• Aucun résultat trouvé

LA SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE DE LA CULTURE MÉDIÉVALE

Retour à la table des matières

Rome a donné à l'Occident sa structure politique, administrative et juridique. Elle a défini les frontières, l'articulation géographique, le réseau des communications, mais elle n'a rien apporté de nouveau dans l'ordre intellectuel et spirituel. La culture grecque, née de la cité, s'est élevée, avec le stoïcisme et l'épicurisme, jusqu'à l'échelle de l'empire. Les Romains n'ont pas ajouté à ce trésor, qu'ils ont annexé par droit de conquête. Ils ont été en fait des barbares qui ont réussi.

Plus doués que ceux qui devaient suivre, ils ont apporté l'autorité qui donne la paix, la technique qui assure la prospérité. Mais le grand corps romain conserve, pour l'essentiel, une âme hellénique.

Avec les siècles ce grand corps se décompose. Le pourrissement insensible de l'autorité prépare un nouvel âge de l'histoire, qui s'intro-duit sans coupure bien nette, au cours de siècles obscurs où l'accrois-sement des menaces extérieures accompagne la lente montée de l'anarchie interne. Un beau jour, la communauté vitale de l'Empire ayant disparu, il ne reste de lui qu'un squelette morcelé dans lequel les

barbares se sont établis sans en modifier pourtant l'ossature d'ensem-ble. La seule innovation morphologique, d'ailleurs considérable, est le divorce de l'Orient et de l'Occident, introduit par l'Islam, que la conquête arabe développe tout autour de la Méditerranée. Ce remem-brement politique et géographique inscrit sur la face de la terre l'oppo-sition des deux spiritualités qui se partagent désormais le monde civi-lisé : à Mahomet, témoin de l'Orient, s'oppose Charlemagne, mainte-neur de l'Occident, et l'offensive islamique, d'abord victorieuse, susci-te la contre-offensive de la croisade, les deux guerres sainsusci-tes finissant à la longue par se neutraliser, dans une situation d'équilibre.

Le dialogue belliqueux de l'Islam et de la Chrétienté atteste le pa-radoxe des temps nouveaux : désormais ce sont les valeurs religieuses qui assurent l'unité des camps en présence. Les liens politiques, prin-cipes de souveraineté et de dépendance, ne suffisent plus, à eux seuls, à assurer la cohésion des groupements humains ; ils doivent eux-mêmes passer par la médiation d'une communauté d'invocation trans-cendante. Le Moyen Age, dans l'ordre politique, se caractérise par le système féodal, qui cristallise en institutions hiérarchiques la réaction de défense contre les menaces en tout genre et l'insécurité générale, une fois abattu le rempart que l'organisation de l'Empire opposait aux envahisseurs du dehors. L'émiettement féodal de l'autorité [44] cor-respond à une restriction considérable de l'espace vital ; l'horizon se rapproche, le cadre immense de l'Empire, océan de paix et d'ordre, se rétrécit jusqu'aux limites précaires de la seigneurie, lieu de repli et d'asile, comme un îlot battu par des courants menaçants.

La différence d'échelle est donc considérable entre le monde anti-que et le monde médiéval, où les divers groupements humains font figure de cantonnements, en situation d'état de siège, ou tout au moins toujours sur le qui-vive. Dans le vide hostile qui s'étend au-delà du premier horizon, une seule influence peut venir s'imposer aux particu-larismes féodaux et à leurs hiérarchies antagonistes : celle de l'Eglise de Rome, dont la prépondérance s'affirme lentement et qui, d'abord auxiliaire du pouvoir impérial, finit par revendiquer l'héritage de ce pouvoir disparu. La fausse donation de Constantin, par laquelle l'em-pereur aurait cédé sa souveraineté à la papauté, exprime à sa manière cette vérité rétrospective du passage de la première à la deuxième Rome, de l'Imperium Romanum à la Romania médiévale. Dans l'ordre politique, il est vrai, la transmission des pouvoirs n'ira pas sans

diffi-culté : l'ambition pontificale, souvent menacée par les divisions inter-nes de l'Eglise elle-même, se heurtera aux prétentions opposées des seigneurs temporels, des empereurs et des rois. De là cette lutte pour la suprématie, dont les vicissitudes alternées seront tantôt le guet-apens de Canossa (1077), tantôt le guet-guet-apens d'Anagni (1303) : la Renaissance verra l'échec définitif de la monarchie pontificale dans ses espérances d'une souveraineté totalitaire.

