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Introduction aux sciences humaines. Essai critique sur leurs origines et leur développement.

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Academic year: 2022

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(1)

Georges GUSDORF

Professeur à l’Université de Strasbourg Professeur invité à l’Université Laval de Québec

(1974)

Introduction

aux sciences humaines.

Essai critique sur leurs origines et leur développement

Nouvelle édition, 1974.

Un document produit en version numérique par Pierre Patenaude, bénévole, Professeur de français à la retraite et écrivain, Chambord, Lac—St-Jean.

Courrie

Dans le cadre de la bibliothèque numérique: "Les classiques des sciences sociales"

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Jean-Marie Tremblay, sociologue

Fondateur et Président-directeur général,

LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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Cette édition électronique a été réalisée par Pierre Patenaude, bénévole, professeur de français à la retraite et écrivain,

Courriel

Georges Gusdorf

Introduction aux sciences humaines.

Essai critique sur leurs origines et leur développement.

Paris : Les Éditions Ophrys, Nouvelle édition, 1974, 522 pp.

[Autorisation formelle le 2 février 2013 accordée par les ayant-droit de l’auteur, par l’entremise de Mme Anne-Lise Volmer-Gusdorf, la fille de l’auteur, de diffuser ce livre dans Les Classiques des sciences sociales.]

Courriels : Anne-Lise Volmer-Gusdorf :

Michel Bergès :

Professeur, Universités Montesquieu-Bordeaux IV et Toulouse 1 Capitole

Polices de caractères utilisée : Times New Roman 14 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh.

Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’.

Édition numérique réalisée le 19 février 2014 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec.

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Un grand merci à la famille de Georges Gusdorf pour sa confiance en nous et surtout pour nous accor- der, le 2 février 2013, l’autorisation de diffuser en ac- cès ouvert et gratuit à tous l’œuvre de cet éminent épistémologue français.

Courriel :

Anne-Lise Volmer-Gusdorf

Un grand merci tout spécial à mon ami, le Profes- seur Michel Bergès, professeur, Universités Montes- quieu-Bordeaux IV et Toulouse I Capitole, pour tou- tes ses démarches auprès de la famille de l’auteur et spécialement auprès de la fille de l’auteur, Mme An- ne-Lise Volmer-Gusdorf. Ses nombreuses démarches auprès de la famille ont gagné le cœur des ayant-droit.

Courriel :

Professeur, Universités Montesquieu-Bordeaux IV et Toulouse 1 Capitole

Avec toute notre reconnaissance, Jean-Marie Tremblay, sociologue

Fondateur des Classiques des sciences sociales Chicoutimi, le 19 février 2014.

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DU MÊME AUTEUR, CHEZ LE MÊME ÉDITEUR :

LES SCIENCES DE L'HOMME SONT DES SCIENCES HU- MAINES, 1967.

AUX ÉDITIONS PAYOT :

LES SCIENCES HUMAINES ET LA CONSCIENCE OCCI- DENTALE

I. DE L'HISTOIRE DES SCIENCES À L'HISTOIRE DE LA PENSÉE, 1966.

II. LES ORIGINES DES SCIENCES HUMAINES, 1967.

III. LA RÉVOLUTION GALILÉENNE, 2 vol., 1969.

IV. LES PRINCIPES DE LA PENSÉE AU SIÈCLE DES LU- MIÈRES, 1971.

V. DIEU, LA NATURE, L'HOMME AU SIÈCLE DES LU- MIÈRES, 1972.

VI. L'AVÈNEMENT DES SCIENCES HUMAINES AU SIÈCLE DES LUMIÈRES, 1973.

VII. L'AUBE DU ROMANTISME ET LE CRÉPUSCULE DES LUMIÈRES (en préparation).

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Georges GUSDORF

Professeur à l’Université de Strasbourg Professeur invité à l’Université Laval de Québec

Introduction aux sciences humaines.

Essai critique sur leurs origines et leur développement.

Paris : Les Éditions Ophrys, Nouvelle édition, 1974, 522 pp.

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[513]

Table des matières

Préface à l’édition italienne, 1972. [i]

INTRODUCTION

LA CRISE ÉPISTÉMOLOGIQUE DES SCIENCES HUMAINES [7]

La tentative de Dilthey pour une épistémologie des sciences humaines (1883) n'a pas réussi à combler le retard épistémologique de ces disciplines. La métaphy- sique universitaire, fascinée par les mathématiques méconnaît, les sciences de l'homme, sciences inexactes. Les ignorances de Lachelier. Dialogue de sourds entre historiens et philosophes ; d'où une situation aussi ruineuse pour les spécia- listes des sciences de l'homme que pour les métaphysiciens. Les savants, dupés par leurs techniques, cherchent sans savoir ce qu'ils cherchent. Nécessité d'une conversion épistémologique : la science de l'homme présuppose une métaphysi- que de la condition humaine. La crise actuelle des sciences humaines est une crise de conscience de l'homme contemporain. La fonction de la métaphysique est d'as- surer, de siècle en siècle, l'unité de la culture. Elle a pour matière les apports de toutes les sciences. Nécessité d'une révision de l'orthodoxie établie. Pour une autre histoire de la philosophie. Toute histoire est dans l'histoire ; il faut reconnaître le passé plutôt que le juger. Il faut dégager des falsifications positivistes le sens réel des époques de la culture. Une histoire naturelle du devenir de la pensée. L'épis- témologie doit être l'organe d'une prise de conscience philosophique. L'histoire des sciences humaines est une enquête de l'homme sur l'homme. Il faut détrôner l'idole du monisme scientiste ; et celle du totalitarisme intellectualiste. La science de l'homme, dialogue de l'homme avec l'homme, contribue à l'édification de l'homme. Une anthropologie non socratique et non cartésienne.

PREMIÈRE PARTIE

LA SCIENCE DE L'HOMME JUSQU'AU XVIIe SIÈCLE

Chap. I. – LA SCIENCE DE L'HOMME DANS L'ANTIQUITÉ [33]

La science, ordination en pensée de l'univers. Le modèle épistémologique de la cosmobiologie et l'unité du savoir antique. Pas [514] de science de l'homme indépendante : le microcosme est relié au macrocosme dans l'horizon de la théo-

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logie astrale. Les problèmes humains échappent à l'homme dans l'espace mental de la pensée grecque. Le génie d'Hippocrate crée pourtant la première science expérimentale de l'être humain. Aristote, fondateur de l'histoire naturelle et de l'anthropologie positive. Érudition et philologie dans l'école d'Alexandrie. Le dé- clin des sciences à l'époque romaine : l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien.

Chap. II. LA SYNTHÈSE THÉOLOGIQUE DE LA CULTURE MÉDIÉ- VALE. [43]

La restriction de l'horizon politique et intellectuel au Moyen Age. La Romania médiévale et les origines de la culture occidentale. Le sauvetage de l'intelligence païenne et les diverses renaissances. La civilisation médiévale comme système de sécurité à base théologique. La révélation chrétienne, présupposé dogmatique du savoir dans son ensemble. L'univers païen sert de décor à l'histoire chrétienne du salut. L'a priori dogmatique empêche le développement d'une science autonome de la nature ou de l'homme. L'anthropologie astrologique ; l'expérience magique selon Roger Bacon. Le progrès n'est possible que par la dislocation du système.

Chap. III. – LA RENAISSANCE ET LES ORIGINES DES SCIENCES HU- MAINES : L'AGE DES AMBIGUÏTÉS. [53]

Relativité du concept de Renaissance. Le renouvellement de l'espace mental.

