• Aucun résultat trouvé

Chapitre III : Effets sur le droit des étrangers

1. Nationalité

Nous avons déjà examiné la législation française qui empêche toute personne qui vit dans une relation polygamique d’acquérir la nationalité française, il n’est pas nécessaire d’en parler davantage afin d’éviter des répétitions. Pour les fins de notre discussion sur les effets de la prohibition de la polygamie, il reste à souligner que ces effets sont immédiats et la loi est appliquée par les autorités françaises sans clémence ou possibilité d’atténuation.

Ainsi, dans le cas suivant, même si le requérant n’auvait vécu maritalement qu’avec sa dernière épouse à l’époque de sa demande de réintégrer la nationalité française, le tribunal trouva que le fait de contracter un mariage en France en état de polygamie ne pouvait être considéré que comme un comportement constitutif d’un défaut d’assimilation.377 Dans un autre arrêt il eut refus d’autorisation de souscrire à une demande de réintégration dans la nationalité française selon l’article 153 du Code de nationalité ancien. La Cour fondait sa décision sur le défaut d’assimilation, concernant un Sénégalais polygamique dont deux des trois épouses ainsi que sept des dix enfants résidaient au Sénégal.378 Enfin, si un demandeur dissimulait sa situation polygamique, son décret de naturalisation pourrait

377 CA Nantes, 12 novembre 1998, n° 96NT02325; Federica Oudin, « Les français ne doivent pas épuser des polygames » (2003) 1 Revue Juridique Personnes et Famille 14–15.

378 CE, 11 mars 1988, Diagne (1988) Rec 783.

D?GPCJvM@HCRBvSLCNPMA^BSPCBCPCRP?GRAMKKC?W?LR^R^M@RCLSN?PDP?SBC -MRMLQ OSvCL NP?RGOSC JCQ ?SRMPGR^Q CR JCQ AMSPQ CKN`AFCLR JC NMJWE?KC BvM@RCLGP J? L?RGML?JGR^ DP?L]?GQC GLGRG?JCKCLR +? NMJWE?KGC LvCLRP?bLC N?Q J?

B^AF^?LAC BCQ NMJWE?KCQ OSG MLR B^HZ J? L?RGML?JGR^ DP?L]?GQC CR JC EMSTCPLCKCLRNP^D_PC?EGP?SLGTC?SBCQBPMGRQQMAG?SVBCJ?B^AMF?@GR?RGML CRBCJ?AMLBGRGMLBvCLRP^C

$L AC OSG AMLACPLC JC "?L?B? GJ LvW ? N?Q BC J^EGQJ?RGML QN^AGDGOSC GLRCPBGQ?LR ?SV NCPQMLLCQ NMJWE?KGOSCQ BvM@RCLGP J? L?RGML?JGR^ A?L?BGCLLC

"CNCLB?LR LMSQ ?JJMLQ TMGP B?LQ J? N?PRGC QSGT?LRC OSC JC EMSTCPLCKCLR TGCLR HSQRC Bv?BMNRCP SLC JMG OSG D?GR M@QR?AJC Z JvGKKGEP?RGML BCQ NCPQMLLCQ TGT?LRB?LQSLCSLGMLNMJWE?KGOSC

98.3>398.N/8><G//>./=G49?<

+8+.+

2GKNJCKCLRBGRQCJMLJCEMSTCPLCKCLRA?L?BGCLlJ?NMJWE?KGCLvCQR N?Q SLC DMPKC BC K?PG?EC PCAMLLSC NMSP JCQ NCPQMLLCQ B^QGPCSQCQ BvGKKGEPCP ?S "?L?B?m +C BCK?LBCSP NPGLAGN?J BC J? BCK?LBC BvGKKGEP?RGMLNCSR`RPC?AAMKN?EL^QCSJCKCLRBCQ?NPCKG_PCAMLHMGLRCMS NCSR N?PP?GLCP ACJJCAG 4LC QCSJC AMLHMGLRC NCSR QC TMGP B^JGTPCP SL TGQ? BC TGQGRCSPNMSP?AAMKN?ELCPJCBCK?LBCSPNPGLAGN?JJMPQBvSLTMW?EC,?JEP^

QML GLRCPBGARGMLJC EMSTCPLCKCLR A?L?BGCL LvCQR N?Q CL NMQQCQQGML BC QR?RGQRGOSCQ AMLACPL?LR JC PCAMSPQ Z JvGKKGEP?RGMLNMSP D?AGJGRCP JC PCEPMSNCKCLR BC D?KGJJCQ NMJWE?KGOSCQ ?S "?L?B? -MSQ Jv?TMLQ TS CR JC

"$D^TPGCPLh

+C%GE?PMl+?NMJWE?KGCLCLRP?bLCP?N?QJ?B^AF^?LACBCJ?L?RGML?JGR^m QCNRCK@PC

CLJGELCuFRRNUUUNPCQQPC?BCPAMKDP?LACJC DGE?PM

"?9CEB<1D?<OB1>35JOB??@39DLMRC

294

EMSTCPLCKCLRJCAMLDGPKCGJLvW?N?QBCBMLL^CQCKNGPGOSCQNCPKCRR?LRBC Q?TMGPAMK@GCLBvGKKGEP?LRQNPMTCL?LRBCN?WQMeJ?NMJWE?KGCCQRJ^E?JCMS

@GCL ASJRSPCJJCKCLR ?AACNR^C MLR DMPK^ BCQ D?KGJJCQ NMJWE?KGOSCQ ?S

"?L?B?

&^L^P?JCKCLRNMSPCLRPCP?S"?L?B?MSWBCKCSPCPJCQ^RP?LECPQCR JCQ P^QGBCLRQ NCPK?LCLRQ BMGTCLR PCKNJGP JCQ AMLBGRGMLQ Bv?BKGQQG@GJGR^ NMSP M@RCLGPSLTGQ?(JQLCBMGTCLRN?Q`RPCGLRCPBGRQBCRCPPGRMGPC?SVRCPKCQBCJ?

"?9 CEB <`9==97B1D9?> 5D <1 @B?D53D9?> 45C BO6E79OC+CQ ?PRGAJCQ Z BC ACRRCJMGBMLLCLRJCQKMRGDQBvGLRCPBGARGMLBCRCPPGRMGPC?S"?L?B?N?PCVCKNJC JCD?GRBCQCJGTPCPZBCQ?ARGTGR^QBvCQNGMLL?EC?SRCPPMPGQKCMSZBCQ?ARCQ APGKGLCJQMSCLAMPCBCNPMBSGPCBCD?SQQCQB^AJ?P?RGMLQB?LQJ?NP^QCLR?RGML BvSLCBCK?LBCBvGKKGEP?RGML/MSPGLRCPBGPCSLCNCPQMLLCBCRCPPGRMGPCGJD?SR

?TMGP lBCQ KMRGDQ P?GQMLL?@JCQ BC APMGPCm OSC JCQ D?GRQ CL A?SQC lQMLR QSPTCLSQQSPTGCLLCLRMSNCSTCLRQSPTCLGPm+CQNCPQMLLCQHSE^CQGLRCPBGRCQ BCRCPPGRMGPCQMLRPCLTMW^CQBS"?L?B?

3CJOSCKCLRGMLL^BCNSGQJv^R^BCJCEMSTCPLCKCLRBS"?L?B?

? AMKKCLA^ Z NPCLBPC BCQ KCQSPCQ CL AC OSG AMLACPLC JvGKKGEP?RGML BCQ D?KGJJCQ NMJWE?KGOSCQ 2CJML JC KGLGQR_PC BC J? "GRMWCLLCR^ CR BC Jv(KKGEP?RGML BS "?L?B? J? LMSTCJJC"?9 CEB <1 D?<OB1>35 JOB? 6135 1EH

@B1D9AE5C 3E<DEB5<<5C 21B21B5ClCLTMGC SL KCQQ?EC AJ?GP ?SV NCPQMLLCQ TCL?LR ?S "?L?B? QCJML JCOSCJ JCQ NP?RGOSCQ ASJRSPCJJCQ B?LECPCSQCQ CR TGMJCLRCQ QMLR GL?AACNR?@JCQ ?S "?L?B? "CQ NP?RGOSCQ QMLR AMLRP?GPCQ ?SV T?JCSPQA?L?BGCLLCQCRLCQCPMLRN?QRMJ^P^CQm+?+MGKMBGDGCJ?"?9CEB

