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L'ANTHROPOLOGIE MÉCANISTE : LE THÈME DE L'HOMME

MACHINE

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Le nouveau schéma, en voie d'organisation, d'une science mécanis-te et expérimentale, implique une complèmécanis-te révision des valeurs épis-témologiques. On ne peut modifier le statut de la science de la nature sans mettre en question la science de l'homme. Car l'opération de connaissance suppose l’homogénéité de ce qui est connu et de ce qui connaît. L'homme qui organise rationnellement le monde des corps se découvre aussi comme corps dans ce monde. La distance prise de l'es-prit par rapport aux objets entraîne aussi une mise à distance du corps propre, objet parmi les objets.

La coupure qui s'introduit ainsi entre l'esprit et le corps suppose une décisive réforme des structures de l'expérience humaine, dont les répercussions engagent l'avenir de la philosophie occidentale. La science traditionnelle se développe dans le cadre de l'astrobiologie, c'est-à-dire qu'elle met en œuvre une vitalité totalitaire englobant tout ce qui est. La catégorie de la vie s'applique universellement : la réalité

matérielle ne peut être qu'une vie amortie. C'est pourquoi, dans le sys-tème d'Aristote, la matière s'oppose à la forme, et non à la vie ou à l'esprit. L'animisme, le biomorphisme, l'hylozoïsme, le naturalisme panpsychiste inspirent les divers systèmes de la Renaissance : il y a continuité, non pas opposition, entre l'homme et la nature. Et cette analogie structurale permet le déploiement d'un schéma hiérarchique, répartissant tous les êtres selon un ordre de perfection, depuis les for-mes les plus basses jusqu'aux plus éminentes, qui sont l'homme et Dieu.

L'échelle de valeurs ainsi surimposée au naturalisme physico-théologique permet au platonisme et au néo-platonisme d'opposer l'âme et le corps, et de proposer à l'âme cette odyssée libératrice qui lui permettra de s'affranchir des formes les plus basses de l'existence.

Un tel progrès n'est possible que s'il y a continuité, et non coupure. Le christianisme reprend à son compte ces perspectives : l'homme, der-nier né de la Création, possède néanmoins parmi les créatures une sor-te de droit d'aînesse. Le monde est un jardin confié aux hommes, qui doivent le gérer et l'administrer ; il constitue en même temps le théâtre et l'enjeu de leur destinée : les hommes doivent y affirmer cette liberté que la Providence leur a remise, pour leur salut ou pour leur perdition.

Ainsi l'homme se reconnaît comme la fin, ou le couronnement, de la nature ; il doit maintenir, entre elle et lui, un décalage d'ordre et de dignité.

[86]

Vivant parmi les autres vivants, l'être humain, selon la pensée chrétienne, se heurte dans son corps à un empêchement d'être. Théo-logiens et philosophes du christianisme retrouvent l'inspiration du pla-tonisme pour dénoncer dans le corps la partie honteuse de la réalité humaine, l'envers de l'âme ou sa contrepartie. Par ses polarités instinc-tives, il joue le rôle du tentateur, puissance de désordre qui fait obsta-cle à la manifestation de la vérité et de la charité. La conception de la chair, siège des concupiscences et du péché, opposant la loi des mem-bres à la loi de l'esprit, perpétue cette lecture de l'organisme en non-valeur. Les rapports de l'âme et u corps sont interprétés en fonction d'une symbolique spirituelle, qui exclut toute interprétation positive, de la même manière que l'astrologie régnante empêche au Moyen Age, par la confusion radicale des perspectives d'intelligibilité, la formation d'une médecine digne de ce nom.

Lors même que l'on commence à s'intéresser aux êtres naturels pour les décrire ou les classer d'une manière plus ou moins rudimen-taire, la personne humaine doit échapper au droit commun de cette science en formation. L'homme, en tant que fils de Dieu, investi, à l'égard de la nature entière, d'un droit de primogéniture, ne peut pas rentrer dans le rang de cette réalité qu'il transcende en l'organisant.

D'ailleurs, il est libre et responsable ; il jouit du droit et du devoir de se déterminer lui-même selon les normes spirituelles qui décident de son destin. L'idée même d'une science de l'homme ruinerait la liberté, dont les religions et les métaphysiques doivent faire un attribut de la condition humaine. La personne physique et morale représente un emplacement de choix pour les valeurs transcendantes, un refuge où la présence du sacré se manifeste avec une évidence particulièrement instante. De là l'hostilité que rencontre la pratique de la dissection : le regard objectif du savant paraît ici criminel ; il est poursuivi comme sacrilège parce qu'il viole un espace sacré. Le noli me tangere évangé-lique s'impose de chacun à son semblable. L'homme est pour l'homme un intouchable ; il demeure cet emplacement privilégié où seule peut opérer, dans le mystère, la grâce toute puissante de Dieu.

La cosmologie mécaniste substitue au modèle épistémologique de l'âme, qui rend compte de toute réalité en termes de vie, un nouveau schéma où les phénomènes s'expliquent par des combinaisons d'élé-ments matériels et de mouved'élé-ments. L'épicurisme renaissant compose l'univers avec des atomes et du vide, d'autres penseurs mettent en œu-vre des milieux de densités diverses, soumis à des influences détermi-nables en rigueur. Le principe d'inertie, les lois de la chute des corps assument désormais par autorité de raison les fonctions naguère dé-parties aux mythes directeurs de l'astrobiologie. Or ce système d'ex-plication doit, par le biais de la théorie de la connaissance, atteindre de proche en proche l'homme lui-même. Si les arrangements matériels dont l'univers se constitue en réalité donnent lieu au spectacle du monde tel qu'il s'offre à nous, c'est parce que la perception travestit les phénomènes : la connaissance sensible transcrit le domaine physico-mathématique en une réalité humaine. La psycho-physiologie doit fournir la clef de ce système de transformation ; elle soumet donc à la mécanique triomphante l'ordre même de la pensée empirique, ainsi que le corps humain, lieu et support de cette pensée : la doctrine scien-tifique déchiffre ce que la connaissance sensible a chiffré.