L'humanité se met à vivre dans le temps, échappant au contrôle du dogme. Nou- velle évaluation de l'homme l'humanisme. Implication mutuelle de la magie et de la science astrologie et astronomie. L'esthétique géométrique de Copernic. La crise d'originalité juvénile de la civilisation occidentale et l'intellectus sibi permis- sus. La formation de la philologie. La Réforme. L’exploration du monde et la révélation des autres hommes. Destruction de la conception ancienne de l'homme et de l'univers. Désacralisation du corps : l'anatomie. La libre entreprise dans l'or- dre politique et social. L'historiographie renaissante. La philosophie politique.

L'expérience spirituelle de l'individualisme renaissant : l'exaltation humaniste de l'homme. Le mythe de Prométhée. Francis Bacon, le Jules Verne de l'épistémolo- gie. De la Nouvelle Atlantide aux Académies. Caractère composite du savoir re- naissant : thèmes scientifiques et thèmes magiques s’impliquent mutuellement.

L'ironie et la sagesse sceptique dans la dernière vague renaissante. Léonard de Vinci ou l'échec de la Renaissance. Espérances et promesses.

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DEUXIÈME PARTIE

VERS L'ANTHROPOLOGIE MÉCANISTE

Chap. I. – LA NAISSANCE DU MÉCANISME ET LA LÉGENDE CARTÉ- SIENNE [75]

Le modèle épistémologique du mécanisme se trouve à l'origine de la science moderne. L'idée de la science rigoureuse comme système d'intelligibilité indépen- dant de tout arrière-plan mythique s'affirme avec Galilée. Grandeur et insuffisan- ces de Galilée. La légende dorée de Descartes. Les vrais novateurs sont Galilée, [515] Hobbes, Gassendi, Mersenne... Les aspects traditionalistes de la pensée car- tésienne. Descartes anti-moderne. Quand, comment et pourquoi Descartes est devenu un des Grands de la philosophie. Les mérites littéraires de Descartes. La

« nouvelle philosophie » est dans l'air au début du XVIIe siècle.

Chap. II – L'ANTHROPOLOGIE MÉCANISTE : LE THÈME DE L'HOM- ME MACHINE. [85]

Révision des valeurs épistémologiques : la nouvelle science de la nature im- plique une nouvelle science de l'homme. L’apparition de la coupure entre l'esprit et le corps met fin au naturalisme physico-théologique. L'homme rentre dans le droit commun de la connaissance. Le corps humain, corps parmi les corps. Le schéma de la circulation du sang selon Harvey (1628) prépare le thème cartésien de l'homme machine, qui a surtout une valeur heuristique. Le mécanisme annexe le corps évacué par l'âme. Divorce existentiel entre l'homme et son corps devenu inhumain. Vers une biologie et une médecine positives. La psycho-physiologie mécaniste.

Chap. III. – LA DISLOCATION DU COMPROMIS CARTÉSIEN : APPA- RITION DE L’IDÉE DE NATURE. [95]

Descartes associe une physique mécaniste et une métaphysique spiritualiste, position intenable. Bossuet cartésien et anti-cartésien. Descartes est allé trop loin ou pas assez. Mécanisme et ontologie chez les successeurs de Descartes. Destruc- tion du déterminisme chez Malebranche : l'intelligibilité selon l'occasionnalisme et la vision en Dieu. L’immatérialisme de Berkeley. Mais ni les croyants, ni les incroyants ne peuvent se satisfaire de ces échappatoires. La lumière naturelle se- lon Bayle. Religion naturelle, droit naturel. Recul du surnaturel. L'homme se dis- sout dans l'environnement objectif.

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TROISIÈME PARTIE

L’ESSOR DE LA SCIENCE DE L'HOMME AU XVIIIe SIÈCLE

Chap. I. – LA FASCINATION NEWTONIENNE. [105]

La physique expérimentale du XVIIIe siècle opposée à la physique cartésienne des principes. Suprématie du modèle newtonien du savoir. Newton accomplit le mathématisme galiléen, et définit une philosophie naturelle qui remplace celle d'Aristote. Voltaire newtonien. Mais le XVIIIe siècle fait de Newton un positivis- te, délié de toute théologie, au prix d'un faux sens sur sa pensée. Newton n'est pas Laplace. L'attraction, idée force du XVIIIe siècle dans les sciences de la nature et de l'homme.

Chap. II. – LE PROGRÈS DE LA CONSCIENCE MÉDICALE VERS LA SCIENCE DE L'HOMME. [113]

Coexistence pacifique de la médecine et de la philosophie au VIIIe siècle. Le mécanisme renouvelle l'antique débat entre l'école de Cos et celle de Cnide : hu- morisme et solidisme. L’empirisme médical de Sydenham et les progrès de l'ob- servation clinique. Le rôle des instruments d'observation : Leeuwenhœck et le microscope. L’anatomie de Morgagni. L’école des Iatromécaniciens : [516]Borelli, Bellini, Baglivi, Bœrhaave. Critique du schéma mécaniste dans le solidisme, et du dualisme qu'il présuppose. Leibniz contre l'homme machine.

L'école des Iatrochimistes. Van Helmont, Stahl et le monisme animiste. La phy- siologie de Haller. Bordeu et la doctrine de l'organisme. Le vitalisme de Barthez dans sa science de l'homme ouvre la voie d'un nouveau positivisme médical. Vicq d'Azyr et l'anatomie comparée. Promotion sociale et intellectuelle du médecin au XVIIIe siècle.

Chap. III. – L'HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME ET LES ORIGINES DE L'ANTHROPOLOGIE MODERNE. [135]

Prestige de l'histoire naturelle devenue science à part entière. Reprise de la tradition aristotélicienne. Pauvreté méthodologique des premières classifications.

Le rôle du Jardin du Roi. L'œuvre de Linné. Le Système de la Nature. L’ordre cosmique selon Linné. L'homme inscrit au tableau des espèces naturelles. La dé- couverte des anthropoïdes et la définition de l'homo sapiens. Le fixisme et la question des mutations. Le génie de Buffon. L'idée de science chez Buffon et le rôle du calcul des probabilités. De l'histoire de la terre à l'histoire de la nature.

Fixisme et transformisme dans les espèces vivantes. L’anthropologie de Buffon.

La querelle des fossiles. Popularité de l'histoire naturelle. Les origines de la scien-

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ce anthropologique. Le concept d'anthropologie. Après Buffon Blumenbach.

L'oeuvre anthropologique de Kant.

Chap. IV. – LA THÉORIE EMPIRISTE DE LA CONNAISSANCE ET LES ORIGINES DE LA PSYCHOLOGIE. [163]

L'empirisme, donnant congé à l'ontologie, étudie la pensée pour elle-même.

La psychophysiologie mécaniste de Hobbes. La théorie de la connaissance selon le médecin et diplomate John Locke. Inventaire critique de l'entendement hu- main : genèse et transformation des idées. La critique du langage et la condamna- tion de la métaphysique. La science de l'homme selon David Hume. Il veut être le Newton de la géographie mentale. L'analyse de l'entendement et les lois de l'asso- ciation. L'œuvre historique de Hume. La méthodologie rationnelle pour l'analyse de l'esprit est reprise par Condillac. Le monisme intellectualiste de Condillac : déduction génétique du savoir à partir de l'expérience perceptive. La critique du langage et le rêve de la Langue des Calculs. La mort de Dieu en épistémologie a pour conséquence l'apparition d'une psychologie indépendante. La Psychologie rationnelle et la Psychologie empirique de Christian Wolf ; la psychométrie. Le développement de la psychologie empirique au XVIIIe siècle.

Chap. V. – L'ÉVEIL DU SENS HISTORIQUE. [187]

L'enseignement de l'histoire est d'institution récente. De l'histoire médiévale à l'histoire moderne. L'intelligence historique étrangère aux fondateurs du méca- nisme. Tradition de l'histoire de France, des Grandes Chroniques de France à Mézeray et à Velly. Antihistoricisme de Descartes et de son temps : Pascal, Male- branche, Bossuet. Naissance, pourtant, au XVIIe siècle de la critique historique.