Mais il en a été autrement dans le domaine culturel : la spiritualité médiévale tout entière se constitue dans les cadres élaborés par l'Egli-se. La Romania n'est pas un rêve, elle définit la réalité d'un vaste sys-tème de civilisation qui assure l'unité de l'Occident, fait régner l'ordre entre les esprits et dans les cœurs. Cette réussite, rare, au prix d'un ef-fort séculaire, fait du Moyen Age une époque d'unanimité dont les gé-nérations à venir conserveront la nostalgie. En ce temps où n'existent encore ni la nation, ni l'État, ni la patrie, au sens moderne du terme, la spiritualité chrétienne définie par l'Eglise, incarnée par ses hommes et codifiée par ses institutions, fournit à la communauté humaine le ca-dre d'ensemble de son existence et le lieu de son regroupement en es-prit et en vérité. La structure intellectuelle de l'Occident est le résultat de cette patiente élaboration, aussi décisive qu'imprévisible.

Les témoins initiaux du christianisme sont des hommes simples et obscurs, engagés dans une aventure qui paraît tout à fait dispropor-tionnée, si l'on songe à la faiblesse de leurs moyens. Parmi ces hom-mes sans culture, l'apôtre Paul, juif et citoyen romain, fait figure de premier intellectuel et de premier théologien. Mais le christianisme primitif, qui lutte pour la reconnaissance dans le cadre de l'Empire à l'apogée de sa puissance, demeure étranger à la culture régnante, dont il remet en question certaines valeurs essentielles. Lorsque le phéno-mène chrétien devient suffisamment visible pour attirer sur lui l'atten-tion des sages, ce sont les éléments d'antagonisme et de rupture qui se font d'abord sentir. Une polémique s'engage, qui s'échelonnera sur plusieurs siècles, entre les tenants de l'esprit nouveau et les intellec-tuels païens, défenseurs des grandes traditions classiques. Dialogue pathétique, au cours duquel on verra des professeurs, des publicistes, des empereurs même, un Marc Aurèle, un Julien, fidèles aux trésors du passé, affronter les premiers Pères de l'Eglise et les docteurs qui ont reçu l'enseignement du Christ.

Le débat ne trouvera pas sa conclusion sur le plan même de la po-lémique ; il sera non pas résolu, mais dépassé, lorsque s'établira une situation nouvelle, et après les âges de persécution viendra la conver-sion de Constantin. L'Église, [45] forte du triomphe politique grâce auquel elle a pu s'identifier avec le pouvoir établi, se laissera à son tour, peu à peu, vaincre par sa victoire. À la polémique succèdent la négociation et le compromis ; le christianisme triomphant ne se sent plus menacé dans son existence même ; il peut à sa guise organiser le terrain conquis. Telle est l'œuvre des pères de l'Eglise un Ambroise, un Augustin, eux-mêmes formés aux disciplines traditionnelles et qui, doués d'une grande envergure intellectuelle, ne répugnent plus à ver-ser le vin nouveau dans les vieilles outres. Ils rendront possible la syn-thèse doctrinale, autour de laquelle va se regrouper l'espace mental de l'Occident.

La culture qui s'élabore est dominée dans son ensemble par le pré-supposé de la révélation judéo-chrétienne, dont l'exigence servira de principe régulateur à la nouvelle organisation du savoir. Seulement cette révélation s'affirme à l'origine dans l'espace mental et social du peuple juif, défini par les livres de l'Ancien Testament. Ce patrimoine traditionnel d'un peuple oriental est géré par la classe des rabbins, commentateurs et docteurs de la loi, dans l'esprit d'un conservatisme assez étroit. La naissance du christianisme, son expansion rapide et son imprévisible victoire impliquent une certaine rupture avec la spiri-tualité juive. La nouvelle foi, si elle ne supprime pas la Loi, s'efforce de l'accomplir dans un esprit nouveau ; elle se désolidarise de la communauté ethnique, et son prosélytisme s'adresse victorieusement aux hommes de toutes les nations. Le christianisme triomphant doit rendre dans l'Empire romain, bon gré mal gré, le contrôle d'une cultu-re beaucoup plus large que celle du peuple hébcultu-reu et de la synagogue.

