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Le jugement manifestement injuste, objet d’un contrôle restreint de régularité interne

Fondement du contrôle international des jugements manifestement injustes

B) Le jugement manifestement injuste, objet d’un contrôle restreint de régularité interne

au titre du droit international

C’est la définition du jugement manifestement injuste comme unique exception au principe d’irresponsabilité de l’Etat pour mal-jugé (1) qui nous permet de préciser ce qu’il faut entendre par « mauvaise » application du droit interne par le juge interne. En effet, le jugement manifestement injuste est un jugement manifestement erroné, que le juge international peut constater en effectuant un contrôle restreint de sa régularité interne (2).

1) La responsabilité internationale exceptionnelle pour jugement manifestement injuste

Pour une partie de la doctrine64, si le juge international est effectivement compétent pour contrôler la régularité interne des décisions de justice nationales, ce contrôle ne saurait s’appliquer aux décisions souveraines du juge interne, le jugement manifestement injuste n’engageant pas la responsabilité internationale de l’Etat, et ce au même titre que le mal-jugé, dont il ne doit pas être distingué. C’est ainsi que pour Tenekidès, « la qualification d'un acte ne saurait dépendre que de sa nature et non pas de l'appréciation quantitative d'un facteur matériel. À quel élément d'ailleurs s’attacher pour la graduation de l'injustice au point d'en faire une injustice manifeste ? Faute d'orientation objective possible pour le juge international, ce serait introduire dans la justice qu’il est appelé à rendre un élément d'arbitraire et

d'anarchie, admettre a priori le contrôle et la révision des jugements nationaux intéressant un étranger par le juge international, et faire de ce juge un juge d'appel […] »65

.

64 TENEKIDES (C.), « Les jugements nationaux « manifestement injustes » envisagés comme source de la responsabilité internationale des Etats », R.G.D.I.P., 1939, vol.46 ; DUMAS (J.), « Du déni de justice considéré comme condition de la responsabilité internationale des Etats en matière criminelle », R.D.I.L.C., 1929, p. 295 ; DURAND (C.), « La responsabilité internationale des Etats pour déni de justice », R.G.D.I.P., 1931, p.736.

65 TENEKIDES (C.), « Les jugements nationaux « manifestement injustes » envisagés comme source de la responsabilité internationale des Etats », R.G.D.I.P., 1939, vol.46, p.383.

L’analyse de la jurisprudence montre cependant que le jugement manifestement injuste doit être opposé au mal-jugé, ce qui nous amène à étudier le principe d’irresponsabilité de l’Etat pour mal-jugé (a) et son unique exception (b).

a) Le principe d’irresponsabilité internationale de l’Etat pour « mal-jugé »

Champ d’application du principe d’irresponsabilité pour mal-jugé. - Toute décision judiciaire irrégulière au regard du seul droit interne, c’est-à-dire tout jugement erroné fruit d'une simple erreur d’interprétation ou d’application du droit interne aux faits de l'espèce66, ne permet normalement pas d’engager la responsabilité internationale de l’Etat, le principe unanime en la matière étant l’irresponsabilité de l’Etat pour mal-jugé. La jurisprudence est très claire à cet égard, ainsi que le souligne la sentence rendue dans l’affaire Yuille, Shortridge et co67

, rejetant la responsabilité du Portugal pour le jugement erroné rendu par la Cour d’appel de Lisbonne le 15 novembre 1840 au motif que celle-ci avait « statué en basant son arrêt sur des principes de droit, encore qu'elle les ait mal appliqués aux faits », en se référant à Vattel pour qui « c'est à la nation ou à son souverain de rendre la justice dans tous les lieux de son obéissance [...] Les autres nations doivent respecter ce droit. Et comme l'administration de la justice exige nécessairement que toute sentence définitive, prononcée régulièrement, soit tenue pour juste et exécutée comme telle, dès qu'une cause dans laquelle des étrangers se trouvent intéressés a été jugée dans les formes, le souverain de ces plaideurs ne peut écouter leurs plaintes. Entreprendre d'examiner la justice d'une sentence définitive, c'est attaquer la juridiction de celui qui l'a rendue »68.

