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Chapitre I : La prohibition directe

A) Code criminel et code pénal

Nous avons abordé l’histoire de la prohibition de la polygamie au Canada dans les premiers chapitres, et effectivement de nos jours la polygamie reste illégale au Canada selon l’article 293 du Code criminel, qui se lit comme suit :218

« 293.

(1) Est coupable d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans quiconque, selon le cas :

215 Korotayev et Bondarenko, « Polygyny and Democracy », op. cit. note 116.

216 Reference re: Section 293, op. cit. note 6.

217 Jean Carbonnier, Droit civil: La famille, Paris, Presses Univ. de France, 1979.

218 Code criminel, op. cit. note 4, art. 293.

a) pratique ou contracte, ou d’une façon quelconque accepte ou convient de pratiquer ou de contracter : (i) soit la polygamie sous une forme quelconque,

(ii) soit une sorte d’union conjugale avec plus d’une personne à la fois,

qu’elle soit ou non reconnue par la loi comme une formalité de mariage qui lie ;

b) célèbre un rite, une cérémonie, un contrat ou un consentement tendant à sanctionner un lien mentionné aux sous-alinéas a)(i) ou (ii), ou y aide ou participe.

(2) Lorsqu’un prévenu est inculpé d’une infraction visée au présent article, il n’est pas nécessaire d’affirmer ou de prouver, dans l’acte d’accusation ou lors du procès du prévenu, le mode par lequel le lien présumé a été contracté, accepté ou convenu. Il n’est pas nécessaire non plus, au procès, de prouver que les personnes qui auraient contracté le lien ont eu, ou avaient l’intention d’avoir, des rapports sexuels. »

En automne 2014, le gouvernement conservateur du Canada a introduit la Loi sur la tolérance zéro face aux pratiques culturelles barbares,219 qui modifie la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), la Loi sur le mariage civil et le Code criminel. La partie modifiant le Code criminel visait à clarifier que le fait, pour un célébrant, de célébrer sciemment un mariage en violation du droit fédéral constitue une infraction. De plus, le gouvernement demande « d’ériger en infraction le fait de célébrer un rite ou une cérémonie de mariage, d’y aider ou d’y participer, sachant que l’une des personnes qui se marient le fait contre son gré ou n’a pas atteint l’âge de seize ans ».220 Ensuite, le projet de loi prévoyait d’établir une infraction pour éviter le danger entrevu des mariages de jeunes filles mormones à des Mormons étrangers. Le Code criminel devrait alors condamner tout acte consistant à faire « passer à l’étranger un enfant avec l’intention qu’y soit commis un acte qui, s’il était commis au Canada, constituerait l’infraction de célébrer un rite ou une cérémonie de mariage, d’y aider ou d’y participer,

219 Loi sur la tolérance zéro, op. cit. note 8.

220 Ibid.

sachant que l’enfant se marie contre son gré ou est âgé de moins de seize ans. »221 La loi fut approuvée par la Chambre des communes le 16 juin 2015, et la Sanction royale fut accordée par le Gouverneur Général le 18 juin 2015.

Le gouvernement libéral élu en automne 2015 n’a pas exprimé l’intention d’abolir cette loi.

L’histoire de la polygamie en France est peut-être plus récente, mais comme au Canada, la polygamie constitue aussi en France un délit pénal. Le Code pénal français est clair :222

« Le fait, pour une personne engagée dans les liens du mariage, d’en contracter un autre avant la dissolution du précédent, est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

En réalité, il est très difficile de commettre ce délit en France, sauf s’il s’agit de défaillance dans l’instruction du dossier ou d’une tromperie par la production d’actes étrangers insuffisamment contrôlés.223 En plus, tout mariage célébré en France, même entre des étrangers, est entaché de nullité absolue dès lors que l’un au moins des conjoints est, au moment du mariage, engagé dans les liens d’un précédent mariage non dissous.224 De même, il importe peu que le mariage antérieur entaché de bigamie ait été dissous par divorce postérieurement à la célébration du second mariage - autrement dit : il n’y a pas de régularisation a posteriori.225 La Cour de cassation a d’ailleurs décidé qu’il importe peu que le second mariage soit célébré entre les deux mêmes personnes, déjà mariées une première fois.226

221 Ibid.

222 art. 433-20 C pén.

223 Voir par exemple CA Reims, 19 janvier 1976, (1976) JDI 916 (annotation Fadlallah).

224 CA Rouen, 29 nov. 2007, (2007) JurisData 2007-350794; CA Versailles, 1re ch., sect. 1, 20 déc. 1988, (1988) JurisData 1988-048417; CA Montpellier, 2 avr. 1990, (1990) JurisData 1990-000194; CA Paris, 14 janv. 1997, (1997) JurisData 1997-020023; CA Dijon, 25 mai 1995, (1995) JurisData 1995-046149; CA Montpellier, 21 oct. 2008, (2008) JurisData 2008-371508]; CA Metz, 5 déc. 2006, (2006) JurisData 2006-323039.

225 CA Paris, 12 févr. 2009, (2009) JurisData 2009-000851; CA Grenoble, 23 janv. 2001, (2002) Dr. Famille 2002, comm. 54; Marie Lamarche, « Ne confondons pas polygamie et bigamie! Distinguons unions légales et unions de fait », (2010) 7 Droit de la famille 3–4.

226 Cass civ 1re, 3 févr. 2004, (2004) JurisData 2004-022089.

Encore une fois, très rares sont les cas où les Cours au Canada ou en France sont confrontées à un cas de polygamie comme tel. Au Canada, par exemple, il n’y avait aucune application de l’article 293 du Code Criminel avant l’affaire Blackmore pendant plus de soixante ans. La prohibition de la polygamie est surtout appliquée et interprétée indirectement par les cours dans ces deux pays, il existe très peu de poursuites directes en vertu de l’interdiction de la polygamie. En effet, la jurisprudence des dernières décennies qui traite directement de la polygamie dans l’un ou l’autre des deux pays est l’affaire Blackmore, une des inspirations principales de la présente thèse.