• Aucun résultat trouvé

DEFINITION DU JUGEMENT RAISONNABLE ET RECONNAISSANCE DU DENI DE JUSTICE

SUBSTANTIEL

Nous avons démontré l’existence du droit au jugement raisonnable comme conséquence de la reconnaissance du déni de justice substantiel, notion fondamentale traduisant l'existence d'une obligation de protection judiciaire étendue. Ce droit n'est cependant pas encore clairement reconnu, et ne pourra l'être sans détermination précise de son contenu, c'est-à-dire de ce que l'on entend par jugement raisonnable, car seule cette précision permettra de limiter d'éventuels abus dans le contrôle et la mise en oeuvre de la responsabilité internationale de l'État pour leurs jugements discrétionnaires, comme il a pu y en avoir à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle.

Or l'analyse de la jurisprudence relative au déni de justice substantiel fait ressortir le caractère formel et négatif de la définition du jugement juste et équitable, laquelle dépend de la mise en oeuvre d’un standard, celui du raisonnable, que le juge international actualise avec chaque cas d'espèce lorsqu'il reconnaît l’existence d'un

jugement manifestement injuste. Car, ainsi que le remarquait O.Stanti, « s’il n’est une application de l’idée de justice qui, prise en soi et isolée de son milieu social, puisse prétendre à l’immutabilité, en vertu d’un principe de vérité absolue, il y aura toujours une forme du juste qui doive s’adapter à chaque société et à chaque stade de son évolution. Car il y a tout de même quelque chose qui ne change pas, à savoir le sentiment que nous devons à tous le respect de leur droit, dans la mesure de la justice sociale. Mais quelle sera cette justice, nul ne peut le dire a priori »413.

C’est donc la définition a contrario du jugement raisonnable comme jugement qui n’est pas manifestement injuste, ou encore déraisonnable414

, que nous étudierons. Or, le juge international déterminant la déraisonnabilité du jugement manifestement injuste à partir des critères internationaux du raisonnable applicables au jugement interne415, nous analyserons d’abord les critères de raisonnabilité d’un jugement (chapitre 1), avant de voir les éléments constitutifs du jugement manifestement injuste (chapitre 2). Enfin, la mise en œuvre d’un standard attribuant au juge un certain pouvoir normatif, alors que le juge international, n'étant pas juge d'appel, ne doit pas pouvoir substituer son jugement à celui du juge interne, il importe aussi d’analyser les conditions de reconnaissance du déni de justice substantiel, et notamment les conditions de constatation de l'existence du jugement manifestement injuste par le juge international (chapitre 3), afin que, là encore, le risque d’abus ne fasse pas obstacle à la reconnaissance explicite et unanime du droit international au jugement raisonnable.

413 STANTI (O.), op. cit., p.18

414 Renvoi à la partie 1, chapitre 1, section 2.

415 Ces critères du raisonnable sont généraux et sont applicables par tous les sujets de droit international lorsqu’ils mettent en œuvre une règle de droit dont le raisonnable est un élément, qu’il soit formulé explicitement ou non. Cependant, le sujet de notre étude étant ici le jugement raisonnable, nous nous limiterons à l’analyse de la jurisprudence mettant en œuvre une règle formulant implicitement le raisonnable, la règle jurisprudentielle de l’interprétation raisonnable.

CHAPITREI

LES

CRITERES

DE

RAISONNABILITE

D’UN

JUGEMENT

Dans l’exercice de sa fonction juridictionnelle, le juge doit appliquer une règle de droit générale à un cas particulier. Pour ce faire, il doit interpréter tant des faits qu’une ou plusieurs règles de droit. En effet, appliquer le droit nécessite d’établir des faits, ce qui suppose une interprétation de la réalité factuelle, interpréter le droit et qualifier juridiquement les faits, c’est-à-dire également interpréter, déterminer la signification précise d'une règle abstraitement formulée au regard de certains faits concrets, puisque la qualification désigne le raisonnement permettant de décider que tel fait relève d'une règle de droit déterminée à l'exclusion de toute autre. Or l’interprétation, d'une règle de droit ou d'un fait, consiste en l'appréciation de données, textuelles ou factuelles, selon une méthode qui permet de reconstruire la vérité juridique des réalités de fait ou des énoncés de droit. L’analyse de la jurisprudence internationale révèle qu’il s’agit d’une méthode où le raisonnable est un critère général d'interprétation, que le juge doit mettre en oeuvre au travers d’un raisonnement juridictionnel finaliste. Bien que cette méthode ne soit pas spécifique au droit international, et encore moins à la recherche du jugement manifestement injuste, l’étude de cette méthode est un préambule nécessaire à celle de la constatation du déni de justice substantiel, c’est-à-dire à la mise en œuvre concrète des critères de raisonnabilité d’un jugement par le juge international. Remarquons que le juge international est tenu de contrôler l’application raisonnable du droit interne par le

juge interne au regard des critères internationaux de raisonnabilité parce qu’il doit appliquer le droit international et que, au demeurant, le paradoxe de la situation n’est qu’apparent puisque, comme nous le verrons, les critères internationaux de raisonnabilité, qu’ils résultent de principes généraux codifiés ou de la jurisprudence, sont communs au droit interne et au droit international.

C’est donc à la notion de raisonnable qu’il nous faut nous attacher dans un premier temps, et nous verrons, aussi brièvement que possible s’agissant d’une étude plutôt abstraite de la notion qui sera concrétisée par les développements abordés aux chapitres suivants, que le raisonnable se définit positivement416 comme ce qui est conforme aux exigences de la raison (section 1), ce qui amène à vérifier la raisonnabilité d’un jugement au regard du raisonnement mené par le juge interne (section 2) et de son aboutissement (section 3).

416 Par opposition à la définition négative du raisonnable comme ce qui n’est pas déraisonnable, que nous verrons dans la seconde section de ce chapitre.

Section 1

Le raisonnable,