<`9==97B1D9?>5D<1@B?D53D9?>45CBO6E79OCJ?"?9CEB<5=1B917539F9<CRJC?45 3B9=9>5< $LRPC ?SRPCQ J? JMG NPMNMQC BC AP^CP SLC LMSTCJJC GLRCPBGARGML BC RCPPGRMGPCCLTCPRSBCJ?"?9CEB<`9==97B1D9?>5D<1@B?D53D9?>45CBO6E79OCOSG

294

"?9CEB<`9==97B1D9?>5D<1@B?D53D9?>45CBO6E79OC+1"A

"?9CEB<1D?<OB1>35JOB??@39DLMRC

&MSTCPLCKCLR BS "?L?B? AMKKSLGOS^ l/PMR^ECP JCQ "?L?BGCLQ AMLRPC JCQ NP?RGOSCQ ASJRSPCJJCQ@?P@?PCQm LMTCK@PCCLJGELC

FRRNLMSTCJJCQEAA?UC@?PRGAJCDPBMKRFBRNAPRPN?ECLGBAPRPRN#

294

fait en sorte que les résidents permanents et temporaires sont interdits de territoire au Canada s’ils pratiquent la polygamie au Canada. La loi a été fortement critiquée, mais le nouveau gouvernement libéral n’a pas encore tenté de l’abroger. Jusqu’à cette date, il n’y a aucun cas rapporté sur l’application de cette loi pour des raisons de tentative d’immigration d’une personne polygamique.

Cette interdiction crée un effet paradoxal pour certaines familles polygamiques qui veulent immigrer. Dans plusieurs pays africains, les épouses peuvent choisir entre un mariage civil, qui ne permet pas de polygamie, et un mariage religieux, qui permet la polygamie.388 Selon la professeure Beverly Baines, ce fait a pour résultat qu’une famille pourrait être admise pour l’immigration au Canada, tandis que l’autre ne le pourrait pas, en fonction du régime de mariage. Cette distinction viole le principe du droit international privé, qui dit qu’il faut respecter l’universalité du statut personnel.389

B) France

Pour la France, il est à préciser qu’avant 1993 la jurisprudence n’était pas sévère à l’égard de la polygamie.390 Selon le notoire arrêt Montcho du Conseil d’État du 11 juillet 1980,391 le refus de regroupement de famille opposé par l’administration au seul motif de la polygamie avait été décrit comme illégal. Dans cet arrêt, le Conseil d’État avait renversé une décision préfectorale refusant le permis de séjour à la deuxième épouse d’un homme cohabitant déjà en France avec son autre épouse. Le Conseil trouvait que le fait de faire immigrer une deuxième épouse ne heurtait pas l’ordre public.

Néanmoins, l’arrêt Montcho reste seulement applicable pour les familles

388 Beverley Baines, « Polygamy’s Challenge : Women, Religion And The Post-Liberal State » (2007) 2:1 Les ateliers de l’éthique 23, aux pages 26-27 [Baines, « Challenge »]; Danièle Lochak, « La double peine des épouses de polygames » (2006) 11 Droit social 1032.

389 Ibid.

390 Bourdelois, « Mariage », op. cit. note 328; CE, 18 juin 1997, n° 154377.

391 CE, 11 juillet 1980, (1980) Rec 315 (annotation Bischoff); Bischoff, « Mariage », op. cit.

note 277.

polygamiques régulièrement installées en France avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 août 1993.392

Cette loi, qui a été modifiée plusieurs fois sans d’ailleurs changer son application générale envers les mariages polygamiques, stipule que « la carte de résident ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d’un tel ressortissant. ».393 Bref, la demande d’autorisation d’un étranger qui vit en situation polygamique doit être refusée.394 Le Conseil constitutionnel, appelé à se prononcer sur la nouvelle rédaction donnée à l’article 30 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 par la loi du 24 août 1993, affirme que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie : que dès lors, les restrictions apportées par la loi au regroupement familial des polygames et les sanctions dont celles-ci sont assorties ne sont pas contraires à la Constitution ».395

Un arrêt du 18 juin 1997 rendu sur recours du Gisti et de France-Terre d’Asile contre le décret du 2 septembre 1994 exige, lors du renouvellement de la carte de résident, un engagement sur l’honneur que l’intéressé ne vit pas en état de polygamie. Le recours faisait valoir que le renouvellement de la carte de résident devrait être automatique, même pour les étrangers polygamiques, dès lors que la carte avait été délivrée avant l’entrée en vigueur de la loi Pasqua du 24 août 1993, sauf à conférer à celle-ci un caractère rétroactif. Le Conseil d’Etat considère que l’administration peut légalement refuser le renouvellement de la carte de résident d’un ressortissant étranger vivant en état de polygamie ou de ses conjoints quelle que soit la date de la délivrance de ce titre de séjour.396 La loi donne donc un

392 « Loi Pasqua », op. cit. note 256.

