• Aucun résultat trouvé

LA NAISSANCE DU MÉCANISME ET LA LÉGENDE CARTÉSIENNE

Retour à la table des matières

Les humanistes de la Renaissance ont prophétisé à peu près toutes les sciences humaines, mais ils n'en ont réalisé aucune. Au cours de leurs entreprises dans tous les domaines de la vie de l'esprit, ils ont mis en mouvement certaines idées, dont le cheminement ne s'arrêtera plus. Seulement les conditions préalables ne sont pas réunies pour que ces idées se systématisent et donnent naissance à la science de l'hom-me. Et la première de ces conditions est la création d'un nouveau chif-fre d'intelligibilité, définissant le statut d'une science rigoureuse dans quelque ordre que ce soit. L'apparition de ce nouveau modèle épisté-mologique marque l'avènement de la pensée moderne.

L’idée d'une science rigoureuse, constituée en système intelligible autonome, intervient d'abord dans la mathématique ancienne, où la géométrie d'Euclide la présente à un rare degré de perfection. Il est vrai que cette géométrie demeure prisonnière du contexte métaphysi-que et esthétimétaphysi-que de la culture grecmétaphysi-que, mais, par son souci de préciser d'entrée de jeu les éléments au départ de son système, Euclide mérite

d'être considéré comme le premier des non euclidiens. Son chef-d'œuvre demeure d'ailleurs très longtemps isolé. En mathématique, l'esprit ne rend de comptes qu'à l'esprit ; il se donne lui-même les conditions de son exercice, de sorte qu'il lui est possible, mieux que partout ailleurs, de déterminer les tenants et les aboutissants de son activité. Il n'en va plus de même lorsque le raisonnement implique le monde et s'efforce de rendre compte de la réalité globale dans laquelle l'homme se trouve englobé. L'esprit n'est plus ici le maître d'un jeu dont il peut graduer les difficultés. Les cosmologies anciennes, les systèmes du monde, depuis Eudoxe et Ptolémée jusqu'à Copernic, ne comportent pas une rigueur sans fêlure : ils doivent faire entrer en li-gne de compte des éléments plus ou moins aberrants pour justifier l'extrême complexité des phénomènes. À l'intérieur même du système explicatif se projettent des influences et des exigences extrinsèques qui le maintiennent sous un régime d'hétéronomie. La physique appa-raît tributaire d'une métaphysique dogmatique sans laquelle elle per-drait toute consistance.

C'est au début du XVIIe siècle seulement que s'affirme le nouveau statut de la théorie physique. Les trois lois de Kepler, formulées de 1609 à 1618, si on les sépare, comme il est possible, de leur contexte métalogique, définissent en termes mathématiques un noyau d'intelli-gibilité rigoureuse. Seulement [76] Kepler lui-même demeure prison-nier du schéma de l'ancienne astrobiologie, de sorte que la portée de sa découverte le dépasse. Le grand nom est celui de Galilée, qui situe la langue nouvelle du formulaire mathématique dans un univers, enco-re inconnu dans sa masse, mais du moins libéré de toute occupation mythique. « Peut-être la philosophie moderne, écrit M. Gouhier, commence-t-elle au moment où les anges cessent de peupler l'uni-vers 85

85 Henri GOUHIER, La philosophie de Malebranche et son expérience reli-gieuse, Vrin, 1926, p. 60.

. » La préoccupation de Galilée est d'établir au sein de l'expé-rience des relations intelligibles, en langage chiffré, entre les divers facteurs qui se trouvent en jeu. Cette exigence lui permet d'obtenir un certain nombre de résultats précis, en dehors de tout présupposé ma-gique, naturaliste ou théologique. Il entreprend, sur des points précis, de déchiffrer le grand livre du monde, dont il pose en principe, dans un texte célèbre, qu'il est écrit en termes mathématiques.

