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Nature du contrôle conventionnel des actes juridictionnels internes : contrôle concret contre contrôle abstrait

Le contrôle conventionnel de la protection judiciaire interne

A) Nature du contrôle conventionnel des actes juridictionnels internes : contrôle concret contre contrôle abstrait

Le principe, selon lequel le contrôle de licéité conventionnelle des actes juridiques internes est un contrôle des effets de la mise en oeuvre des obligations conventionnelles dans l’ordre juridique interne, est bien établi dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, y compris en matière de protection judiciaire.

En effet, « aux termes de l’article 19 de la Convention, la Cour a pour tâche d’assurer le respect des engagements résultant de la Convention pour les Etats contractants […et ] est donc appelée à vérifier si la manière dont le droit interne est interprété et appliqué produit des effets conformes aux principes de la Convention tels qu’interprétés dans sa jurisprudence »351, c’est-à-dire que la Cour de Strasbourg

opère uniquement un contrôle des effets de l’application du droit conventionnel par le juge interne, qu’il s’agisse de son application directe ou de son application indirecte, lorsque l’ordre juridique interne appelle des mesures nationales d’intégration du droit international dans l’ordre interne ou que la disposition internationale suppose d es mesures nationales d’application, c’est-à-dire lorsque le juge interne applique les mesures d’application du droit conventionnel au sens large352

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350 Voir par exemple l’arrêt Pisano c. Italie, 27 juillet 2000, Req. n° 36732/97, §21. La Cour IADH a adopté la même position. Voir l’arrêt

Carlos Alberto Marin Ramirez c. Colombie, n° 11.403 : “The right to judicial protection as enshrined in the Convention includes the right to

a fair, impartial and speedy trial necessary to achieve, but never to require, a favorable outcome ”. 351 Arrêt Riccardi Pizzati c. Italie, 29 mars 2006, Req. no 62361/00, §80-81.

Lorsqu’il contrôle la mise en œuvre de ces mesures nationales, le juge européen peut ainsi constater, tant la bonne application du droit interne non conforme au droit conventionnel, que la mauvaise application du droit interne conforme à celui -ci, l’illicéité internationale résultant en définitive de l’application concrète de la loi, lorsque celle-ci a des effets contraires au droit conventionnel indépendamment de l’existence abstraite de la loi non conforme. C’est en effet un principe également bien établi que la Cour européenne ne peut exercer un contrôle abstrait des règles de droit interne dont les requérants contestent l’application, mais seulement les effets de leur application concrète dans le cas d’espèce, même si la Cour a précisé, dans son arrêt Marckx c. Belgique353, que l'article 25 de la Convention habilite les justiciables à soutenir qu'une disposition de droit interne viole leurs droits par elle-même, en l'absence d'un acte individuel d'exécution, s’ils risquent d'en subir directement les effets : si la Cour doit contrôler les effets de l’application concrète du droit interne, elle peut ainsi se prononcer également sur les effets plausibles d’une telle application au cas d’espèce.

La Cour européenne des droits de l’homme pose clairement que ce principe du contrôle des effets de l’interprétation et de l’application du droit conventionnel s’applique en matière de protection judiciaire. Ainsi, dans son arrêt Pham Hoang c. France, la Cour a-t-elle rappelé, à l’occasion du contrôle de l'application des dispositions françaises relatives à l'existence de présomptions de culpabilité en matière de trafic de stupéfiants, qu’elle n'a pas « à mesurer in abstracto les articles 369 par. 2, 373, 392 par. 1 et 399 du code des douanes à l'aune de la Convention [et que] sa tâche consiste à déterminer s'ils ont été appliqués en l'espèce d'une manière compatible avec la présomption d'innocence et plus généralement avec la notion de procès équitable»354. L’arrêt Wos c. Pologne illustre ce contrôle des effets des actes juridictionnels internes que la Cour de Strasbourg opère au titre de l’article 6 de la Convention. Dans cette affaire, le requérant se plaignait de n’avoir pu accéder à la justice interne pour contester la décision, de la Fondation pour la réconciliation germano-polonaise, de ne lui octroyer qu’une indemnisation partielle du dommage qu’il avait subi en raison du travail forcé auquel il avait été soumis pendant la seconde guerre mondiale, décision qu’il prétendait résulter d’une interprétation