Les procédures canoniques des rabbins orientaux, d'ailleurs dénoncées par le Christ lui-même, ne peuvent pas suffire aux exigences des intel-lectuels formés dans l'esprit des grandes traditions classiques.

C'est pourquoi, après la tension des premiers conflits de culture, où les chrétiens intransigeants affirment à l'égard des valeurs antiques une sorte de terrorisme, à la manière d'un Tertullien, l'heure vient d'une nouvelle synthèse doctrinale. La nécessité s'impose d'emprunter au stock de la culture gréco-latine un équipement mental à la mesure du nouveau monde spirituel et politique, auquel le christianisme a

im-posé sa marque. Cette oeuvre de récupération reprendra comme un butin de guerre la philosophie de la nature et la philosophie de l'esprit, élaborées par les Anciens, et qui demeuraient disponibles ; elles seront réutilisées telles quelles, à la seule condition de se situer désormais dans la perspective de la Révélation. Les fondements de la culture oc-cidentale sont le produit de cette alliance entre deux spiritualités pri-mitivement étrangères l'une à l'autre.

Il s'agit en fait d'une œuvre de très longue haleine, qui trouvera son apogée dans l'Europe chrétienne du XIIe et du XIIIe

De là le caractère, assez souvent méconnu, de la culture médiéva-le : elmédiéva-le est une culture sur fond de mémoire. La conscience subsiste d'un immense capital mis en sommeil, stocké dans certaines bibliothè-ques, et depuis longtemps délaissé. Tel est le sens (le la parole (le Bernard de Chartres, selon lequel les hommes de son temps sont comme des nains juchés sur l'épaule de géants qui les ont précédés. Le progrès ne peut consister que dans la récupération des trésors perdus.

C'est pourquoi les plus hauts moments de l'intelligence médiévale sont qualifiés de « renaissances » : des traducteurs, des compilateurs, pen-dant certaines périodes de répit, redécouvrent certaines œuvres siècle, après un millénaire d'efforts. En effet, le travail des docteurs se trouve sans cesse remis en question par les grands courants de l'histoire qui déchi-rent les communautés humaines pendant les siècles obscurs du haut moyen âge. Dans l'universel naufrage de la civilisation antique, les humanistes chrétiens font œuvre de sauveteurs, tel l'évêque Augustin rédigeant sa Cité de Dieu sous le coup de la prise de Rome par les Wi-sigoths d'Alaric (410), en attendant de mourir lui-même dans sa ville d'Hippone assiégée par les Vandales. C'est pourtant l'âge fécond des Pères de l'Eglise, saint Ambroise, saint Jérôme, Paul Orose en Occi-dent, auxquels fait écho le groupe génial des Pères d'Orient. Mais si l'empire d'Orient jouit encore d'un long délai, avant d'être définitive-ment abattu, l'Occident est plus mal partagé. Submergé, disloqué par la barbarie triomphante, il doit consacrer toute sa force à survivre.

Pour gagner le conquérant à sa cause, l'Eglise se met à son niveau, se contentant, pendant des siècles, d'une sorte de minimum vital intellec-tuel. La haute culture, [46] inutile à l'évangélisation des guerriers, est mise en sommeil, et l'on se consacre d'abord aux tâches urgentes qui posent souvent aux responsables du peuple chrétien des questions de vie ou de mort.

ciennes, les condensent en manuels de qualité médiocre, mais qui néanmoins s'imposent pour longtemps aux lettrés. Ainsi en est-il dès le VIe siècle, lorsque le despotisme éclairé du barbare Théodoric tente une timide restauration des valeurs anciennes, illustrée par les noms de Boèce, Fulgence et Cassiodore. Plus tard, au temps de Charlema-gne, s'affirmera la renaissance carolingienne, si modeste encore lors-qu'on songe au grand épanouissement médiéval, qui se produit au XIIe et au XIIIe siècle 54