Le mérite de Galilée, d'ailleurs grandi par les persécutions subies pour la cause de la vérité, doit être pleinement reconnu, en dépit du

« tenace déni de justice qui, au dire de Louis Rougier, s'est perpétué jusqu'à nos jours. Pour les Anglo-Saxons, le père de la pensée moder-ne est le chancelier Bacon ; pour les Français, c'est René Descartes. Or Galilée les précède, les complète et les dépasse. Bacon n'a vu dans la procédure scientifique que le rôle de l'expérience ; Descartes, que ce-lui de la déduction mathématique. Galilée, après Léonard de Vinci, il est vrai, a su comment associer mathématiques et expérience pour fonder la science quantitative des modernes. Le préjugé baconien et le préjugé cartésien sont si tenaces qu'il n'existe, à la seule exception des Mécaniques de Galilée traduites au XVIIe siècle par le père Mersenne, aucune édition française de ses œuvres maitresses, ce qui est propre-ment scandaleux » 86

L’œuvre scientifique de Galilée, dans l'ordre de l'astronomie, s'ap-puie sur l'emploi de la lunette, qui permet désormais l'observation pré-cise du système solaire, auquel se limite l'univers de ce temps. Pen-dant les dernières années du XVI

.

e siècle et les premières du XVIIe

86 Louis ROUGIER, La lettre de Galilée à la grande duchesse de Toscane, Nouvelle N.R.F., novembre 1957, p. 1000. Rougier ajoute que depuis un siècle aucun ouvrage d'ensemble « n'a été consacré dans notre pays à cet extraordinaire génie, alors que l'on compte tant de thèses de doctorat qui se répètent inlassablement sur Descartes ». Il faut néanmoins tenir compte des 3 fascicules des Etudes Galiléennes de KOYRÉ (Hermann, 1939). Mais el-les ne constituent pas la synthèse plénière dont on aurait besoin.

, Galilée multiplie les découvertes : relief particulier et phases de la lu-ne, phases de Vénus, taches solaires, satellites de Jupiter. Ces faits d'observation, complétant les travaux de Copernic et de Képler, per-mettent de détruire le schéma astrobiologique qui règne depuis des millénaires sur l'imagination métaphysique des hommes. Les astres perdent leur divinité ; l'espace mythique du ciel devient un espace physique dans lequel les révolutions sidérales correspondent au deve-nir d'un système mécanique, dont on peut calculer avec précision tous les mouvements. Et, dans un second aspect de son œuvre, Galilée dé-montre l'unité de la mécanique céleste et de la mécanique terrestre.

Les mêmes principes, les mêmes lois font autorité sur la terre comme au Ciel. L'espace dans sa totalité devient un lieu géométrique ; la

sta-tique et la dynamique nouvelles rendent raison du repos ou du mou-vement, des déplacements réciproques de tous les corps.

À partir de Galilée, le système du monde, dépouillé de ses attributs surnaturels, fait donc l'objet d'une science rigoureuse. Galilée pour sa part [77] crée la possibilité de cette science plutôt que cette science elle-même. Il en définit certains éléments, dont la mise en œuvre complète et la synthèse seront réalisées moins d'un siècle plus tard, dans l'œuvre de Newton. Dès le début du XVIIe

L'ensemble de ces acquisitions définit un nouveau modèle épisté-mologique, correspondant à l'interprétation mécaniste de la réalité.

L'apparition du mécanisme est un événement intellectuel capital : il consacre la fin de la préhistoire renaissante, et fournit désormais les voies et moyens de toute connaissance positive. A vrai dire, Galilée n'est pas seul en cause ; si sa figure, à cause de son génie propre et de son relief historique, paraît concentrer en soi l'essentiel du moment intellectuel, elle se trouve en fait escortée et soutenue par d'autres qui, travaillant dans le même esprit, contribuent à expliciter et à diffuser les nouvelles doctrines. La méthode de Galilée affirme, selon Koyré,

« la primauté de la théorie sur les faits » ; elle utilise « le langage ma-thématique (géométrique) pour formuler des questions à la nature et les réponses de celle-ci ». Mais la physique expérimentale n'a pas été créée d'un seul coup ; et Galilée lui-même, s'il la conçoit, ne la réalise guère pour sa part. Son travail d'expérimentateur est « pratiquement sans valeur », en dépit de la légende créée autour de lui par les histo-riens positivistes, et les savants, du XIX

siècle, la vole est ou-verte ; les nouvelles structures mentales sont définies, et le langage approprié pour répondre à leurs exigences est en voie de constitution.

Le progrès des mathématiques, l'apparition de l'algèbre, de l'analyse géométrique et bientôt du calcul infinitésimal fournissent à la physi-que, au moment même où ils devenaient indispensables, les moyens d'expression appropriés.

e siècle. « En fait, ajoute Koyré, Galilée se trompe chaque fois qu'il s'en tient à ce 87

87 A. KOYRÉ, Les Origines de la Science moderne, Diogène, 16, 1956, p. 38.

. » Rien de très surprenant en tout cela. La science moderne n'est pas sortie tout armée du cerveau du seul Galilée. Il fut le grand inspi-rateur ; à partir de lui, la doctrine mécaniste se forme.

Elle se forme d'ailleurs avec une étonnante rapidité, en divers points de l'Europe savante, et sans que l'on puisse attribuer en toute certitude le mérite de la première initiative à ci plutôt qu'à celui-là. Robert Lenoble, l'un des meilleurs connaisseurs de cette période, observe avec raison : « l'apparition d'une doctrine neuve dans la scien-ce est comparable à scien-celle d'un type nouveau en biologie ; elle explose partout à la fois. Dans le même temps, elle illumine des savants qui s'ignorent et travaillent chacun de leur côté. C'est un phénomène de ce genre qui se produit entre 1600 et 1640, lorsqu'aux quatre coins de l'Europe tous les esprits sensés se mettent à produire les principes qui fondaient la science nouvelle. L'explication d'un phénomène de cette ampleur ne se trouve pas, sans doute, dans le seul progrès de la tech-nique. On peut penser à une crise d'extraversion de la conscience col-lective, qui devient capable de quitter la Natura mater pour concevoir une nature mécaniste. Les querelles d'érudits ne feraient qu'en mas-quer la simplicité et la grandeur 88. » La doctrine mécaniste s'élabore grâce aux recherches à la fois spéculatives et expérimentales d'un groupe de grands esprits, tous partisans, correspondants et admirateurs de Galilée. Les plus remarquables d'entre eux sont Gassendi, Mersen-ne et Hobbes ; mais leur réflexion se situe au milieu de tout un mou-vement d'idées fort actif, qui poursuit hardiment une révision des va-leurs intellectuelles. [78] René Pintard qui, avec beaucoup d'érudition, a étudié ce groupe de libres esprits, a donné à leur entreprise le nom de « libertinage érudit » 89

Ici se manifeste un des malentendus essentiels de la légende dorée philosophique, selon laquelle Descartes serait l'inventeur de la philo-sophie nouvelle, et plus particulièrement l'inspirateur du mécanisme.

En fait le Discours de la Méthode, manifeste cartésien suivi des « es-sais » scientifiques de cette méthode, paraît en 1637 seulement, c'est-à-dire à un moment déjà tardif, où la doctrine mécaniste a été déjà di-versement affirmée par plusieurs des contemporains. Il faut d'ailleurs noter que, par une rencontre singulière, Descartes se trouve être l'ad-versaire de tous les tenants de la pensée nouvelle, qui se rangent parmi ses contradicteurs. Descartes méprise Galilée, son aîné de trente-deux

.

88 Robert LENOBLE, Origines de la pensée scientifique moderne, dans His-toire de la Science, Encyclopédie de la Pléiade, N.R.F., 1957, p. 479.

89 René PINTARD, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, 2 volumes, Boivin, 1943.

ans, qu'il traite de très haut, et auquel il se défend de devoir quoi que ce soit. Il voit en lui une sorte de brocanteur de la physique, un gagne-petit, incapable de s'élever jusqu’à ces vues systématiques et métaphy-siques dont lui-même se fait gloire 90. Entre Descartes et Gassendi, les relations ne sont pas meilleures. Les Cinquièmes Objections de Gas-sendi aux Méditations de Descartes, et les Réponses cartésiennes à ces objections réalisent une sorte de duel homérique, où s'affirme un mé-pris réciproque. Quant à Hobbes, autre objecteur aux Méditations, avec qui Mersenne aurait voulu le mettre en relations, Descartes ne le traite pas mieux : « je crois que le meilleur est que je n'aie point du tout de commerce avec lui (...) car nous ne saurions guère converser ensemble sans devenir ennemis 91

Tout ceci atteste clairement que pour Descartes la vertu cartésienne de générosité n'intervient pas dans les relations intellectuelles. Il est vrai de tout temps que les philosophes ne s'aiment pas entre eux, et parfois d'autant moins qu'ils sont du même bord. Néanmoins, si l'on ajoute à ces textes le fait que le père Mersenne lui-même, dont la tra-dition fait l'inlassable secrétaire et l'enfant de chœur de Descartes, se rangeait en réalité du côté des contradicteurs dont il transmettait les arguments, on est bien obligé d'admettre que Descartes ne faisait pas autorité en son temps comme dans le nôtre.