La science de l'homme prend effectivement son essor au moment où le corps humain, perdant son privilège d'exterritorialité, devient corps parmi les corps, soumis au droit commun du monde matériel. Il s'agit là d'une véritable révolution spirituelle, qui permettra d'abord le développement d'une médecine positive, débarrassée des mythes cos-mologiques dont elle avait été encombrée jusque-là. Mais ce résultat suppose une rupture tragique [87] des habitudes mentales les plus an-ciennes ; c'est la place de l'homme dans l'univers qui se trouve re-considérée. En rentrant ainsi dans le rang des choses, l'homme a cons-cience de perdre sa dignité ontologique. D'où les résistances qui vont se manifester un peu partout : l'anthropologie est désormais possible comme science, mais plusieurs siècles seront nécessaires avant que les conséquences de ce remembrement du réel ne soient pleinement ad-mises par tous. Au milieu du XIXe

Si l'on veut dater d'une manière précise l'apparition de l'anthropo-logie mécaniste, on peut faire choix de l'année 1628, où Harvey publie la description de la circulation sanguine dans son traité : Exercitatio anatomica de motu cordis et sanguinis in animalibus. Harvey avait eu des précurseurs arabes et chrétiens, niais chez Ibn an Nafis, de Damas, au XIII

siècle, lorsque Darwin reprend, en somme, la même cause, il se heurte de nouveau à l'opposition farou-che de ceux qui revendiquent pour l'homme une place à part dans la création.

e siècle, comme dans la Christianismi restitutio de Michel Ser-vet, en 1553, le thème de la circulation pulmonaire s'inscrit dans un contexte intellectuel encombré de prénotions et de mythes, qui empê-chent leurs pressentiments de prendre la valeur d'une découverte déci-sive. Au contraire, l'espace mental de Harvey est celui du mécanisme triomphant 107

107 SIGERIST, dans son Introduction à la médecine (trad. Témine, Payot, 1932, p. 29-30) estime que la découverte de Harvey introduit en biologie le nou-veau sens de la vie, caractéristique de l'âge baroque, qui, s'intéressant au de-venir, au mouvement, a tendance à considérer l'anatomie, trop statique, dans une perspective fonctionnelle : « Le médecin ne s'attachera pas au corps, dans son harmonie figée, mais au mouvement sans entraves de l'organisme dans son ensemble et dans ses diverses parties. Il ne voit pas le muscle, mais sa contraction. La physiologie ouvre les portes à l'illimité. Harvey est donc le premier des médecins à avoir incarné les idées du baroque. » De son côté, Charles Singer, dans son Histoire de la Biologie (trad. Gidon, Payot, 1934, p. 128) insiste sur le fait que Harvey n'a pas conscience de faire œuvre

: le schéma de la circulation sanguine prend alors la

valeur d'une explication rigoureuse. Pour la première fois, la vie se laisse prendre en flagrant délit de fonctionnement rigoureusement au-tonome. La conclusion s'impose, de proche en proche : l'homme est une machine, comme le monde lui-même. Conclusion assez scanda-leuse pour forcer l'attention, et pour soulever contre les « circula-teurs » l'hostilité tenace de la médecine traditionnelle, appuyée sur les institutions officielles qu'elle contrôle. Mais le combat retardateur de la tradition contre la vérité est, ici comme partout, voué à l'échec. Et les médecins de Molière sont, dès le temps de Molière, la proie du ri-dicule.

Harvey lui-même n'a pas inventé le thème de l'homme machine, le nouveau mythe de l'anthropologie mécaniste. Mais, en demeurant sur le terrain des faits, il a ouvert la voie pour d'autres. Descartes n'a fait que reprendre un thème qui était dans l'air à ce moment-là, et que la découverte de Harvey autorisait désormais de toute son évidence ra-tionnelle. Descartes se réfère d'ailleurs lui-même, pour justifier ses vues, à « l'opinion d'Hervaeus touchant la circulation du sang » 108. La physiologie de Descartes est elle-même en retard, si l'on peut dire, par rapport à celle de Harvey, dont elle est tributaire. Georges Canguil-hem a mis en lumière, après Gilson, les résidus scolastiques persis-tants dans la biologie cartésienne : « Alors que, selon Harvey, le cœur est un muscle dont les contractions chassent le sang vers la [88] péri-phérie par les vaisseaux, c'est selon Descartes un viscère, dont les mouvements manifestent passivement les effets que sa chaleur propre détermine dans le sang qui tombe en ses cavités, dont les parois ont une élasticité limitée 109

lutionnaire : « C'était un esprit fort conservateur. Il jurait par Galien (...) En annonçant sa grande découverte, Harvey se refuse presque à lui reconnaître de l'originalité et suggère que ce n'est qu'un retour au point de vue d'Aristo-te. »

. » Le cœur est, pour Descartes, le siège d'une chaleur qui dilate et vaporise le sang dans l’organisme : cette mytho-logie du feu vital prolonge des thèmes traditionnels. Autrement dit, Descartes se montre sur ce point, comme sur d'autres, infidèle au mé-canisme affirmé par Harvey d'une manière plus catégorique.

108 Traité des Passions, 1649, Livre I, article 7, édition Bridoux des Œuvres de Descartes, