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Chapitre II : Le mariage après la Révolution Industrielle

A) La monogamie émotionnelle

Après la séparation de la vie privée et de la vie professionnelle pendant la Révolution Industrielle, plusieurs autres évolutions touchant les droits sociaux, plus ou moins interconnectées, transformèrent fondamentalement la nature du mariage. La professeure de droit américaine N. D. Polikoff en a fait une analyse et elle énumère plusieurs de ces changements dans son livre sur le mariage contemporain. N. D. Polikoff observe que pendant la Révolution Industrielle le concept de l’égalité des femmes commença à s’établir plus ou moins rapidement parmi les pays occidentaux. Ce développement donna lieu ultérieurement à des jugements devant les cours judiciaires qui reconnaissaient que les bénéfices et les obligations sociaux des sociétés occidentales n’étaient plus liés à l’état civil de la femme. En particulier, les

139 Graff, op. cit. note 118; Abbott, op. cit. note 120; Lawrence Stone, The family, sex and marriage in England 1500-1800, London, Weidenfeld & Nicolson, 1977.

140 Graff, op. cit. note 118, à la page 14 (notre traduction).

femmes commençèrent à avoir droit aux pensions alimentaires et à une partie des biens communautaires nonobstant le fait qu’elles soient mariées à leur partenaire ou non.141 En même temps, les cours judiciaires rejetaient le concept des enfants « illégitimes » en droit, ce qui donnait effectivement les mêmes bénéfices aux enfants nés dans une relation hors mariage qu’aux enfants nés dans une relation maritale.142

De plus, l’acceptation par la société des relations sexuelles sans être marié et le divorce par consentement mutuel constituaient un autre élément qui changeait effectivement et complètement l’institution du mariage. Polikoff résume :143

« Le mariage n’était plus nécessaire pour créer un lien légal avec ses enfants. Le mariage n’était plus nécessaire pour repousser des jugements moraux renforcés par la loi. Il devenait possible d’avoir des relations sexuelles sans se marier. Le dernier changement radical de cette période transformait le droit du divorce, permettant aux couples mariés de mettre fin à ces mariages pour des raisons sans précédent. »

Il est aussi important de noter qu’en même temps, la séparation de la sexualité de son rôle reproductif commença à s’établir avec l’aide des découvertes médicales. Il était maintenant possible d’avoir des relations sexuelles sans avoir d’enfants, mais en même temps il était aussi devenu possible d’avoir des enfants sans relations sexuelles grâce à l’apparition de la fécondation in-vitro, de l’insémination artificielle, des banques de spermes et du transfert d’embryon.144

Avec l’élimination de l’exclusivité des avantages traditionnels attribués au mariage, qu’est-ce qui poussait les couples à se marier malgré tout ? Il est

141 Nancy D. Polikoff, Beyond straight and gay marriage: valuing all families under the law, Boston, Beacon Press, 2008, à la page 25.

142 Ibid., à la page 29.

143 Ibid., à la page 31. (notre traduction)

144 Coontz, op. cit. note 117, à la page 191.

très probable que tous ces changements pendant la Révolution Industrielle donnèrent lieu au fait que, avec le déclin de l’importance de l’aspect économique du mariage, la notion du mariage d’inclination s’établissait comme une réalité de plus en plus évidente de la culture occidentale. Le sociologue canadien D. Dagenais par exemple explique la transformation de la famille lors les derniers 500 ans. En adoptant une approche multidisciplinaire, il analyse le lien entre la famille moderne et la culture occidentale, et il conclut que la famille est de moins en moins définie à travers l’identité culturelle de ses membres.145 Selon Dagenais, l’identité culturelle de la famille occidentale a graduellement été remplacée par une identité de société qui voit la famille comme une affaire privée et individuelle. Ce qui est particulièrement notable dans son œuvre est la référence au travail complexe sur l’amour du sociologue allemand Niklas Luhmann.

L’analyse sophistiquée de Luhmann s’inspire de la notion que l’amour n’est pas une émotion ou une sensation, mais un code symbolique de communication. Ainsi, il s’agit d’un moyen qui permet à deux individus de se connecter afin d’établir une interaction. En même temps, l’amour est aussi un moyen qui peut aider à situer la position de l’individu entre les relations personnelles et impersonnelles, particulièrement pour pouvoir distinguer entre les relations amicales et amoureuses.146 Selon Luhman, l’analyse du terme

« amour » permet de définir les fonctions différentes des relations entre humains, et notamment celles du mariage, qui est seulement lié à l’amour depuis très récemment. 147 Plus particulièrement, Luhman pense que l’introduction de l’amour dans la notion du mariage était nécessaire pour donner un nouveau sens au mariage, puisque les raisons traditionnelles économiques n’existent plus ou qu’elles sont devenues moindres : 148

145 Daniel Dagenais et Jane Brierley, The (un)making of the modern family, Vancouver, UBC Press, 2009, aux pages xi-xv et 1-13.

146 Voir aussi: Michel Foucault, Histoire de la sexualité II, Paris, Gallimard, 1984, p. 187 et s., où Foucault s'intéresse à l'institution du mariage comme une économie qui gère à la fois la sexualité et le plaisir.

147 Niklas Luhmann, Jeremy Gaines, et Doris L. Jones, Love as passion: the codification of intimacy, Palo Alto, Stanford University Press, 1998.

148 Ibid., à la page 145 (notre traduction).

« Avec l’arrivée du 18e siècle, les familles bourgeoises avaient déjà perdu leur importance comme « supporteurs de l’État ».

Les raisons socio-structurelles pour le contrôle du mariage avaient alors cessé d’exister, et quelle raison y avait-il pour empêcher la société de remplacer des mariages arrangés par des mariages d’amour ? »

Luhman pense que, pour l’État, la famille s’est transformée dans une unité de consommation, dénuée de toute importance socio-structurelle, et c’est cette unité économique que les politiques de l’État veulent protéger afin de ne pas devoir assumer les responsabilités qui ont traditionnellement été exécutées par les membres de la famille gratuitement. Cette analyse est constitutive pour notre thèse, puisque plus loin nous soutenons que l’État devrait se concentrer sur cette fonction de la famille, même si cette famille rassemblée par l’émotion est composée de deux ou de plusieurs adultes, de sexe différent ou de même sexe.

La professeure canadienne de droit B. Cossman partage la conclusion de Luhman. Selon elle, la grande majorité des couples occidentaux associe au concept du mariage une définition qui peut être décrite comme un verbe, ou une pratique continuelle qui demande au couple d’agir d’une certaine façon pendant sa relation.149 Cossman pense que ceci est le résultat d’une transformation du mariage qui est devenu individualisé, volontaire et avec le bonheur et l’amour comme buts majeurs de cette relation :150

« Le mariage n’est pas simplement une ligne de démarcation d’état civil qui indique ce qui en fait partie ou non. Il s’agit aussi d’une pratique continue - une sorte de verbe, ce que quelqu’un fait - et pour cette raison, cela doit être fait d’une façon particulière. Les pratiques du mariage constituent les termes de l’hétéronormativité du mariage, non seulement pour la communauté gay et lesbienne qui a traditionnellement été exclue, mais aussi pour les normes et les comportements attendus des sujets hétérosexuels qu’il inclut. »

149 Brenda Cossman, Sexual citizens: the legal and cultural regulation of sex and belonging, Palo Alto, Stanford University Press, 2007; aussi: Pamela Haag, Marriage Confidential: The Post-Romantic Age of Workhorse Wives, Royal Children, Undersexed Spouses, and Rebel Couples Who Are Rewriting the Rules, New York, HarperCollins, 2011.

150 Cossman, Ibid,, à la page 71. (notre traduction).

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Finalement, la notion du mariage a été étendue pour y inclure les couples du même sexe au Canada depuis 2005 et depuis 2013 en France, pour permettre le divorce et pour donner aux couples non mariés certains avantages traditionnellement réservés aux couples mariés.157