393 Ibid., art. 9.

394 CE, 11 mars 1988, Diagne, (1988) Rec 783; CE, 25 mars 1994, n° 129544; CE, 12 octobre 1994, n° 139907; CE, 26 juin 1996, n° 156649; CA Nantes, 10 novembre 2009, n°

08NT03526.

395 Cons const., 18 aout 1993, (1993) JO 11722, n° 93-325 DC.

396 CE, 18 Juin 1997, n° 162517, 162518.

effet rétroactif et il est, en théorie, possible de perdre sa nationalité française et son titre de séjour même si on était légalement en France avant 1993.

Il est à noter que le jugement de divorce étranger non reconnu en France n’entraîne pas nécessairement le défaut d’assimilation, et il semble que les Cours sont moins strictes quand il s’agit de reconnaître un divorce qui met fin à une relation polygamique.397 De même, la monogamie « par défaut » à la suite du divorce ou du décès de l’une de ses épouses ne constitue pas un défaut d’assimilation.398 Les Cours sont donc plutôt regardantes des faits, et moins avec l’intention du marié, puisque la monogamie de fait ne permet pas de refuser la réintégration dans la nationalité française au motif que, marié sous un régime polygamique, le requérant n’est pas suffisamment assimilé à la communauté française.399 De l’autre côté, la polygamie de fait coutumière constitue automatiquement un défaut d’assimilation.

Un autre effet sévère de la prohibition de la polygamie en France constitue le fait que le gouvernement français encourage activement la décohabitation des femmes polygamiques. Selon la Circulaire du 25 avril 2000 du ministère de l’intérieur sur le « renouvellement des cartes de résident obtenues par des ressortissants étrangers polygames avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 août 1993 » le ministère prévoit que, sauf en cas de divorce, il y aura rapatriement dans le pays d’origine de toutes les coépouses moins une ou « décohabitation ». En effet, la descente vers la situation de sans-papiers passe par l’étape transitoire de la carte temporaire. Une seule exception s’applique à la première conjointe, c’est-à-dire celle qui a bénéficié en premier lieu de la procédure de regroupement familial - elle conserve sa carte de résidente.400 Dans sa Circulaire du 12 mai 2000, le gouvernement précise que « la circonstance que l’intéressé soit marié sous un régime de

397 Trib admin Nantes, 28 janv. 1997, (1997) JurisData n° 1997-046634; Trib admin Nantes, 28 janvier 1997, (1997) JurisData n° 1997-600577.

398 CA Nantes, 12 nov. 1998, (1998) JurisData n° 1998-047756.

399 Jean-Frédéric Millet, « À propos de la réintégration: polygamie de droit et monogamie de fait » (1997) 2 Revue Française de Droit Administratif 330–332.

400 France, Ministère de l’Intérieur, Circulaire sur le renouvellement des cartes de résident obtenues par des ressortissants étrangers polygames avant l’entrée en vigueur de la loi du 24 août 1993, (25 avril 2000).

droit autorisant la polygamie ne permet pas à elle seule de conclure à un défaut d’assimilation et entraîner l’irrecevabilité de la demande ». 401 Finalement, dans sa Circulaire du 10 juin 2001, le ministère de l’emploi et de la solidarité donne les pouvoirs et les moyens aux agences et aux services gouvernementaux affectés de supporter et de faciliter le logement des femmes décohabitant de ménages polygamiques et qui sont engagées dans un processus d’autonomie.402