Cette décision souligne bien le champ d’application de ce principe d’irresponsabilité, qui ne vaut que pour les décisions relevant du pouvoir souverain d’interprétation et d’application du droit interne dont disposent les autorités

66 L’erreur de jugement est à distinguer de l’erreur judiciaire, que révèlent des éléments nouveaux permettant de juger l’affaire différemment, bien qu’alors il ne s’agisse pas à proprement parler d’erreur.

67 Affaire Yuille, Shortridge et co., Royaume-Uni c. Portugal, 21 octobre 1861, La Fontaine, Pasicrisie, 1902, p.383 et s. Voir également l’affaire Zamora : « Quand toute liberté est laissée aux juges et qu’ils rendent leur sentence conformément à leur conscience, même s'ils se trompent, il n'y a pas lieu à représailles ».

68 VATTEL (E.de), Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affaires des nations et

juridictionnelles de l’Etat : c’est en effet le sens de cette réserve dans l’énoncé du principe, qui ne s’applique que « quand toute liberté est laissée aux juges » en la matière, c’est-à-dire quand le droit interne applicable n'est pas une mesure d'application du droit international.

Fondement du principe d’irresponsabilité pour mal jugé. - On comprend dès lors que le principe d’irresponsabilité internationale de l’Etat pour mal-jugé trouve son fondement dans le respect dû aux décisions de l'État souverain qui, par ailleur s, « ne saurait se porter garant d’une justice idéale »69. En effet, dans l’exercice de son pouvoir juridictionnel, l’Etat n’est tenu qu’à faire en sorte d’assurer à ses justiciables une bonne administration de la justice interne, c’est-à-dire à se conformer au standard international minimum en la matière 70, et non pas garantir l'interprétation et l'application exactes, sans erreur, du droit interne.

Selon le dictionnaire de la terminologie du droit international, le terme « standard international » désigne le comportement moyen des Etats civilisés par référence auquel on apprécie la correction du comportement d'un Etat en la matière considérée. Le standard international est donc un critère de licéité du comportement de l'État dans l'exécution de ses obligations internationales de faire, lesquelles ne sont généralement que des obligations proches des obligations de moyen au sens civiliste du terme, c'est-à-dire des obligations de faire en sorte qu’un tel résultat ait des chances raisonnables d’être atteint par la mise en oeuvre des moyens nécessaires : l'appréciation de la conformité du comportement de l'État au standard international résultera donc de l’appréciation de l’exercice normal, diligent, de bonne foi, de leur fonction par des autorités nationales compétentes, c'est -à-dire dans la mise en oeuvre de ces moyens.

Le standard international varie en fonction de la matière considérée, mais il est un principe bien établi selon lequel l’État doit au moins assurer une organisation interne, et le fonctionnement de celle-ci, conforme à un standard international dit minimum, afin de ne pas vider ses obligations internationales de leur sens. Ce standard international minimum permet donc notamment d’évaluer le comportement

69 HOIJER (O.), « La responsabilité internationale des Etats en matière d'actes judiciaires », R.D.I, 1930, vol.5, p.115- 146.

discrétionnaire des Etats exerçant leurs fonctions régaliennes, domaine dans lequel seule est garantie une protection résiduelle des étrangers. C'est ainsi que l'État est, par exemple, tenu d'assurer une certaine protection judiciaire aux étrangers résidant sur son territoire, protection liée à l'organisation de l'appareil j udiciaire étatique conformément aux principes généraux de droit international en matière de justice, et à son fonctionnement conforme au standard international minimum, qui implique la bonne foi, la compétence et la diligence des autorités juridictionnelles nationales. C'est bien le sens de ces paroles du juge Huber dans l'affaire de la Zone espagnole du Maroc : « […L’existence de] restrictions aux droits des Etats d’intervenir pour protéger leurs ressortissants présuppose que la sécurité générale dans les pays de résidence de ceux-ci ne tombe pas au-dessous d'un certain niveau, et qu'au moins leur protection par la justice ne devienne pas purement illusoire . […] Le principe de la non-intervention dans les rapports entre un État et les étrangers établis sur son territoire présuppose […] des conditions normales d'administration et de justice […] ».