. »

92 L'histoire du cartésia-nisme est une histoire romancée, et ceci depuis Baillet, le premier ha-giographe. Telle est l'opinion de Robert Lenoble, qui a consacré un important ouvrage à l'oeuvre propre de Mersenne : « Quand on vient au XVIIe

90 Cf. la lettre de Descartes à Mersenne du 11 octobre 1638, dans Œuvres et Lettres de Descartes, Bibliothèque de la Pléiade, N.R.F., p. 1024 sq.

siècle par Descartes, écrit-il, on s'imagine volontiers que les novateurs de moindre importance n'ont fait qu'ébaucher, ou alors dé-former maladroitement, la doctrine du philosophe, qui serait née dans son seul cerveau par un effet de génération spontanée. De là est venue l'habitude qu'on a prise d'identifier cartésianisme et pensée moderne,

91 Cf. la Correspondance avec Mersenne, qui a transmis à Descartes les objec-tions de Hobbes aux Méditaobjec-tions, édition Adam-Tannery, t. II, p. 172 sqq.

Le texte cité ici figure dans la lettre du 4 mars 1641, A. T., III, p. 320.

92 Cf. Robert LENOBLE, Mersenne ou la naissance du Mécanisme, Vrin, 1943, p. 611-612, qui signale la « totale indifférence de Mersenne et de son groupe pour tout ce qui est cartésien dans le cartésianisme, c'est-à-dire tout ce qui dépasse la pure physique mécaniste ».

et de juger en fonction de Descartes des penseurs en fait aussi origi-naux que Mersenne, Beeckman, Gassendi, Roberval, Hobbes, dont plusieurs attendent encore un historien digne d'eux 93

[79]

. »

Si l'on entreprend de corriger cette illusion d'optique rétrospective, on aperçoit que la « philosophie nouvelle » s'est formée d'abord en dehors même de Descartes, sous l'influence de l'exigence rationnelle à laquelle la découverte du principe d'inertie ouvrait de larges débou-chés. « Le mécanisme est sorti de ce désir et de ces expériences, af-firme Lenoble, de la rencontre d'un vœu de l'esprit avec les résultats qu'assuraient les premières recherches mathématiques sur la nature. Il constitue l'essence de la « philosophie nouvelle » ; il est toute la philo-sophie nouvelle. Or on peut écrire l'histoire de la naissance du méca-nisme sans parler de Descartes. Nous avons été surpris tout le premier de le pouvoir faire... 94 » La même surprise attend d'ailleurs celui qui, sans se préoccuper du préjugé établi selon lequel les adversaires de Descartes sont nécessairement des imbéciles, entreprend d'étudier pour elle-même l'oeuvre scientifique et philosophique de Gassendi.

Tout en soulignant certaines déficiences, Koyré note à ce sujet : « Si, pour nous, Gassendi n'est pas un grand savant, pour ses contempo-rains c'en était un, et même un très grand, l'égal et le rival de Descar-tes. En fait, l'influence de Descartes sur ses contemporains n'a pas été très grande 95

Selon Koyré, c'est à Gassendi (1592-1655) qu'il faut attribuer l'honneur d'avoir fourni ses fondements philosophiques à la science délivrée de l'aristotélisme scolastique. Gassendi restaure l'épicurisme, qui permet l'explication des phénomènes par des combinaisons diver-ses d'atomes dans le vide. Par là, il se trouve être le précurseur des théories corpusculaires de la lumière qui s'affirmeront au XVIII

. »

e

93 Ibid., p. 3.

siè-cle, mais surtout « il contribue plus que quiconque, estime Koyré, à la réduction de l'être physique au mécanisme pur, avec tout ce que celui-ci implique, à savoir l'infinitisation du monde consécutive à l'automa-tisation et l'infinil'automa-tisation de l'espace et du temps, et la subjectivisation

94 LENOBLE, op. cit., p. 606.

95 A. KOYRÉ, Gassendi : le savant, dans : Pierre Gassendi, Centre Internatio-nal de synthèse, A. Michel, 1955, p. 61.

des qualités sensibles » 96. L'espace physique devient un espace men-tal où l'esprit humain peut librement déployer son pouvoir combina-toire selon les directives de l'art mathématique. La résurrection de l'atomisme antique a permis à Gassendi de « donner une base philoso-phique, une base ontologique à la science moderne » 97