En 2005 rentrait en vigueur le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA),403 qui abroge et remplace les dispositions de l’ordonnance du 2 novembre 1945. Créé en 2004 à l’initiative de Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur et de Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre, le code stipule entre autres que la demande d’octroi (ou de renouvellement) de titre de séjour formée par un étranger marié, ressortissant d’un État dont la loi personnelle autorise la polygamie, doit être accompagnée d’une déclaration de celui-ci selon laquelle il ne vit pas en France en état de polygamie.404 En plus, la réunion des conditions légales ne permet l’obtention du titre de séjour que si l’intéressé ne vit pas en état de polygamie.405 Il est à noter que le titre de séjour ou la carte de résident de l’étranger qui vit en France en état de polygamie lui est retiré, ainsi qu’à son conjoint. 406 Finalement, les restrictions aux mesures d’éloignement ou d’expulsion découlant d’un lien privilégié avec la France (conjoint français ; enfant français) cessent lorsque ces mesures frappent un étranger vivant en France en état de polygamie.407

401 France, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Circulaire DPM n° 2000-254 relative aux naturalisations, réintégrations dans la nationalité française et perte de la nationalité française, (12 mai 2000).

402 France, Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Circulaire DPM/AC 14/ n° 2001-358 relative au logement des femmes décohabitant de ménages polygames et engagées dans un processus d’autonomie, (10 juin 2001).

403 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, 1ier mars 2005 [CESEDA].

404 art. R. 317-1, R. 317-2, R. 313-20 CESEDA

405 art. L. 314-5, L. 314-9, L. 313-11 et L. 313-14 CESEDA.

406 art. R. 311-14 CESEDA.

407 art. L. 541-1, L. 511-4, 6o, et 8o, L. 521-2 et L. 521-3 CESEDA.

Mentionnons que le regroupement familial est refusé au conjoint qui ne réside pas en France lorsque le polygame y vit déjà avec une épouse. Celui-ci peut faire venir une épouse, et leurs enfants mineurs communs, à l’exclusion de tout autre. Comme au Canada, le « premier conjoint » résident (et non le premier épousé) fait obstacle à tout autre regroupement ; mais si l’autre conjoint est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ses enfants mineurs pourront bénéficier du regroupement familial.408 En cas d’infraction à ces règles, le titre de séjour est retiré non seulement aux membres de la famille accueillis en vertu du regroupement, mais aussi à l’impétrant lui-même. Ces dispositions ont été jugées conformes à la Constitution car le droit fondamental de mener une vie familiale normale, reconnu aux étrangers résidant régulièrement en France s’entend à des conditions qui prévalent dans le pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie.409

Ces lois sont conformes à la directive européenne no 2003/86/CE du Conseil, en date du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, dont l’article 4, alinéa 4, dispose : « En cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un conjoint vivant avec lui sur le territoire d’un État membre, l’État membre concerné n’autorise pas le regroupement familial d’un autre conjoint ». 410 Le 22 juillet 1970, la Cour EDH a d’ailleurs jugé que le droit au mariage ne protégeait que les relations entre deux personnes.411 Saisie ultérieurement du refus d’enregistrement d’un mariage polygamique :412

« […] du point de vue de l’intérêt de la communauté à promouvoir les mariages monogamiques, et de celui des tiers directement concernés, au cas présent le premier mari de la requérante, la Cour conclut que, dans les circonstances du cas, les juridictions nationales n’ont manqué d’effectuer une

408 art. L. 411-7 CESEDA.

409 Cons const, 13 août 1993, (1993) Rec 93-325 DC; CE, 8 déc. 1978, GISTI, (1979) AJDA 54; Jacques Dondoux, « Le droit à la vie familiale normale, arrêt du Conseil d'État du 8 décembre 1978 », (1979) 1 Dr. soc. 57.

410 Conseil de l’Europe, Directive 2003/86/CE du Conseil relative au droit au regroupement familial, (20 septembre 2003).

411 X c. Royaume Uni (1970), 68 CEDH 3898, 34 Coll. 10.

412 Ibid.

juste pesée des intérêts en conflit. Ainsi, le fait à l’origine de la requête peut être considéré comme nécessaire, dans une société démocratique, pour la défense de l’ordre et la protection des droits d’autrui ».

Les restrictions de droit découlant de la polygamie ne sont donc pas contraires à l’article 8 de la Convention EDH,413 mais la jurisprudence montre d’ailleurs que les recours fondés sur la violation de l’article 8 de la Convention sont rejetés systématiquement :414

« eu égard au motif sur lequel elle est fondée [situation de polygamie non contestée], la décision attaquée ne saurait être regardée comme méconnaissant les stipulations de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant ».

Notons que l'époux peut toujours profiter du retour momentané pendant les vacances de l'épouse pour en faire venir une autre. En réalité, en France comme au Canada, pour faire venir une seconde épouse, certains hommes répudient ou divorcent avec la première tout en continuant à cohabiter avec celle-ci.