353 Arrêt Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, Req. n° 6833/74, §27. 354 Arrêt Pham Hoang c. France, 29 août 1992, A-243, §33.

erronée des critères de calcul du montant de l’indemnité due. L’accès à la justice nationale lui avait été refusé au motif que sa requête était irrecevable, conformément à une jurisprudence bien établie selon laquelle les juridictions polonaises n’étaient pas compétentes pour contrôler les décisions de la Fondation. Pour déterminer si le refus d’accès à la justice nationale constituait une violation du droit au procès équitable, la Cour européenne s’est attachée à vérifier si l’interprétation des juridictions nationales quant aux dispositions internes relatives à leur compétence était compatible avec le droit conventionnel, au regard des effets de cette interprétation. Ainsi la Cour a-t-elle d’abord rappelé qu’il appartenait aux juridictions internes d’interpréter la législation interne et que son rôle à elle « se limit[ait] à s’assurer que les effets d’une telle interprétation sont compatibles avec la Convention »355, et qu’elle n’avait donc pas à « répondre à la question de savoir si les conclusions [des juridictions nationales] reflètent une interprétation correcte de la législation interne »356, mais uniquement à se demander si l’interprétation en cause, ayant pour effet de restreindre le droit d’accès à la justice du requérant, était conforme à l’article 6. La Cour a donc d’abord contrôlé si l’interprétation restrictive au droit d’accès poursuivait un but légitime, question à laquelle elle a répondu par l’affirmative, une telle restriction visant à assurer la flexibilité et l’efficacité des octrois d’indemnités par la Fondation, puis elle s’est interrogée sur la proportionnalité de la restriction litigieuse au droit d’accès du requérant, que la Cour a dû apprécier à la lumière des circonstances particulières de l’espèce. La Cour a finalement conclu à la non-conformité de la décision des juridictions nationales pour défaut de proportionnalité entre l’intérêt légitime qu’il pouvait y avoir à restreindre l’accès à la justice nationale et l’atteinte au droit du justiciable d’accéder aux tribunaux internes, parce que, en l’espèce, il résultait de l’interprétation litigieuse que le requérant s’était retrouvé dans l’incapacité totale d’obtenir justice, ne disposant d’aucun autre moyen de réparation raisonnable du préjudice occasionné par la décision de la Fondation357. C’est ainsi que la Cour de Strasbourg a conclu à la violation du droit au procès

355 Arrêt Wos c. Pologne, 8 juin 2006, Req. no 22860/02, §104. 356 Arrêt Wos c. Pologne, préc., §106.

357 C’est cet effet de l’interprétation et de l’application du droit interne par les juri dictions nationales qui est effectivement déterminant, ce que souligne la comparaison avec une affaire précédente où la Cour EDH avait conclu à l’absence de violation du droit au procès équitable en raison de l’existence d’autres voies de droit s’offrant a ux requérants pour obtenir justice ; voir l’arrêt Waite et Kennedy c. Allemagne, 18 février 1999, Rec. 1999-I, §73.

équitable parce que l’interprétation des juridictions nationales ne donnait pas assez d’effet à ce droit, tout particulièrement dans le cas où « l’on peut valablement démontrer que les décisions correspondantes étaient viciées en raison d’une appréciation erronée des faits sous-tendant la demande ».

Si le contrôle opéré en l’espèce était donc bien un contrôle concret des effets de l’interprétation restrictive, par les juridictions polonaises, de leur compétence pour connaître des recours dirigés contre les décisions de la Fondation358, était-il pour autant un contrôle normal de ces effets ?

B) Etendue du contrôle conventionnel des actes juridictionnels internes :