Physique et critique historique, chez Mersenne, au service de la foi. Le contrôle rationnel des traditions et des textes. Les Bollandistes et la révision de l'hagiogra- phie. [517] L'œuvre érudite et critique des Bénédictins ; mais c'est une histoire sans historicité. La critique historique des textes bibliques suppose une révolution intellectuelle et spirituelle. Raison et révélation chez Spinoza, fondateur de l'exé- gèse moderne. Science de l'homme et science de Dieu : la théologie en péril.

L'histoire sainte réduite à la raison. Richard Simon défenseur de la foi et apprenti sorcier, dépisté par Bossuet. Le triomphe de l'esprit critique. L'histoire révèle l'humanité à elle-même ; l'humanité habite dans le temps. La philosophie de l'his- toire ou l'histoire de la, raison. Bayle et Fontenelle, bénédictins laïques. Apologie de la certitude historique chez Bayle. Le fanatisme critique procède au décapage des traditions et combat pour la lumière naturelle. Fontenelle, cartésien et histo- rien, initiateur de l'ethnologie comparée. L'histoire a désormais un sens. L'oeuvre historique de Leibniz, son importance. Vérités éternelles et vérités de fait. La lo- gique de l'histoire et la théorie des probabilités. Leibniz prophète d'une histoire de l'avenir, pour une humanité réconciliée. Voltaire : l'histoire comme anthropodicée culturelle et bourgeoise. Le nouveau contenu de l'histoire. Raison et déraison de

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l'histoire. L'histoire devient au XVIIIe siècle un élément essentiel de la culture.

Mais le sens de l'historicité fait encore défaut.

Chap. VI. – LES SYSTÉMATISATIONS DU XVIIIe SIÈCLE. [229]

A. L’Encyclopédie.

Nécessité d'un regroupement des dimensions épistémologiques. L’idée d'en- cyclopédie depuis la Renaissance. L'encyclopédie comme bilan provisoire et comme attitude d'esprit. Du projet de langue universelle à la réalisation d'un dic- tionnaire. Espoirs et activités de Leibniz : le thème de l'encyclopédie est le foyer de son œuvre. Sociétés savantes et académies. L'Encyclopédie de d'Alembert et Diderot comme édification d'une science de l'homme par la mise au point de la carte du monde intellectuel. Empirisme et rationalisme : la critique de la connais- sance par l'élaboration d'une épistémologie génétique. La métaphysique, science des principes ou philosophie générale. Les sciences humaines dans l'Encyclopédie et l'éducation universelle. [229]

B. Les philosophies de la nature.

De l'histoire naturelle de l'homme à la philosophie de la nature. Les matéria- lismes au XVIIIe siècle. Spécificité de la matière organique selon Lamettrie et d'Holbach. Le matérialisme affirme l'unité de la nature. Continuité de l'animal à l'homme d'après Lamettrie. La perspective de l'évolution selon Diderot. Le trans- formisme éducatif d'Helvétius : le déterminisme du milieu ouvre d'immenses perspectives pédagogiques, [242]

C. Les philosophies de la culture et les philosophies de l'histoire

La culture, seconde nature. L'idée de civilisation, idée force du XVIIIe siècle.

Les origines de la philosophie politique moderne. La doctrine du droit naturel reconnaît la spécificité du domaine humain. L'éveil du sens historique oblige les philosophes à prendre au sérieux l'ordre des faits humains. La réflexion doit refai- re ce que l'histoire a défait. La mobilisation de l'ontologie fait de [518] l'histoire la messagère d'une révélation. La philosophie de l'histoire, produit de remplacement pour la théologie. L’étude comparative des civilisations chez Vico. La science de la nature sociale d'après Montesquieu. Lessing. La philosophie kantienne de l'his- toire. L'histoire, moyen de salut collectif, chemin de la religion rationnelle et de la république universelle. De la philosophie de la culture à la pédagogie. [249]

D. Les sciences humaines et la logique probabilitaire

L'exigence mathématique dans les sciences humaines. Du probabilisme scep- tique à la probabilité comme mode de certitude. L'utilisation par Leibniz du calcul des probabilités : il espère en tirer une logique des sciences morales. Hume et la

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probabilité des associations. Le développement de la statistique. L'arithmétique politique selon l'Encyclopédie. L'arithmétique morale de Buffon et la mathémati- que sociale de Condorcet. Kant et les statistiques. [260]

QUATRIÈME PARTIE LA SCIENCE DE L’HOMME

SELON L'ÉCOLE IDÉOLOGIQUE FRANÇAISE

Chap. I. – LES IDÉOLOGUES EN LEUR TEMPS. [271]

Les penseurs de la Révolution, moment original de la conscience française, hommes politiques, réformateurs. Une philosophie collégiale. Lavoisier idéolo- gue. La déchéance des anciennes académies et la fondation de l'Institut national foyer de l'Idéologie. L'Institut, c'est l'Encyclopédie vivante.

Chap. II. – LA MÉTHODE IDÉOLOGIQUE. [281]

Une épistémologie génétique dans la perspective ouverte par la théorie condil- lacienne de la connaissance. Un empirisme expérimental. L'idéologie est une par- tie de la zoologie. Idéologie physiologique et idéologie rationnelle. Destutt de Tracy théoricien de l'idéologie rationnelle. Du sensualisme à l'intellectualisme. La critique des signes et le rêve de la langue des calculs. L'analyse idéologique trou- ve son accomplissement dans la mathématique sociale de Condorcet et la théorie des probabilités de Laplace, qui englobe les sciences humaines. Les vues pédago- giques de Tracy et les institutions culturelles de la Révolution. Place privilégiée faite aux sciences humaines. La déchéance universitaire sous l'Empire et la Res- tauration. Influence de l'Idéologie en Allemagne, aux États-Unis.

Chap. III. – L'ANTHROPOLOGIE MÉDICALE : CABANIS, BICHAT, PI- NEL. [293]

L'idéologie physiologique de Cabanis. Un positivisme méthodologique, fondé sur l'application de l'analyse à l'art de guérir. Un déterminisme biologique nuancé et hiérarchique. L'intelligibilité unitaire du physique et du moral fonde la science de l'homme. La critique de Condillac par Cabanis : l'interdépendance des sens externes et la découverte du sens interne. Le monisme de Cabanis n'est pas un matérialisme. Améliorer l'espèce humaine. Maine de Brian et l'idéologie : il essaie de réconcilier [519] l'idéologie rationnelle et l'idéologie physiologique. Bichat développe la doctrine vitaliste : la physiologie irréductible à la physique. Les pro- grès de la connaissance biologique. Pinel fondateur de la nosologie, analyse mé- thodique des entités morbides, entreprend de fixer la terminologie médicale. Il réforme la médecine mentale par la mise en œuvre d'un humanisme hospitalier.

L'école psychiatrique française et les Annales médico-psychologiques.

(14)

Chap. IV. – L'HOMME DANS LE MONDE NATUREL : LAMARCK. [309]

Du Jardin du Roi au Muséum d'histoire naturelle. De l'histoire naturelle aux sciences naturelles. Nécessité de constituer ce domaine épistémologique selon des normes rationnelles. La Biologie de Lamarck pose dans son ensemble le problème de la vie. L’histoire naturelle des insectes et des vers permet de définir le mini- mum vital. Le sens cosmique de Lamarck. Signification du transformisme. La place de l'homme dans la nature et la genèse de l'espèce humaine. Le génie de Lamarck, naturaliste philosophe.