Nous discuterons de l’impact spécifique de la prohibition de la polygamie sur les enfants plus loin dans notre présente thèse.

413 CEDH, 8 juill. 2010, (2011) Rev. crit. DIP 665 (annotation d'Avout).

414 CE, 10e sous-sect., 23 déc. 2011, req. no 336390; CA Marseille, 7 juill. 2008, req. no 06MA01801; CA Lyon, 19 févr. 2009, req. no 06LY00664; CA Lyon, 29 sept. 2009, req. no 09LY00839; CA Lyon, 28 sept. 2010, req. no 09LY02618; CA Versailles, 4 nov. 2010, req. no 08VE02454.

Conclusion

L’impact de la prohibition de la polygamie en France et au Canada sur les droits personnels est considérable. Elle crée des effets paradoxaux tellement sévères sur le droit des successions, sur le régime matrimonial, sur les pensions, sur les allocations veuvage, sur l’assurance santé et sur les allocations familiales que pour la majorité de ces droits touchés, les législateurs et les tribunaux français et canadiens ont dû atténuer cette prohibition à des fins de justice sociale.

Les juridictions au Canada admettent donc souvent la polygamie indirectement en reconnaissant les conjoints des relations quasi-polygamiques comme conjoints de fait, et les tribunaux procèdent en vertu du principe de l’égalité entre les épouses. Nous avons vu que cette approche paradoxale à la prohibition est encouragée ouvertement par les directives fédérales et elle est confirmée par plusieurs arrêts clés du droit successoral, du régime matrimonial et des allocations familiales. Pour les droits patrimoniaux la situation est similaire en France, mais elle est surtout réglée et justifiée par les conventions internationales et selon le principe qui dicte que la condition d’un mariage légal étranger entre les époux polygamiques soit la condition constituante. Le fait que, pour les droits de l’assurance santé, les concubines jouissent réellement de plus de droits que les secondes épouses, démontre, selon nous, que ce ne sont pas les relations conjugales avec plusieurs conjointes qui inquiètent le législateur et les tribunaux en France, mais le mariage polygamique comme institution.

Ceci étant dit, il n’y a peu de doute qu’en pratique, la France et le Canada reconnaissent directement ou implicitement la polygamie pour une grande partie des droits patrimoniaux dans le cadre d’un ordre public

« atténué ». Selon nous, ces pratiques confirment que les États sont beaucoup plus flexibles en ce qui concerne l’aspect distributif, économique du mariage. La France et le Canada semblent accepter la polygamie à ces fins, et les législateurs ainsi que les tribunaux continuent à libéraliser le côté

économique ou distributif du mariage en donnant droit aux intentions des personnes impliquées. À toutes fins pratiques, les relations polygamiques sont, paradoxalement aux lois pénales, acceptées en France et au Canada en ce qui concerne la plupart des droits personnels.

Cette position change en ce qui concerne la nationalité et les droits de séjour des personnes polygamiques. La France et le gouvernement du Canada semblent suivre la même logique et n’acceptent pas la pratique polygamique quand il s’agit d’accorder la nationalité ou de donner des droits de séjour aux étrangers. Ceci nous indique que, s’il ne s’agit pas d’intérêts strictement patrimoniaux, les États dans ces pays considèrent donc qu’il est plus important d’éviter les dangers perçus de la polygamie que de protéger les droits fondamentaux qui pourraient être violés. Nous allons maintenant parler de ces effets de la prohibition sur certains droits fondamentaux des personnes polygamiques en France et au Canada.

Titre 2 : Droit du mariage et droits fondamentaux

« L’oppression des femmes - la raison souvent avancée pour continuer à interdire les unions plurielles - se trouve également dans les mariages. » 415

Comme le législateur et les tribunaux français et canadiens reconnaissent souvent les effets négatifs paradoxaux distributifs et économiques, ils sont parfois corrigés en acceptant la relation polygamique pour certaines fins. Les effets de la prohibition de la polygamie sur les droits

Comme le législateur et les tribunaux français et canadiens reconnaissent souvent les effets négatifs paradoxaux distributifs et économiques, ils sont parfois corrigés en acceptant la relation polygamique pour certaines fins. Les effets de la prohibition de la polygamie sur les droits