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Chapitre II : La prohibition indirecte

A) La législation

Le législateur essaye de combattre la polygamie, qui est pratiquement entièrement « importée » par les immigrants, en mettant de plus en plus de

poids sur l’estimation que la polygamie va à l’encontre de l’identité française.

Cette assertion a pour résultat, selon le législateur français, un défaut d’assimilation pour les immigrants concernés. En effet, la polygamie est considérée comme tellement contraire à l’ordre public français252 qu’elle constituera un obstacle à l’acquisition de la nationalité française :253

« La profondeur de notre civilisation c’est le mariage monogamique. L’Islam avec sa polygamie fut-elle théorique, est plus étranger à notre âme que n’importe quel autre système de droit. De Moscou à New York, la répulsion pour le mariage polygamique trace la véritable ligne d’unité de civilisation. »

En conséquence, la Commission nationale consultative des Droits de l’Homme favorise de limiter l’entrée des personnes polygamiques en France et d’aider ces familles à la décohabitation.254 Ce refus de donner la nationalité française aux immigrants polygamiques est d’ailleurs explicitement formulé dans le Code civil :255

« Le Gouvernement peut s’opposer par décret en Conseil d’Etat, pour indignité ou défaut d’assimilation, autre que linguistique, à l’acquisition de la nationalité française par le conjoint étranger dans un délai de deux ans à compter de la date du récépissé prévu au deuxième alinéa de l’article 26 ou, si l’enregistrement a été refusé, à compter du jour où la décision judiciaire admettant la régularité de la déclaration est passée en force de chose jugée.

La situation effective de polygamie du conjoint étranger ou la condamnation prononcée à son encontre au titre de l’infraction définie à l’article 222-9 du code pénal, lorsque celle-ci a été

252 CE, 24 janv. 1994 et 11 févr. 1994, (1995), p. 108 (annotation Guiho); Michel Farge,

« Comment peut-on être polygame et acquérir la nationalité française? » (2005) 12 Droit de la famille 36–37; Jérôme Michel, « Le non-renouvellement de la carte de résident à une étrangère en situation de polygamie » (2003) 16 Actualité Juridique Droit Administratif 851–

854; Frédérique Niboyet, L’ordre public matrimonial, (2008) LGDJ 59; art. 21-24 C civ; Rép.

min. no 11002, 10 mai 1995, (1995) Rev. crit. DIP 879; Rép. min. du 2 déc. 2010, JO Sénat, p. 3166, à la question écrite no 13.547.

253 Carbonnier, op. cit. note 217, à la page 341.

254 France, Commission national consultative des Droits de l’Homme, « Avis sur la situation de la polygamie en France », Avis adopté le 9 mars 2006 (9 mars 2006).

255 art. 21-4 C civ.

commise sur un mineur de quinze ans, sont constitutives du défaut d’assimilation.

En cas d’opposition du Gouvernement, l’intéressé est réputé n’avoir jamais acquis la nationalité française.

Toutefois, la validité des actes passés entre la déclaration et le décret d’opposition ne pourra être contestée pour le motif que l’auteur n’a pu acquérir la nationalité française. »

La stipulation du Code civil citée est effectivement le résultat de la « loi Pasqua » de 1993, qui introduisait deux dispositions contre la polygamie dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 et donc une approche beaucoup plus stricte en ce qui concerne les titres de séjour pour les membres des familles polygamiques :256

« Article 15bis : « La carte de résident [dix ans] ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d’un tel ressortissant. Une carte de résident délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit être retirée ».

Et, plus loin, la loi stipule que les regroupements des familles polygamiques en France ne seront généralement plus possible :257

« Article 30 : « Lorsqu’un étranger polygame réside sur le territoire français avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial ne peut être accordé à un autre conjoint.

Sauf si cet autre conjoint est décédé ou déchu de ses droits parentaux, ses enfants ne bénéficient pas non plus du regroupement familial.

Le titre de séjour sollicité ou obtenu par un autre conjoint est, selon le cas, refusé ou retiré. Le titre de séjour du ressortissant étranger polygame qui a fait venir auprès de lui plus d’un conjoint, ou des enfants autres que ceux du premier conjoint

256 Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, JO, 29 août 1993, 1219 (modifiant l’Ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France) [« Loi Pasqua »].

257 Ibid.

ou d’un autre conjoint décédé ou déchu de ses droits parentaux, lui est retiré ».

La « loi Chevènement » de 1998 conserve les deux dispositions introduites par Charles Pasqua. Elle exclut, en outre, les étrangers qui vivent

« en état de polygamie » de la délivrance d’une carte de séjour temporaire (un an) dans cinq situations qui y donnent droit :258

« art. 12 bis 3 : résidence habituelle (non régulière) depuis au moins dix ans (quinze pour les étudiants) ;

art. 12 bis 4 : mariage avec un(e) Français(e) ;

art.12 bis 5 : conjoint d’un étranger titulaire de la carte de séjour « scientifique » ;

art. 12 bis 6 : père et mère d’un enfant français ;

art. 12 bis 7 : situation faisant que « les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d’autoriser [le] séjour porterait [au] droit au respect de [la] vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ».

En plus, selon le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’octroi d’une carte de séjour, temporaire ou de résident est subordonné au fait que l’étranger ne soit pas en état de polygamie. De même, l’étranger en situation irrégulière n’est pas protégé́ contre une mesure de reconduite à la frontière ou d’expulsion s’il est en état de polygamie.259

En 2011, l’idée d’une identité nationale avec des valeurs spécifiques a été confirmée par une loi260 qui clarifie l’article 21-24 du Code civil261 qui se lit maintenant comme suit :

258 Ibid.

259 arts. L541-1, L313-14, L314-9, L313-11, L511-4, L521-2, L521-3 Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile [C étrang]; Denis Besle, « Quel titre de séjour pour un réfugié polygame? » (2006) 1 Actualité juridique Droit Administratif 47–49.

260 Loi n°2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, JO, 17 juin 2011, 10290, art. 2.

261 art. 21-24 C civ.

« Nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’Etat, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République.

A l’issue du contrôle de son assimilation, l’intéressé signe la charte des droits et devoirs du citoyen français. Cette charte, approuvée par décret en Conseil d’Etat, rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française. »

Selon le législateur français, la polygamie va catégoriquement à l’encontre de l’égalité des sexes, une valeur essentielle de la République.262 Cette notion apparaît dans le décret no 2012-127 du 30 janvier 2012263 approuvant la Charte des droits et devoirs du citoyen français, un document qui doit être signé au moment d’obtenir la nationalité française. Finalement, l’article 21-4 du Code civil264 déclare « que la situation effective de polygamie du conjoint étranger est constitutive du défaut d’assimilation permettant au gouvernement de s’opposer, dans les délais indiqués, à l’acquisition de la nationalité française par ce conjoint étranger. En cas d’opposition du Gouvernement, l’intéressé est réputé n’avoir jamais acquis la nationalité française. »265

262 Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, 4 novembre 1950, 213 RTNU 221, STE 5, art. 14 [Convention européenne des droits de l’homme]; art. 21-24 C civ souligne que « l'homme et la femme ont dans tous les domaines les mêmes droits ».

263 Décret n° 2012-127 du 30 janvier 2012 approuvant la charte des droits et devoirs du citoyen français prévue à l'article 21-24 du code civil, JO, 31 janvier 2012, 1769.

264 art. 21-4 C civ; Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, JO, 25 juillet 2006, 11047.

265 Fadlallah, op. cit. note 97, au par. 50.