Chap. V. – LES SCIENCES DE LA CULTURE. [321]

Les Idéologues se sont intéressés à l'anthropologie culturelle. La Société des Observateurs de l'homme. Les Considérations sur les diverses méthodes à suivre dans l'observation des peuples sauvages de Degérando, premières et très remar- quables instructions ethnographiques. Méthodologie d'une archéologie mentale.

Un projet de musée d'ethnographie. Fauriel et la philologie. L’œuvre de Volney.

Premières ébauches d'une philologie comparée. Le procès de l'histoire et de ses poisons. Pour un bon usage de l'histoire. Histoire des peuples et description géo- graphique du milieu. Volney précurseur de la géographie humaine. Influence des Idéologues sur la pensée du XIXe siècle.

CINQUIÈME PARTIE

LES SCIENCES HUMAINES AU XIXe SIÈCLE

Chap. I. – SITUATION DES SCIENCES SOCIALES AU XIXe SIÈCLE.

[335]

Le raz de marée révolutionnaire à travers le monde, et l'urgence de définir un nouvel équilibre européen. L'accélération de l'histoire impose à la conscience la dimension historique. La science de l'homme devient une condition de l'action.

Science de l'homme et recherche de l'homme. Réhabilitation du problème social.

Il faut compenser par des réformes appropriées l'inhumanité spontanée du systè- me industriel. La détribalisation de l'Ancien Monde. Philosophie sociale et philo- sophie de l'histoire. La Révolution a fait la preuve de la capacité réformatrice et formatrice de l'homme.

Chap. II – LE DIVORCE DE LA SCIENCE ET DE LA PHILOSOPHIE : DU POSITIVISME AU SCIENTISME. [343]

Spécialisation des sciences et désaffection philosophique au XIXe siècle. La bonne entente traditionnelle de la philosophie et des sciences. La notion de philo- sophie naturelle à travers l'histoire. Chez Newton et au XVIIIe siècle encore, il n'y

(15)

a pas de rupture [520] entre philosophie et science ; mais la philosophie subit une restriction critique. Pour les Encyclopédistes, la métaphysique est la science des principes. Les origines du positivisme : d'Alembert, Lamarck, Comte. Le vide philosophique, au milieu du XIXe siècle correspond au passage du positivisme au scientisme. La mentalité scientiste fausse le développement des sciences sociales.

Protestation de Comte contre l'impérialisme scientiste. Il maintient la spécificité des faits sociaux. De même, Claude Bernard estime la biologie irréductible aux sciences physico-chimiques. Le vitalisme de Cournot. Mais le progrès des scien- ces de la vie depuis Lavoisier fait rêver d'une biologie réduite à la physique. La revanche du laboratoire sur la clinique au XIXe siècle. Le principe de la conserva- tion de l'énergie et les systématisations scientistes. Les synthèses chimiques et les prophéties de Berthelot. Le matérialisme scientifique d'inspiration biologique.

Taine : les sciences de l'homme seront des sciences exactes. L'idole de la science fera le bonheur de l'humanité.

Chap. III. – LA SCIENCE DE L'HOMME DANS LES SYNTHÈSES SPÉ- CULATIVES. [365]

Persistance des grands systèmes au début du siècle dans la perspective d'un développement de l'humanité. La science de l'homme selon Saint-Simon. Primat de l'économie dans l'organisation politique et sociale. Auguste Comte : de la phy- sique sociale à la sociologie. La loi des trois états, loi de la nature sociale. La reli- gion de l'humanité vient combler un vide au niveau des valeurs. Stuart Mill veut être le Bacon des sciences humaines. L'épistémologie des sciences humaines doit s'aligner sur celle des sciences de la nature. Primat de l'éthologie, et méthode dé- ductive inverse dans les sciences sociales. L'histoire, exposant de la vérité selon Hegel. L'histoire hégélienne est réduite à la raison, mais l'histoire concrète a refu- sé de se laisser domestiquer. Marx retourne la dialectique pour mettre une philo- sophie scientifique au service de la révolution. Les ambiguïtés du matérialisme marxiste. La planification marxiste est encore une synthèse déductive dans le style du XIXe siècle, mais il n'appartient pas à l'esprit d'imposer ses conditions au réel.

Le progrès des sciences humaines dément le projet unitaire d'une science de l'homme.

Chap. IV. – LA CONSTITUTION DES SCIENCES HUMAINES POSITI- VES AU XIXe SIÈCLE : L'ÉPISTÉMOLOGIE DISCURSIVE ET EXPLICATIVE [381]

Éclatement du concept synthétique de la science de l'homme qui fait place à des disciplines spécialisées. L'opposition entre l'épistémologie discursive et l’épistémologie compréhensive.

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A. L'essor de l'anthropologie.

L'élaboration du concept d'anthropologie. De la physiognomonie de Lavater à la phrénologie de Gall. Origines de l'anthropométrie. Le problème des races. L'an- thropologie culturelle et les origines de l'ethnographie. La linguistique comparée, la géographie humaine. Boucher de Perthes et la préhistoire. L'influence darwi- nienne. L’œuvre de Broca et la constitution définitive de l'anthropologie comme science. [383]

[521]

B. La psychologie scientifique.

La naissance, en Allemagne, de la psychologie scientifique : l'œuvre de Her- bart. Weber et Fechner ouvrent à la psychologie une carrière expérimentale. Les progrès de la physiologie nerveuse. Wundt assure à la psychologie le statut de science exacte. La psychologie en Amérique : William James. L’école française de psychologie positive : Ribot. [399]

C. Les sciences historiques.

Le développement de l'historiographie au XIXe siècle. L'influence du mouve- ment romantique en Allemagne et en France. L’histoire nationale. De l'histoire romantique à l'histoire positive. Constitution d'une historiographie qui prétend se présenter comme une science rigoureuse : la conception de l'histoire chez Lan- glois et Seignobos. [408]

Chap. V. LE SPIRITUALISME UNIVERSITAIRE EN FRANCE OU LA DÉMISSION DES PHILOSOPHES. [425]

Les philosophes français opposent une fin de non-recevoir aux développe- ments des sciences humaines. Sociologie et stratégie de la métaphysique universi- taire de Cousin à Lachelier. Un dirigisme hiérarchique pèse, de tout le poids de l'appareil administratif, sur l'orientation des études philosophiques. Le spiritua- lisme officiel, philosophie de l'évasion et de l'absence, abandonne la réalité hu- maine concrète aux positivismes et aux scientismes de toute observance.

Chap. VI. – L'HERMÉNEUTIQUE COMPRÉHENSIVE ET L'HISTORIS- ME. [437]

La recherche en Allemagne d'une méthodologie spécifique des sciences hu- maines. La réaction contre l'Autklärung : romantisme et nationalisme. Fondation de l'Université de Berlin (1810). La théorie romantique de la connaissance et le sens de la vie. La Naturphilosophie ; l'idée d'organisme et la biologie romantique.

(17)

Philologie et philosophie dans la culture allemande. Coexistence pacifique de la philosophie et de la théologie. Décentralisation intellectuelle. Définition de l'her- méneutique. La pensée religieuse de Schleiermacher. Le développement des sciences philologiques, sciences de l'expression humaine. Naissance de la linguis- tique comparée. F. A. Wolf, Ast, Bœckh. De l'idéalisme à l'historisme : Hum- boldt, Savigny. Le Volksgeist. La compréhension de l'histoire : Droysen. La mé- thodologie des sciences humaines : Dilthey. La critique de la raison historique. La compréhension comme dialogue : c'est la société qui est notre monde. La philoso- phie de la vie et le primat de la biographie. La théorie des conceptions du mon- de et la philosophie de la vie. L’épistémologie historique après Dilthey : Rickert, Max Weber. La prise de conscience et l'élaboration du présupposé humain.

L’intuition des essences chez Husserl et la méthode phénoménologique. Sa mise en œuvre par Scheler : sociologie de la connaissance et philosophie des valeurs.

Solidarité de l'explication et de la compréhension. La vérité comme visée eschato- logique.

CONCLUSION.

POUR UNE CONVERSION ÉPISTÉMOLOGIQUE. [471]

D'un nouvel obscurantisme : l'inflation scientifique et technique actuelle est une des formes les plus pernicieuses du nihilisme contemporain. L'expérience suédoise. Désarroi des sciences humaines. La psychologie de Ribot et de Dumas incapable de se définir elle-même. L'anthropologie en pièces détachées. La disso- lution de l'objet historique. La spécificité méthodologique des sciences humaines.

L'histoire des sciences n'est pas une logique des sciences. Non-sens du physica- lisme. Aucune axiomatique ne se suffit à elle-même. Les sciences de l'homme échappent à l'espace mental des sciences de la matière. Le positivisme scientiste n'est que la dernière phase de l'âge métaphysique. La mise au point d'une épisté- mologie spécifique des sciences humaines implique une mutation intellectuelle et spirituelle : le cas de Lévy-Bruhl. Nécessité d'une restauration métaphysique dans les sciences de l'homme. Toutes les sciences sont des sciences de l'homme, mais chacune des sciences humaines met en jeu la réalité humaine dans son ensemble, sans pouvoir prétendre l'épuiser jamais. Il faut ici, à la fois, expliquer et compren- dre. L'homme est le maître des significations qu'il transforme à son gré. Équivo- que et ambiguïté de la présence humaine : le droit de l'homme à disposer de lui- même. Nécessité d'une compréhension de l'être humain, qui intervient comme une révélation naturelle au fondement de toute science de l'homme. Le fait humain total. Les sciences humaines ne sont pas des sciences inexactes, mais des sciences d'un type différent. La vérité n'est pas distincte du cheminement de l'homme vers la vérité : science et recherche. Science et conscience de l'homme. Le moi n'est plus haïssable. Connaissance en première personne. Le procès de l'historisme : l'homme est le chiffre de l'histoire. Il faut reprendre la négociation entre la raison et l'événement. D'une anthropologie à une axiologie. Le monde humain se déploie comme un ordre de relations symboliques. Critique du matérialisme : pas de cau-

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salité du matériel au spirituel, mais seulement du spirituel au spirituel. Les scien- ces humaines veulent définir et élucider les programmes de valeurs qui justifient le déploiement de l'activité des hommes sur la face de la terre. Mais l'horizon der- nier ne peut être atteint. Signes d'un renouveau anthropologique dans la médecine, la sociologie, l'économie actuelles. Les sciences de l'homme, sciences de la liber- té.

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[i]

Introduction aux sciences humaines.

Essai critique sur leurs origines et leur développement.

PRÉFACE

POUR L’ÉDITION ITALIENNE

1

Retour à la table des matières

Cet ouvrage a été publié en France en 1960, dans une conjoncture intellectuelle fort différente de celle d'aujourd'hui. L'auteur lui-même a pris du recul par rapport à son livre ; il s'est avancé sur la voie où il ne faisait alors que s'engager. Les écrits d'un homme sont aussi des moments de sa vie, des étapes de son développement. L'Introduction aux Sciences humaines était une introduction. Il me semble qu'elle doit garder ce caractère ; à vouloir la modifier, je la falsifierais. Ha- bent sua fata libelli ; les livres ont leur destin. Comme les enfants, une fois nés, ils échappent à leurs créateurs et doivent courir leur chance pour leur propre compte.

Mais, tout en respectant l'intégrité de l'œuvre, il est possible à l'au- teur de se retourner vers elle, de s'interroger à son sujet, et de préciser les cheminements qui ont conduit le penseur vers la formation de cette pensée. N'importe qui n'écrit pas n'importe quoi à n'importe quel mo-

1 Introduzione alle scienze umane, trad. Rolando Bussi, Bologna, Societa edi- trice II Mulino, 1972.

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ment. Les livres de science et de pensée, en leur objectivité apparente, peuvent donner à croire qu'ils possèdent une validité intemporelle, mais ils sont aussi les fruits des temps et des circonstances, des hu- meurs et des passions. On peut donc essayer de préciser leur inscrip- tion existentielle.

J'avais publié en 1956 un Traité de Métaphysique, dont le titre avait une valeur de défi. Il n'y était nullement question de la philoso- phia perennis ; il ne s'agissait en aucune façon d'une réflexion sur l'Etre, sur l'Absolu, où l’Etre exclut les êtres, et où le souci de l'Absolu fait obstacle à toute compréhension de la réalité.

Il n'y a pas d'autre monde que ce monde-ci ; la métaphysique a pour tâche essentielle de dresser l'inventaire des significations du monde. La philosophie retrouve ainsi sa fonction séculaire, qui est de justifier l'existence, comme la plénitude de la présence de l'homme à lui-même, au monde et à Dieu. Les penseurs de toujours, lorsqu'ils s'efforçaient de démontrer les articulations de l'être, trouvaient là une expression conforme à leurs aspirations dans le monde de leur temps.

Nos exigences s'affirment autrement, mais, dans un langage différent, elles répondent sans doute à une intention identique.

Le métaphysicien classique cherche à établir le signalement d'une vérité transcendante ; l'opération ontologique du Cogito est le tour de passe-passe qui lui permet de mettre entre parenthèses le monde comme il va, de telle sorte que son affirmation doctrinale n'aura pas à craindre le choc en retour des circonstances d'ici-bas et leurs vicissitu- des. Il obtient ainsi en toute sécurité une théorie rigoureuse dont le seul inconvénient est qu'elle ne s'applique à rien ni à personne.

[ii]

Mon ami Merleau-Ponty, dans sa Phénoménologie de la Percep- tion, avait fait voir que la perception est la terre natale de la vérité, le point de départ et le point d'arrivée de toutes les investigations de la connaissance. Ainsi s'ouvrait la perspective d'une philosophie qui, grâce à l'application de la méthode phénoménologique, serait un im- mense examen de conscience de l'homme percevant, sentant et pen- sant, mais sans jamais rompre le contact de la présence au monde, sans jamais se démettre ou se désincarner. Telle était bien, me sem- blait-il, la voie à suivre ; l'entreprise métaphysique représente le seul accès direct à la réalité vécue.

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Seulement, Merleau-Ponty est mort prématurément, sans avoir mené à bien la tâche entreprise dans la Phénoménologie de la Percep- tion, il n'a publié, après son grand ouvrage, que des écrits de circons- tances, des essais et chroniques, comme s'il s'était heurté, dans la voie où il s'était engagé, à d'insurmontables difficultés. La raison de ce demi-échec est peut-être que, si l'on considère la conscience qui vient au monde comme un commencement radical, elle devient une sorte d'absolu originaire, aussi insaisissable et inépuisable que le Cogito des métaphysiciens intellectualistes. La recherche de l'absolu dans le concret devient une poursuite aussi décevante que la chasse de l'Etre selon l'ordre des idées dans l'ontologie traditionnelle. Consciemment ou non, Merleau-Ponty s'est découragé devant la nécessité de repartir toujours à zéro, de reprendre toujours la même initiative, avec la seule certitude de n'aboutir jamais. Avant lui déjà, son inspirateur, Husserl, avait connu le même découragement.

