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Chapitre II : La prohibition indirecte

B) L’application jurisprudentielle

Plusieurs arrêts illustrent l’application de cette législation sous plusieurs angles différents, et, afin de ne pas nous répéter, nous en parlons en détail dans la prochaine partie concernant les effets de la prohibition de la polygamie. Ce qui est important de retenir est le fait qu’en France la prohibition de la polygamie a le plus grand impact d’application jurisprudentielle sur les familles polygamiques en matière de nationalité et en ce qui concerne la condition des étrangers. Les stipulations du Code pénal et des stipulations civiles ne sont pas utilisées directement dans ces cas, mais l’état de polygamie mène indirectement à l’application des lois pertinentes.

Autrement dit, l’interdiction de la polygamie en France est exclusivement utilisée afin de déterminer l’obtention ou la perte de la nationalité française, ou, dans un premier temps, pour déterminer si on doit émettre un permis de séjour ou non.

2. La polygamie à l’encontre des valeurs

A) L’ordre public

Nous avons vu qu’au Canada, le juge dans l’arrêt Blackmore essaye de définir pourquoi le législateur continue de prohiber la polygamie dans ce pays. Selon lui, il s’agit surtout d’éviter les préjudices aux personnes vulnérables des familles polygamiques, comme les multiples femmes et les enfants. En France, le législateur classifie la polygamie généralement comme allant à l’encontre de l’égalité des sexes. Ce droit est considéré comme une valeur fondamentale de la nationalité française, malgré le fait que les unions polygamiques des étrangers contractées conformément à leur loi nationale peuvent produire des effets en France.266 Souvent, et plus généralement, l’ordre public et les bonnes mœurs sont les mots choisis pour décrire les valeurs de la République Française.

266 Question écrite no. 079930 de M. Louis Souvet (Doubs-RPR) et Réponse du ministère : Justice, JO Sénat, 5 avr. 1990, 726.

Malgré cette description qui essaie d’englober les valeurs qui devraient idéalement unir toutes les Françaises et tous les Français, le concept plus ou moins flou267 de l’ordre public est rarement analysé d’une façon approfondie devant les tribunaux, surtout dans le cadre de la polygamie. La législation et la jurisprudence n’analysent pas souvent en détail la nature exacte des violations contre l’ordre public, et il est présumé que toutes les Françaises et tous les Français partagent les mêmes valeurs. Généralement, la doctrine réfère au principe de l’égalité conjugale tel qu’il est exprimé dans la Déclaration universelle des droits de l’homme268 et dans le Code civil.269 L’auteure Madame F. Niboyet explique que, dans le contexte de l’ordre public en France, la polygamie « vient heurter de front notre conception du mariage et de l’égalité entre époux. »270 Il existe donc une certaine présupposition parmi les tribunaux, le législateur et la majorité de la doctrine en France qu’il existe une forme de mariage « nationale », qui reflète les valeurs de la population.

Le professeur Fadlallah est d’avis que « l’ordre public ne s’oppose pas au mariage potentiellement (ou virtuellement) polygamique, qui est un mariage encore monogamique en fait, mais appartenant à un système juridique admettant la polygamie ».271 Selon lui, le droit français a toujours traité le mariage polygamique sans discrimination, sauf lorsqu’il exige des déclarations en vue du séjour et de la naturalisation, et en limitant la polygamie coloniale par les options de législations. Il demande : « S’agit-il d’une rigueur accrue de l’ordre public, ou d’un consensus pour restreindre l’immigration ? »272

267 Frédérique Niboyet, L’ordre public matrimonial, Éditions Lextenso, Paris, 2008, à la page 1. 268 DUDH, op. cit., note 95, art. 16(1).

269 Art. 213 C civ.

270 Niboyet, op. cit. note 267, à la page 59.

271 Fadlallah, op. cit. note 97, au par. 12.

272 Ibid.

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légalement célébré à l’extérieur de la France sont reconnus par les tribunaux, puisqu’ils ne s’opposent pas à l’égalité des sexes. Nous allons parler de ces effets plus spécifiquement dans la prochaine partie.

Il reste à mentionner que l’ordre public matrimonial « reflète une certaine version du mariage » 280 qui n’est peut-être plus entièrement compatible avec la réalité de la vie familiale dans une France moderne. La professeure Mme Frédérique Niboyet démontre que l’ordre public matrimonial est en évolution rapide vers un ordre public parental,281 et que les nouvelles formes de familles mettent en question la définition de l’égalité des époux elle-même. Par exemple, les époux peuvent déroger du partage égal des biens selon l’article 1520 du Code civil, et, selon Mme Niboyet, l’ordre publique familial se transforme « de plus en plus vers un ordre public atténué et recentré sur la protection de la personne. »282

Au Canada, la nature plutôt floue de la notion de l’ordre public

« classique » n’a jamais convaincu les législateurs, et par conséquence il y a déjà eu dans ce pays une certaine reconnaissance de l’évolution de la notion de l’ordre public. Comme les grands experts des obligations au Québec J.-L.

Baudouin and P.-G. Jobin le constatent quand ils parlent de l’ordre public politique, moral, social et économique :283

« [l]a plupart des auteurs considèrent que les règles appartenant à l’une ou l’autre de ces catégories relèvent de l’intérêt général. Néanmoins, rares sont ceux qui ont tenté de définir ce concept. »

Plus tard, MM. Baudouin et Jobin constatent que « …la protection des personnes vulnérables et les droits et libertés de la personne ont remplacé la religion et ont même supplanté la morale comme bases des règles d’ordre

280 Niboyet, op. cit. note 267, à la page 13.

281 Ibid., à la page 366.

282 Ibid., à la page 3 ; A. Bénabent, « L’ordre public en droit de la famille », dans Thierry Revet (dir), L’ordre public à la fin du XXe siècle, Paris, Dalloz, 1996, à la page 27.

283 Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations 5e éd., Cowansville, Québec, Éditions Y. Blais, 1998, à la page 153.

public ‘moral’ ».284 C’est la raison pour laquelle ce concept n’est plus utilisé au Canada, et nous allons voir plus tard qu’il y a aussi de plus en plus d’auteurs français qui doutent du fait qu’il faille continuer à utiliser le concept de l’ordre public en droit.