Définition du mal-jugé. - Ceci nous amène donc à définir le mal jugé comme un jugement simplement erroné, donc excusable car conforme au standard international minimum, qui n'engage pas la responsabilité internationale de l'État parce qu'il ne saurait être considéré autrement que comme l'un des risques du fonctionnement des institutions publiques, et ne saurait donc remettre en cause la présomption de conformité de l’appareil judiciaire interne et de son fonctionnement au droit international, contrairement au jugement manifestement injuste71.

En effet, l'État et ses organes sont présumés se comporter conformément au standard international minimum, ou standard de normalité, y compris dans l’exercice d’un pouvoir souverain, qui sera par conséquent lui aussi présumé conforme au droit international jusqu’à preuve du contraire. Dans l'affaire Putnam, la Commission déclarait ainsi que : “The Commission, following well established international precedents, has already asserted the respect that is due to the decisions of the highest courts of a civilized country. A question which has been passed on in courts of

71 Le mal-jugé a parfois été défini comme un jugement résultant d'une erreur commise de bonne foi, la bonne foi de l'État l'exonérant de toute responsabilité à cet égard, mais cette conception restrictive du mal-jugé, et corollairement du jugement manifestement injuste, doit être écartée, la mauvaise foi n'étant pas une condition d’existence du déni de justice substantiel. Voir la partie 2.

different jurisdiction by the local judges, subject to protective proceedings, must be presumed to have been fairly determined” 72.

L’erreur de jugement, tant qu’elle n’est pas anormale, est donc présumée compatible avec le droit international et donc insusceptible de mettre en jeu la responsabilité internationale de l’Etat. Le mal-jugé résulte ainsi d’une simple erreur dans l'interprétation ou l’application du droit interne, erreur que tout juge puisse commettre : en effet, si un Etat ne peut se porter garant d’une justice idéale, c'est bien parce que la justice est tributaire du juge, et que le juge est un homme, donc faillible, susceptible de se tromper dans l’opération intellectuelle d’interprétation et d’application du droit.

Cette erreur simple se définit par opposition à l’erreur anormale ou inexcusable qui permettra, elle, d’engager la responsabilité internationale de l’Etat. En effet, l'erreur simple se définit a contrario, car il n'est pas besoin de définir ce qui est normal. C'est donc à la définition de l'erreur inexcusable qu’il faut maintenant nous attacher.

b) Le « jugement manifestement injuste », exception au principe d’irresponsabilité internationale de l’Etat pour mal-jugé

Le jugement manifestement injuste, fruit d'une erreur inexcusable. - La responsabilité internationale de l’Etat pour décision irrégulière au regard du droit interne ne peut être mise en cause qu’exceptionnellement, lorsque l'erreur est inexcusable. Si cette exception n’est pas aussi clairement établie que le principe lui- même, ainsi que l’atteste la doctrine73, l’analyse de la jurisprudence74 permet

72 Affaire Putnam, Etats-Unis c. Mexique, 15 avril 1927, R.S.A., vol.IV, p.151-155.

73 Pro : VATTEL (E.de), Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqués à la conduite et aux affa ires des

nations et des souverains, texte de 1758, Washington, Carnegie, 1916, Livre II, Chap. XVIII, p.536 ; HOIJER (O.), « La

responsabilité internationale des Etats en matière d'actes judiciaires », R.D.I, 1930, vol.5, p.119-120 ; ANZILOTTI (D.), « La responsabilité des Etats à raison des dommages soufferts par des étrangers », R.G.D.I.P., 1906, vol. 13, p.25 ; EUSTATHlADES (C.), La responsabilité des Etats pour les actes des organes judiciaires et le problème du déni de justice

en droit international, 2 vol., Paris, Pedone, 1936, p.205 et s. Contra : BORCHARD (E.), The Diplomatie Protection of Citizens Abroad, New- York, The Banks Law Publishing Co,1927, 988 p ; TENEKIDES (C.), « Les jugements

nationaux « manifestement injustes » envisagés comme source de la responsabilité internationale des Etats », R.G.D.I.P., 1939, vol.46 ; DUMAS (J.), « Du déni de justice considéré comme condition de la responsabilité internationale des Etats

cependant nettement de distinguer entre l’erreur simple et l’erreur inexcusab le de jugement. En effet, l’erreur, pour être inexcusable, doit être manifeste, au sens d’évident, non équivoque, qui se révèle d’elle-même de manière très visible75

