d’intérêt général confiée à la personne publique. Mais il arrive très fréquemment que la personne publique développe cette activité au delà des besoins de sa mission, et qu’elle satisfasse ainsi son intérêt patrimonial.

La satisfaction de cet intérêt se manifeste par l’exercice d’activités générant des revenus mais qui ne sont pas liées directement liées à la satisfaction de l’intérêt général. Elles consistent dans l’enrichissement du patrimoine de la personne publique par l’acquisition de de droits dont l’exploitation génère un bénéfice. La prise de conscience des personnes publiques de leur intérêt propre en matière de patrimoine intellectuel est concomitante à la création de l’APIE en 2007. L’émergence du droit public économique ainsi que des outils de valorisation du patrimoine intellectuel ont contribué à éveiller les personnes publiques à l’intérêt de développer leur patrimoine et leur compétitivité dans les domaines industriels et commerciaux.

La difficulté scientifique de l’analyse des activités satisfaisant l’intérêt patrimonial des personnes publiques est de deux ordres. D’une part, il est possible que la doctrine écarte de son analyse les activités des personnes publiques qui ne constituent pas des services publics parce qu’elle s’intéresse principalement à leur mission de satisfaction de l’intérêt général. D’autre part, il est envisageable de considérer que les activités des personnes publiques qui ne sont pas directement rattachables à un service public et qui ont pour objet d’enrichir leur patrimoine constituent une forme d’activité d’intérêt général puisqu’elles contribuent indirectement au bon fonctionnement des services publics.

La question de savoir si l’exploitation des propriétés intellectuelles des personnes publiques satisfait un intérêt patrimonial public présente double intérêt. Premièrement, elle permet de démontrer que toutes les activités des personnes

publiques ne constituent pas des services publics (1). Ainsi, l’exploitation des propriétés intellectuelles publiques pourrait être une activité lucrative qui bénéficie à une personne publique mais qui ne constitue pas un service public, tout autant que cette activité pourrait être un service public sous certaines conditions. En outre, certaines activités qui ne sont pas des services publics peuvent être considérées comme accessoires d’un service public (2). Ainsi, l’exploitation des propriétés intellectuelles publiques pourrait être considérée comme étant l’accessoire de la mission de service public à laquelle elle se rattache, sans pour autant être qualifiée elle-même de service public.

1) Toutes les activités économiques des personnes publiques ne sont pas des