Pour ma part, j'admettais la phénoménologie comme la seule voie d'approche vers la réalité humaine ; mais je ne pouvais accepter, chez Husserl, une sorte de métaphysique de l'intuition des essences, expri- mée dans un langage dont l'hermétisme me rebutait. J'admettais l'épis- témologie, mais je refusais l'ontologie, qui dégénérait si vite en une scolastique réservée à l'usage de quelques initiés. Je me méfiais de la prétention phénoménologique à la naïveté, à l'évidence ; je refusais l'idée d'un degré zéro de la connaissance, auquel il serait possible de revenir en pensée grâce à une procédure idéale quelle qu'elle soit. Il y a eu des époques où la stabilité des structures politiques, sociales, économiques et intellectuelles permettait au penseur de croire à la sta- bilité de la vérité. Mais nous vivons, nous autres modernes, sous le régime de l'accélération de l'histoire ; le monde sous nos yeux, ne ces- se de se transformer dans ses dimensions matérielles et spirituelles. A tout moment se réalise une remise en jeu des significations. Les trans- formations de l'image du monde sont corrélatives d'une transformation de la conscience de l'homme.

Mais l'homme, en dépit des apparences, ne dispose pas d'un accès direct à sa réalité intime. Chacun, pour s'approcher de soi-même, doit faire le long détour de sa propre histoire. Il en est de même pour une métaphysique considérée comme l'examen de conscience de l'humani- té. Les objets sur lesquels elle porte ne sont pas des réalités transcen- dantes, définies une fois pour toutes, mais des ensembles de représen-

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tations dont l'état présent, toujours provisoire, caractérise un certain moment de la conjoncture épistémologique et spirituelle. C'est ainsi que la voie d'une épistémologie conséquente m'est apparue comme devant emprunter le long détour des sciences humaines. Il faut renon- cer à l'espoir de retrouver jamais le dialogue premier et dernier d'un sujet absolu avec un objet absolu. La définition traditionnelle de la vérité comme la [iii] coïncidence entre l'esprit et la chose suppose un troisième terme, un observateur placé lui-même en dehors de la confrontation, avec la possibilité de servir d'arbitre. Ce rôle revient tout naturellement au Dieu du rationalisme. Husserl n'avait pas renon- cé pour sa part à faire la philosophie de Dieu. Celui qui cherche la voie d'une philosophie à l'échelle humaine doit accepter de penser la confrontation au sein même de la confrontation. La vérité qu'il cher- che est une vérité qui le dépasse, parce qu'elle l'englobe, et parce qu'elle ne cesse de le remettre en question au gré des renouvellements de la situation vécue.

Ces indications ne manqueront pas de choquer les tenants d'une vé- rité monolithique et millénaire. Où allons-nous, objecteront-ils, si la vérité doit composer avec le temps et les hommes, avec la diversité des époques et la multiplicité des penseurs ? Les accusations de « psy- chologisme » et d'« historisme » sont toutes prêtes ; la vérité n'est plus la vérité si elle n'est pas immuable ; ce serait une contradiction dans les termes. A quoi je répondrai qu'il n'y a de contradiction qu'entre des termes qu'on a posés arbitrairement. Ce serait plus commode, bien sûr, si nous pouvions poser à la vérité nos propres conditions, mais ce se- rait présupposer cela même qui est en question. On peut mépriser le devenir de la culture et de l'humanité, si l'on en possède d'avance le dernier mot. Mais si l'on ne détient pas ce secret surhumain et inhu- main, le sens de la vérité devient celui d'un chemin vers la vérité. Le penseur doit se frayer un passage à travers la diversité des circonstan- ces, en déchiffrant de son mieux les significations des événements.

On ne peut pas philosopher à vide. Le rêve de l'origine radicale ou de la structure définitive n'est qu'une mystification, dont les échecs répétés, tout au long de l'histoire, auraient dû servir de leçon à ceux qui s'obstinent à reprendre à leur compte les rêveries de la pierre phi- losophale, but jamais atteint de tous les nostalgiques de la pensée pu- re. Le thème de la philosophie de l'esprit, qui serait seulement la connaissance de l'esprit par lui-même, ou plutôt la digestion de l'esprit

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par lui-même, est un produit tardif de la spéculation occidentale. La philosophie ancienne réfléchissait à partir de la réalité divine et hu- maine ; depuis les Présocratiques jusqu'à Aristote, elle s'est proposée de mettre au point un cosmos des pensées, susceptible de rendre rai- son du monde réel. Au moyen âge, la scolastique trouve son origine et sa fonction propre dans une méditation et réflexion de la Révélation ; elle s'efforce de concilier les exigences divergentes de la Parole de Dieu et de l'intellect humain.

À l'origine des temps modernes, la révolution mécaniste, dont Ga- lilée fut le grand initiateur, met en honneur la nouvelle autorité de la science rigoureuse, qui prend conscience d'elle-même dans la méthode mathématique, et se lance à la conquête de l'univers, grâce à la théorie physique naissante.

Cette péripétie décisive a eu pour effet de fausser le développe- ment de la conscience occidentale, qui s'est mise à rêver l'application au domaine humain dans son ensemble des procédures qui avaient si bien réussi dans un domaine particulier. Comme si les normes qui avaient fait leurs preuves dans l'ordre des mathématiques et de la phy- sique devaient avoir pleine juridiction sur l'espace vital de l'humanité dans son ensemble.

Le génie de Newton se trouve à l'origine du malentendu positiviste.

Newton, achevant l'œuvre de Galilée, met au point, à la fin du XVII-

e

Le triomphe du positivisme et du scientisme, au cours du XIX

siècle, un schéma systématique de l'univers physique. Après lui, pendant [iv] plus d'un siècle, les théoriciens vont rêver de faire régner dans tous les domaines de la connaissance, en psychologie, en biolo- gie, en médecine, en sociologie, un ordre analogue à celui qui a préva- lu dans le ciel et sur la terre. Cent ans après la publication du grand ouvrage de Newton, Kant soutient que la métaphysique doit pouvoir se présenter comme une science rigoureuse, et que le caractère dis- tinctif de la science est la prépondérance de la méthode mathématique.

Il ajoute même, non sans quelque imprudence, que la psychologie, parce qu'elle n'est pas réductible au calcul, ne pourra jamais prétendre à la dignité d'une science digne de ce nom.

e siè- cle, a rejeté au second plan l'apparition d'une nouvelle forme de connaissance qui, dès le milieu du XVIIIe siècle, connaît en Europe un prodigieux développement. Cette connaissance s'attache à la réalité

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humaine, considérée comme un objet d'enquête objective, et traitée selon les exigences de méthodologies spécifiques. Le XVIIIe siècle n'a pas inventé les sciences humaines ; elles s'étaient déjà annoncées, ici ou là, à travers la diversité des espaces-temps culturels. Mais c'est au XVIIIe

De toute évidence, la constitution des sciences humaines nous tou- che de plus près que le développement des disciplines physico- mathématiques. Or il ne semble pas que l'on n’ait jamais accordé aux sciences de l'humanité le même intérêt qu'aux sciences de la réalité matérielle. Tout se passe comme si l'intelligence humaine, en retard sur le devenir de la connaissance, n'était pas parvenue à se libérer des schémas mécanistes mis au point depuis le début du xvii' siècle. Les sciences rigoureuses définissent le prototype de toute vérité ; leur pré- éminence est attestée chaque jour par le développement de la civilisa- tion technique, dont dépendent nos conditions de vie. L'espérance cy- bernétique (ou plutôt la désespérance), sous ses formes multiples, re- présente la dernière en date, et non la moins dangereuse incarnation de ce primat intellectuel de la machine.

siècle que prennent vraiment conscience d'elles-mêmes les sciences historiques et philologiques, l'ethnographie, l'économie poli- tique, la psychologie...