L’élaboration de la nouvelle culture se poursuit dans le système des institutions ecclésiastiques. Les monastères, les chapitres jouent d'abord le rôle de véritables conservatoires culturels. Puis apparaissent les universités dont le réseau dessine à travers l'Europe chrétienne une géographie du savoir : Bologne d'abord (1088), puis Salerne, Paris (1150), dont le pape. Alexandre IV pourra dire, dans la bulle Quasi lignum vitae . « La science des écoles de Paris est dans l'Eglise com-me l'arbre de Vie dans le Paradis terrestre ou comcom-me une lampe qui éclaire le temple de l'âme (...) C'est à Paris que la race humaine, défi-gurée par le péché originel et aveuglée par l'ignorance, retrouve sa faculté de vision et sa beauté, grâce à la connaissance de la vraie lu-mière diffusée par la science divine. » Le XIII

. Alors seulement la Romania trouve son équilibre intellectuel et spirituel, définissant les structures maîtresses de la chré-tienté d'Occident.

e siècle verra se multi-plier ces centres de recherche et d'enseignement. Padoue, Salamanque, Naples, Toulouse, Oxford et Cambridge, Séville, Montpellier, que viendront compléter au XIVe

54 Cf. Paul RENUCCI, l'Aventure de l'humanisme européen au Moyen Age, Belles Lettres, 1953,

siècle, les universités de Coimbra, Pra-gue, Cracovie, Vienne, Heidelberg... L'Europe savante et pensante est en train de naître. Un nouveau type d'homme, le lettré, y administre le nouveau savoir de la communauté chrétienne, la scolastique. Certaines universités se spécialisent dans le droit ou la médecine ou la théologie, mais entre toutes s'établit une incessante circulation des hommes et des idées, facilitée par l'existence d'une langue savante une et la même pour tous. Des contacts sont établis et maintenus avec les lettrés du dehors, Grecs d'Orient et Arabes, qui assurent le ravitaillement des Européens en idées nouvelles et en textes anciens, émergeant peu à peu de l'oubli dans lequel ils avaient été si longtemps tenus.

Le savoir ainsi constitué sous le contrôle de l'Eglise fournit l'ossa-ture de la civilisation médiévale. L’espace mental et l'espace vital se trouvent parfaitement accordés l'un à l'autre, dociles aux rythmes d'un même ordonnancement. L'ordre de la connaissance et l'ordre de l'ac-tion, l'ordre politique, économique et social se présentent comme des plans différents de projection pour les mêmes principes transcendants.

Boniface VIII, l'un des principaux affirmateurs de la monarchie ponti-ficale, définit dans la bulle Unam sanctam, en 1302, la structure du système : « L'habitude de la religion [47] est d'amener les choses qui sont en bas jusqu’à celles qui sont en haut, en passant par celles qui sont intermédiaires. Suivant la loi de l'univers, toutes les choses ne sont pas mises en ordre également et immédiatement ; mais celles d'en bas par les intermédiaires, les intermédiaires par celles d'en haut. »

Ce texte donne la formule de la civilisation médiévale dans son en-semble. Il s'agit d'un vaste système de sécurité à base théologique : l'ordre, dans le monde et dans l'homme, dans la société comme dans l'Eglise, procède d'une seule intelligibilité dont le principe et la fin se trouvent en Dieu. L’intégration est parfaite, la cohésion sans problè-me, puisque le social, le politique, le scientifique et l'ecclésiastique relèvent d'une même obéissance, universellement imposée. Saint Thomas définit les principes du commerce au même titre que ceux de la métaphysique. « Ainsi les institutions sociales, écrit Tawney, revê-tent-elles un caractère qui peut presque être taxé de sacramentel, car elles sont l'expression extérieure et imparfaite d'une réalité spirituelle suprême 55

Ce dogmatisme ritualiste subordonne toute connaissance à un acte de foi. Non que la connaissance soit à proprement parler la servante . » On peut parler en effet d'une véritable civilisation rituel-le, dont l'armature correspond à une axiomatique de la Révélation ; culture et civilisation mettent en forme, sous le contrôle de l'autorité hiérarchique, une axiomatisation de la parole de Dieu en forme de tra-ditions doctrinales et d'institutions canoniques, intellectuelles, politi-ques et sociales. La liturgie du service divin, essence de toute la cultu-re, se diffuse à travers la totalité du réel, dont elle fournit partout la justification eschatologique.