À vrai dire, les mêmes découvertes étaient également réalisées, à la même époque, par la pensée résolument novatrice de l'anglais Thomas Hobbes (1588-1679), ami lui aussi de Mersenne et de Gassendi. Le système de Hobbes se présente comme un mécanisme rigoureux qui prétend rendre compte de la réalité dans son ensemble par des combi-naisons de mouvements selon des normes strictement mathématisa-bles. « Ceux qui font des recherches de philosophie naturelle (c'est-à-dire de physique), écrit Hobbes, cherchent en vain, s'ils n'empruntent à la géométrie le principe de leur recherche. Et ceux qui écrivent ou dis-sertent de physique sans connaître la géométrie, abusent de leurs lec-teurs et de leurs audilec-teurs » (De Corpore, VI, 6, 1655). Hobbes tirera de ces principes non seulement une physique, mais une anthropologie et une sociologie d'une rigueur extraordinaire ; la réalité humaine dans son ensemble se trouve ainsi réduite à une même intelligibilité

.

98

Il apparaît donc bien que Descartes, en dépit de sa légende, n'est pas le seul inventeur de la philosophie moderne. Celle-ci procède des recherches de Galilée, et se développe au début du XVII

.

e siècle chez plusieurs penseurs [80] qui l'élaborent simultanément. En pareil cas, la question de priorité ne peut guère être tranchée avec une certitude suf-fisante : les dates de publication elles-mêmes n'ont pas une valeur ab-solue. En fait, l'idée mûrit dans un milieu intellectuel dont les mem-bres vivent, chacun pour sa part, l'aventure de cette transformation de l'attitude de l'homme à l'égard de l'univers. Plus profond que les re-cherches scientifiques et les systèmes philosophiques, l'événement décisif doit consister dans une véritable mutation spirituelle. Comme le dit Robert Lenoble, « de toute évidence, les principes ont été anté-rieurs à la découverte des faits, ils n'en dérivent pas » 99

96 Ibid., p. 68-69.

. Et les

princi-97 Ibid., p. 69.

98 On pourra consulter : Bernard LANDRY, Hobbes, Alcan, 1930.

99 LENOBLE, L'évolution de l'idée de Nature du XVIe au XVIIIe siècle, Revue de métaphysique et de morale, 1953, p. 120.

pes eux-mêmes ne font qu'élucider et systématiser la prise de cons-cience d'un nouveau rapport au monde. « Pour les fondateurs de la pensée moderne, écrit encore Lenoble, la représentation mathématique de la nature n'a pas été le résultat d'une induction, au sens dit baconien du terme, mais une nouvelle vision des choses, relative elle-même à une nouvelle prise de position 100

Ainsi se trouve détruit le mythe universitaire de la précellence car-tésienne : Descartes n'est pas le héros qui liquide l'obscurantisme mé-diéval, et, refoulant dans son ombre la nuée de ses contradicteurs at-tardés ou stupides, crée de toutes pièces la pensée moderne. En fait, comme nous l'avons montré, Descartes n'est ni le premier, ni le seul. Il ne s'impose nullement, en son temps, comme le maître souverain ; il rencontre parmi ses pairs plus d'oppositions que d'assentiments

. »

101. Dans le domaine de l'interprétation de la nature, il n'a pas inventé le mécanisme ; il a seulement mis en œuvre des thèmes qui s'affirmaient dans la conscience de son époque. Au surplus, si son œuvre mathéma-tique est riche d'avenir, sa physique est proprement ruineuse. Elle consacre, en pleine contradiction avec sa géométrie, un retour aux jeux de l'imagination spatiale, que l'évolution ultérieure du savoir va

101. Dans le domaine de l'interprétation de la nature, il n'a pas inventé le mécanisme ; il a seulement mis en œuvre des thèmes qui s'affirmaient dans la conscience de son époque. Au surplus, si son œuvre mathéma-tique est riche d'avenir, sa physique est proprement ruineuse. Elle consacre, en pleine contradiction avec sa géométrie, un retour aux jeux de l'imagination spatiale, que l'évolution ultérieure du savoir va