Si l'on s'en tient à ce point de vue, les sciences humaines, pour au- tant qu'elles échappent encore à la juridiction des machines électroni- ques, demeurent des sciences inexactes et approximatives, sciences fort peu scientifiques en réalité. Renan, l'un des témoins français du mouvement des sciences historiques en Allemagne, après avoir lui- même glorieusement consacré sa vie à la philologie et à l'histoire des religions, finissait par douter de la valeur de ces disciplines. Il les trai- tait de « petites sciences conjecturales, qui se défont sans cesse après s'être faites, et qu'on négligera dans cent ans ». Et Renan, sensible au prestige de son ami Berthelot, regrettait de n'avoir pas choisi la voie droite et utilitaire de la chimie, science du réel et bienfaitrice de l'hu- manité. Autrement dit, on ne sait pas trop si les prétendues sciences de l'homme méritent cette appellation, ou si elles ne sont pas en réalité des disciplines littéraires et approximatives, simple domaine de cultu- re, dont le seul intérêt serait de perpétuer les rêves et les erreurs des générations disparues.

Tel fut à peu près le point de départ de mes réflexions sur le renou- vellement de la métaphysique. Pourquoi la métaphysique devrait-elle

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demeurer prisonnière d'un moment dépassé de l'histoire du savoir ? Il n'y a pas lieu d'en vouloir à Descartes s'il édifie une métaphysique de la physique, des mathématiques. Le système cartésien reflète l'image du nouveau monde mécaniste, tel qu'il est sorti de la révolution de 1630.

[v]

Mais il serait absurde de perpétuer à jamais la vérité épistémologi- que des années 1630. La métaphysique en tant qu'examen de cons- cience de l'humanité, doit être recommencée au fur et à mesure des renouvellements de la conscience que l'humanité prend d'elle-même.

Depuis le XVIIIe

La condition de l'homme est de vivre dans un monde humain, dont les seules sciences humaines peuvent nous livrer les différents aspects.

L'homme, qui établit la vérité des choses, relève d'une intelligibilité spécifique, dont les modernes sciences de l'homme s'efforcent de re- trouver les configurations. Il faut dénoncer l'antique malentendu per- pétué par le mot même de métaphysique. Ce vocable, enfant du ha- sard, est un mot mal fait. À cause de physique, comme si toute vérité humaine devait nécessairement se situer dans la perspective de la connaissance de la nature matérielle, qui se voit ainsi reconnaître une injustifiable primauté sur la réalité humaine. De plus, le préfixe méta est également dangereux, car il donne à entendre que la vérité de l'être vient après celle du monde et de la nature, correspondant ainsi à un autre domaine, indépendant du premier. Or la vérité philosophique n'est pas une vérité ultérieure, intrinsèquement différente des vérités initiales de la nature et de l'homme. Son contenu, c'est la totalité des indications que fournit à travers les espaces-temps historiques l'inven- taire de la condition humaine, réalisé par l'ensemble des savants qui travaillent dans tous les secteurs de la connaissance. L'entreprise mé- taphysique correspond à l'effort pour lier la gerbe des savoirs à travers lesquels s'annonce la réalité de l'homme et la réalité du monde.

, siècle, l'homme est devenu pour l'homme un objet de connaissance objective ; du même coup, l'être humain a découvert que rien ne lui est plus étranger que sa propre nature. La pensée hu- maine ne peut se dérober devant la responsabilité de prendre comme objet d'enquête le règne humain dans son unité et dans ses diversités.

C'est ainsi que j'en vins à l'idée de tenter l'entreprise d'une théorie des ensembles culturels, attachée à révéler les renouvellements des

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significations de la conscience. Mais la prise en charge des sciences humaines par la philosophie entraîne une reconversion des sciences humaines. Les sciences de l'homme ont suivi jusqu'à présent la ligne de plus grande pente de l'histoire du savoir. Peu nombreuses à l'origi- ne, elles se sont éparpillées au fur et à mesure de l'éparpillement de l'espace épistémologique. Prises au piège de leur propre technicité, victimes de leurs procédures et de leur langage, elles sont devenues de plus en plus sciences et de moins en moins humaines ; elles ont perdu en cours de route l'intention d'humanité qui les animait au départ.

Cette mésaventure du savoir est l'un des drames majeurs de la culture contemporaine. Le philosophe peut retrouver ici un rôle à sa mesure : face aux spécialistes de toutes les spécialités, il peut devenir le spécialiste de l'humanité. Il lui appartient de remonter la, pente de la dégradation de l'énergie épistémologique, et de regrouper ce que l'ana- lyse a dissocié. Le philosophe doit reprendre l'immense recueil des informations accumulées au cours des siècles par toutes les disciplines humaines, afin d'y découvrir le visage de l'homme.

La situation actuelle des sciences humaines n'est qu'un moment dans une enquête à jamais inachevée. Ces sciences ne nous apportent pas une photographie d'un réel extérieur et définitif ; elles intervien- nent comme des facteurs dynamiques dans le mouvement de la civili- sation. Les sciences de l'homme contribuent à l'édification de l'huma- nité. Celui qui court après son ombre ne la rattrapera pas ; mais il se transforme [vi] lui-même au fur et à mesure des résultats acquis et du chemin parcouru.

C'est pourquoi le philosophe ne doit pas se laisser captiver par la plus récente actualité. Il y a des modes dans le domaine des sciences humaines comme ailleurs ; un certain snobisme s'imagine toujours que la dernière idée ou la prochaine enquête vont arrêter la recherche à tout jamais, et révéler la solution. Si la suite des temps a dissocié les sciences humaines, la recherche historique permettra de retrouver le sens de l'unité perdue, et peut-être d'indiquer le sens de l'unité à re- trouver.

Telle m'apparaissait, vers 1957, la tâche à entreprendre. Tâche de philosophie, mais qui aurait pour matière l'épistémologie et l'histoire.

Le projet était de suivre à la trace cette connaissance de l'humanité par

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elle-même, poursuivie par tous ceux qui ont essayé de déchiffrer le mystère de l'existence à travers les aventures de la culture.

*

* *

Les sciences humaines ont l'homme pour objet. La méthodologie physique ou mathématique est aussi déplacée dans le domaine humain que le serait dans les sciences physiques ou mathématiques, une mé- thodologie de type psychologique. La physique positive est née lors- que Galilée a déblayé le champ expérimental des significations trop humaines qui y traînaient depuis les origines de l'humanité. Mais si les significations humaines sont déplacées en physique, il est stupide de soutenir qu'elles ne sont pas à leur place en psychologie, en histoire ou en économie... L'anthropomorphisme, qui est un obstacle épistémolo- gique dans l'ordre des sciences de la nature, devient le fondement même de l'épistémologie dans le domaine humain.

On peut faire une anatomie et une physiologie du sourire, en décri- vant des circuits sensori-moteurs, des réseaux de nerfs, des systèmes de muscles mis en mouvement par une excitation extérieure déclen- chant une réponse du sujet. On peut tenter de calculer le sourire en intensités électriques ; on peut mesurer la tension artérielle et analyser les urines. On établira ainsi que le sourire met en oeuvre un appareil- lage extrêmement compliqué, si bien que la production d'un sourire apparaîtra comme un phénomène hautement improbable, à moins que l'on ne dispose d'un ordinateur de taille moyenne. Puis viendra un cy- bernéticien, qui construira un modèle électronique du sourire, lequel permettra à une calculatrice à grand rendement de débiter plusieurs millions de sourires à la seconde. Je ne dis pas que tout cela soit sans intérêt ; il se pourrait que l'on ajoute ainsi quelque chose à notre connaissance du sourire. Mais un sourire est un fait humain qui appar- tient à la réalité humaine. Le sourire de la fille amoureuse, le sourire de la mère à son enfant, le sourire de la Joconde ont leur sens et leur valeur dans l'ordre des significations humaines, irréductible à la phy- siologie ou à l'électronique. Pour comprendre un fait de ce genre, il faut s'établir dans le domaine humain, dont toutes les implications se trouvent dès le départ présupposées.