55 R.H. TAWNEY, la Religion et l'essor du capitalisme, traduction Merlat, Rivière, 1951, p. 29. Cf. aussi Christopher DAWSON, La Religion et la formation de la Civilisation occidentale, trad. Guillemin, Payot, 1953.

de la théologie, ce qui impliquerait une distinction possible, une dis-sociation : elle en est bien plutôt une prise de conscience et une éluci-dation. Car le chiffre de la Révélation se présente comme le présuppo-sé universel, en dehors duquel aucune intelligibilité n'est possible.

Emile Mâle rendait attentif au fait que l'iconographie de la cathédrale met en scène les encyclopédies du temps, miroirs du monde où s'ins-crit la liturgie cosmique. La cathédrale condense la réalité humaine dans l'unanimité du service divin, et la réflexion scolastique accomplit la même fonction en dressant ses Sommes, cathédrales en idée, selon les liturgies de la disputation.

La connaissance du monde et de soi-même, dans la pensée médié-vale, apparaît ainsi non pas comme une résolution intelligible selon le mode euclido-cartésien, mais comme une symbolique universelle, se donnant pour tâche de retrouver partout l'ordre de Dieu dans sa créa-tion. Evoquant la structure de l'espace, Lewis Mumford observe :

« Au Moyen Âge, les relations spatiales tendaient à être organisées comme des symboles et des valeurs. L'objet le plus élevé dans la cité était la flèche de l'église, qui pointait vers le ciel et dominait les cons-tructions comme l'Eglise dominait les

espoirs et les craintes des fidèles. L’espace était divisé arbitraire-ment pour représenter les sept vertus, les douze apôtres, les dix com-mandements ou la Trinité. Sans des allusions symboliques constantes aux légendes et aux mythes chrétiens, l'analyse raisonnée de l'espace médiéval aurait échoué. Les esprits les plus rationnels n'en étaient pas exempts : Roger Bacon étudia soigneusement l'optique, mais après avoir découvert les sept parties de l'œil, il ajouta que Dieu avait ainsi voulu figurer dans nos corps les sept dons de l'Esprit56

56 Lewis MUMFORD, Technique et civilisation, trad. Moutonnier, Seuil, 1950, p. 27.

. » La perspec-tive temporelle appelle des remarques analogues. Elle [48] est ryth-mée, elle aussi, par les inflexions primordiales de l'histoire du salut : l'existence de la communauté humaine et celle de chaque individu sont scandées par la répétition des mêmes phases de l'histoire sainte.

La destinée de l'humanité se reflète en quelque sorte dans le calendrier de l'année, qui lui-même se condense dans le déroulement de la se-maine : l'éternel retour de la liturgie de l'office divin se réalise aux diverses échelles temporelles de l'existence. La civilisation en son

en-semble, dans les œuvres de l'art, dans la réflexion des sages ou dans le travail des artisans commémore indéfiniment la gloire du Dieu Créa-teur et RédempCréa-teur du peuple chrétien.

Une même configuration théologique se trouve donc imposée à la science de la nature et à la science de l'homme. La codification des phénomènes revêt un sens rituel, car la loi de la nature est ensemble, et d'abord, loi de Dieu. C'est à l'intérieur de ce nouveau contexte men-tal que les penseurs du Moyen Age, faute d'avoir pu en inventer d'au-tres, réutiliseront les schémas d'intelligibilité sauvés du naufrage de la culture antique et païenne. Aristote demeurera le maître à penser, mais un Aristote revu et corrigé, ou plutôt singulièrement travesti. La cos-mologie médiévale, comme la coscos-mologie grecque, fait de l'univers non pas une réalité expérimentale, mais un système de valeurs ; le

Une même configuration théologique se trouve donc imposée à la science de la nature et à la science de l'homme. La codification des phénomènes revêt un sens rituel, car la loi de la nature est ensemble, et d'abord, loi de Dieu. C'est à l'intérieur de ce nouveau contexte men-tal que les penseurs du Moyen Age, faute d'avoir pu en inventer d'au-tres, réutiliseront les schémas d'intelligibilité sauvés du naufrage de la culture antique et païenne. Aristote demeurera le maître à penser, mais un Aristote revu et corrigé, ou plutôt singulièrement travesti. La cos-mologie médiévale, comme la coscos-mologie grecque, fait de l'univers non pas une réalité expérimentale, mais un système de valeurs ; le