, ainsi qu’il ressort des différentes qualifications qui ont pu être attribuées à l’erreur de jugement constituant un déni de justice substantiel, comme erreur grossière, flagrante, notoire, manifeste, évidente et palpable76. C’est donc une erreur sur l’existence de laquelle on ne puisse avoir de doute qui se trouve à l’origine de la responsabilité internationale de l’Etat pour les décisions de justice nationales. Dans l'affaire Putnam, la Commission déclarait ainsi que : “Only a clear and notorious injustice, visible to put it thus at a mere glance could furnish ground for an international arbitral tribunal, of the character of the present, to put aside a national decision presented before it and to scrutinize its grounds of fact and law ”77. Dans ces cas en effet, l'erreur ne peut plus être justifiée par l’imperfection humaine: il ne s'agit plus d’une conséquence de la faillibilité du juge mais du résultat de sa mauvaise foi ou d'un défaut de compétence technique grave, ce qui ne saurait être considéré comme compatible avec le standard international minimum. C'est ainsi que Charles De Visscher a pu admettre l'existence du déni de justice substantiel, « dans les cas évidemment exceptionnels où la défaillance des juges atteint un degré tel que l’on ne puisse plus expliquer la sentence rendue par aucune considération de fait ou par aucune raison de droit valable »78.

en matière criminelle », R.D.I.L.C., 1929, p. 277-307 ; DURAND (C.), « La responsabilité internationale des Etats pour déni de justice », R.G.D.I.P., 1931, p.694.

74 Voir l’affaire Cotesworth et Powell, Colombie c. Royaume-Uni, 5 novembre 1875, Moore, Arbitrations, p.2050-2085 ; voir aussi l’affaire du Schooner Orient, Moore, Arbitrations, vol.3 ; affaire Fabiani, Moore, Arbitrations, p.4878-4915 ; Affaire Putnam, Etats-Unis d’Amérique c. Mexique, 15 avril 1927, R.S.A., vol.IV, p.151-155

75 Pour qu'il y ait déni de justice, il faut, dit Vattel (liv. Il, chap. XVIII, § 3 50), « que l'injustice soit bien évidente et palpable ; dans tous les cas susceptibles de doute, un souverain ne doit pas écouter les plaintes de ses sujets contre un tribunal étranger, ni entreprendre de les soustraire à l'effet d'une senten ce rendue dans les formes ».

76 Même conception en droit interne, voir le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation dans la jurisprudence du Conseil d’Etat : il s’agit d’une erreur portant sur l’appréciation des motifs, qui n’entraîne l’annulation que si elle est grossière. En droit anglais également, une décision irrationnelle justifie le contrôle judiciaire d'un acte de l'administration bénéficiant d’une immunité juridictionnelle, or elle se définit comme « une décision qui défie de manière si flagrante la logique ou les principes moraux communément admis que nulle personne sensée n'aurait pu la prendre après avoir réfléchi au problème », étant encore précisé que ce contrôle s’impose « si, de toute évidence, consciemment ou non, cette autorité agit de façon aberrante », voir l’arrêt Fayed c.

Royaume-Uni, 21 septembre 1994, A-294B, §44 et 45.

77 Affaire Putnam, Etats-Unis c. Mexique, 15 avril 1927, RSA, vol.IV, p.151-155.

L'assimilation entre mal-jugé et jugement manifestement injuste au regard de la responsabilité internationale de l’Etat pour ses décisions de justice nationales doit ainsi être écartée, car la distinction ne résulte pas d'une graduation subjective de l'injustice résultant de l'application erronée du droit interne, mais de la nature de l'erreur au regard du standard international minimum. L'erreur en cause en cas de jugement manifestement injuste entraînant le renversement de la présomption de bonne administration de la justice favorable aux Etats, le critère de distinction entre mal-jugé et jugement manifestement injuste est bien le standard international minimum.

Le renversement de la présomption de bonne administration de la justice. - Le jugement manifestement injuste peut en effet engager la responsabilité internationale de l’Etat parce que caractérisé par une erreur dont le caractère illicite n’est effacé par aucune cause justificative, et qui opère donc un renversement de la présomption de bonne administration de la justice. En effet, la présomption de conformité du comportement de l'État au standard international minimum est bien une présomption simple qui peut être renversée par l’établissement de l'existence d'une erreur inexcusable, contrairement à la position minoritaire de certains juristes, concernant l’existence d’un principe absolu d’irresponsabilité internationale de l’Etat pour jugement irrégulier au regard du droit interne. Ainsi Guerrero considérait-il que les nationaux et les étrangers devaient être soumis au même régime à l'égard des erreurs judiciaires quelles qu’elles soient car « les décisions [des] tribunaux doivent toujours être considérées comme conformes au droit. Le juge, et seulement le juge local, a le pouvoir d'interpréter le droit. Quand bien même il se tromperait, son jugement doit être respecté. Ainsi l'exigeraient la dignité de la justice et le caractère de l'État moderne ». Cette position minoritaire souligne cependant bien la conception rigoureuse de l'erreur inexcusable constitutive du jugement manifestement injuste, laquelle se justifie pour deux raisons. D'abord, si la présomption légale, irréfragable dans l’ordre interne, selon laquelle res judicata pro veritate accipitur, est sans pertinence dans l’ordre international, il faut cependant tenir compte de la finalité de cette fiction juridique, qui vise à protéger la stabilité de l'ordre public interne. C'est pourquoi, si le jugement manifestement injuste ne peut être considéré comme l'un des risques du fonctionnement des institutions publiques « qui, dans l'ordre international

comme dans l'ordre interne, est couvert par l'autorité de la chose jugée »79, le juge international devra cependant mettre en balance, lors du contrôle du jugement manifestement injuste, l’impératif international de justice et de protection des droits du justiciable avec l’intérêt de l’ordre public et donc la préservation de l’autorité des décisions de justice suprême. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la présomption de conformité au standard international minimum se justifie particulièrement dès lors que le principe d’irresponsabilité pour mal-jugé intervient dans un domaine de compétence où l’Etat exerce son pouvoir souverain. En effet, l’Etat est alors libre d’apprécier l’opportunité des décisions, qu’il appartient d’autant plus aux juges internationaux de respecter que, d’une part, l’opération de jugement est une opération subjective difficile à contrôler et que, d’autre part, les juges internes sont les mieux placés pour apprécier les éléments du problème à prendre en compte pour choisir l’interprétation la plus adaptée à l’espèce. En effet, le respect de l’interprétation souveraine du droit comme des faits est d’autant plus nécessaire, et impose par conséquent d’autant plus de retenue de la part des juridictions internationales, que ce choix doit résulter de considérations portant notamment sur des valeurs sociales, que le juge national est mieux à même d’apprécier que le juge international. La Cour européenne des droits de l’homme le rappelle d’ailleurs souvent, lorsqu’elle doit contrôler l’application des dispositions nationales auxquelles la Convention renvoie, en précisant que cet avantage des juges nationaux repose sur « une connaissance directe de leur société et de ses besoins »80, ou encore sur « leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays »81.C'est en effet un autre principe bien établi selon lequel « c’est fondamentalement aux tribunaux et aux autorités de l'Etat […] qu'il appartient d'interpréter la législation nationale » 82

, impliquant corollairement qu’il n’appartient dès lors pas aux juridictions internationales de se substituer à eux en révisant leurs jugements, ainsi qu’un tribunal arbitral a pu clairement l’établir à l’occasion de l’affaire Turner83

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79 SCELLE (G.), Précis de droit des gens, T.2, Paris, Rec. Sirey, 1934, p.95. 80 Voir l’arrêt James et a. c. Royaume-Uni, 21 février 1986, A-98, §46.

81 Voir l’arrêt Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, A-24, §48.

82 Décision du Comité des Droits de l’homme des Nations Unies (CDHNU) concernant la communication n°698/1996, Gonzalo Bonelo

Sánchez c. Espagne, 29 juillet 1997, §4.2. Voir aussi la décision du Comité concernant la communication n°58/1979, Anna