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L'homme ne peut être compris qu'en langage humain ; cette consta- tation fut pour moi la clef d'un savoir nouveau. Un jour, comme je feuilletais Les Ruines, le curieux livre de l'idéologue français Volney, une note me frappa, qui suggérait aux autorités révolutionnaires de Paris la création d'un Musée de l'Homme, et ajoutait qu'une institution de ce genre existait déjà à Saint Pétersbourg. Puis je trouvai chez l'Ecossais David Hume l'expression « science de l'homme », et la sug- gestion [vii] d'une « géographie mentale ». Ces formules me frappè- rent comme ayant un accent neuf en leur temps. L'homme de la méta- physique traditionnelle, créature de Dieu égarée en ce bas monde, mais bénéficiant d'un statut ontologique, n'est pas un objet de science.

Pour parvenir à l'idée d'une science de l'homme, il fallait surmonter une contradiction dans les termes et remettre en question avec l'intré- pidité de Hume, les évidences les plus sacrées.

Je tenais deux anneaux d'une chaîne. Hume, c'était la tradition de l'empirisme anglo-saxon, depuis Francis Bacon et Locke ; c'était la philosophie expérimentale d'inspiration newtonienne, qui devait susci- ter en France le mouvement de l'Encyclopédie. Mais Hume est aussi le contemporain de Linné, qui fait figurer l'espèce humaine dans son ta- bleau général des espèces animales, ouvrant ainsi la possibilité d'une histoire naturelle de l'homme. Quant à Volney, il appartient à l'équipe des Idéologues, continuateurs de l'Encyclopédie, qu'ils s'efforcent de faire passer à l'acte dans la France révolutionnaire. Or l'idéologie, se- lon son théoricien Destutt de Tracy, veut être une branche de la zoo- logie, et l'idée de science de l'homme se trouve au cœur de la préoc- cupation idéologique.

Ces pensées éparses trouvèrent leur première expression dans un article Pour une histoire de l'idée de science de l'homme ; publié en janvier 1957 par Diogène, la revue de l'U.N.E.S.C.O. Ce texte qui pro- testait contre le retard de la recherche dans un domaine capital pour la culture occidentale, était un manifeste en faveur de la spécificité irré- ductible des sciences humaines. J'avais, à l'époque, plus de bonne vo- lonté que de connaissances réelles ; mais je disposais désormais d'un programme de travail ; je savais de quel côté trouver la matière de la réflexion métaphysique. Car le philosophe qui, tel Montaigne dans sa tour ou Descartes en son poêle, croit disposer d'un accès direct à la connaissance de soi, découvre au profond de lui-même une individua- lité conforme aux normes de son époque. Montaigne exprime le déclin

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des grandes espérances renaissantes ; Descartes incarne de tout son génie la passion baroque de l'aventure intellectuelle. Celui-là même qui croit rompre avec les normes établies, ne les domine qu'en leur obéissant. La philosophie, en tant que connaissance et jugement de l'homme par l'homme, présuppose donc une histoire de l'humanité de l'homme, un inventaire des formes successives de cette première conscience et évaluation de soi, que la culture régnante propose à cha- que individu, et qui se transforme insensiblement de génération en génération.

Étudiant les origines et les développements des sciences humaines, j'entreprenais un inventaire chronologique de la conscience de soi par- ticulière à l'homme d'Occident. Ce serait un travail historique, portant sur le développement corrélatif de l'épistémologie et de la métaphysi- que. Jusque-là, l'histoire de la philosophie ne m'avait jamais tenté. J'y voyais un labeur d'érudition, dont les servitudes philologiques me pa- raissaient peser beaucoup plus lourd que les bénéfices éventuels. Mais subitement, le problème qui s'était imposé à moi me passionna, et je me mis à parcourir avec des enthousiasmes d'explorateur les magasins abondamment garnis de la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg.

Il ne s'agissait plus, en effet, d'une histoire de la philosophie au sens traditionnel, c'est-à-dire d'une analyse logique des systèmes suc- cessifs, où l'on s'ingénie à désarticuler les doctrines pour les recompo- ser, le fin du fin étant de mettre un auteur en contradiction avec lui- même [viii] et avec ses voisins. L'espace de ma recherche n'était plus le no man's land des théories ; c'était le domaine de la pensée humaine en quête d'elle-même, sous toutes les formes que peut prendre l'entre- prise de la connaissance. L'histoire des idées, étroitement associée à l'histoire des hommes, prenait le pas sur l'anhistorisme métaphysique.

Médecins, philologues, historiens, anthropologistes, juristes et éco- nomistes, théologiens sont les témoins, et ensemble les artisans, de la conscience culturelle de l'humanité. Leurs découvertes jalonnent à travers les siècles le renouvellement des valeurs.

Je m'aperçus alors que les instruments de travail pour une telle en- quête faisaient regrettablement défaut. L'histoire des mathématiques, de l'astronomie, de la mécanique, de la physique ont donné lieu, en langue française, à des recherches nombreuses, et parfois de grande valeur ; l'histoire des sciences humaines restait encore à écrire. Il exis-

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tait bien des notices, des résumés, où tel ou tel spécialiste donnait en quelques paragraphes, en quelques noms et en quelques dates, une esquisse de ce qu'il croyait être le développement de sa science. Mais on découvrait assez vite que ces abrégés se recopiaient les uns les au- tres, et que d'ailleurs leurs auteurs, en règle générale, ne connaissaient ni les livres ni les hommes qu'ils mentionnaient. Il s'agissait seulement d'une sorte de folklore corporatif, en forme de distribution des prix : Un Tel a découvert ceci ; un Autre a révélé cela, et à force de vérités ainsi accumulées, telle ou telle discipline est parvenue à la situation brillante où on la voit aujourd'hui, grâce aux bons offices des spécia- listes contemporains.

Cette carence bibliographique atteste le peu d'intérêt dont bénéfi- ciaient en France l'histoire et l'épistémologie des sciences humaines.

Ce domaine inexploré n'était nulle part matière d'enseignement ou d'examen. Aussi bien serait-il injuste d'incriminer ici seulement les philosophes, comme si leur incombait le travail méthodologique à propos de toutes les disciplines. Chaque science devrait approfondir sa propre généalogie. Un savant sans histoire est un homme sans passé.

À cet égard, la plupart de nos spécialistes sont des amnésiques. « Le savant ne peut légitimement prétendre à une connaissance complète et profonde de sa science, écrivait Georges Sarton, s'il en ignore l'histoi- re. » 2. Et Blainville, l'ami d'Auguste Comte, observait en 1845 :

« L'histoire de la science est la science elle-même. » 3. La dimension historique est une voie d'approche vers chaque savoir spécialisé. Selon lord Acton, l'histoire « n'est pas seulement une branche particulière de la connaissance, mais un mode particulier et une méthode de connais- sance dans les autres branches (...). La pensée historique est plus que le savoir historique. » 4

Aucune science de l'homme n'est isolable de toutes les autres ; les idées, les thèmes, les doctrines, et même les savants, circulent d'un compartiment à l'autre, si bien que l'unité et la continuité d'une quel- conque branche de l'ensemble résultent d'une illusion d'optique. Cha- cune des sciences humaines ne trouve sa signification véritable que

.

2 Georges SARTON, L'Histoire de la Science, Isis, no 1, Gand 1913, p. 33.

3 H. DE BLAINVILLE, Histoire des Sciences de l'Organisation, Paris, 1845, t. I, p. VIII.

4 BUTTERFIELD, Man on his Past, Cambridge University Press, 1955, p. 6.

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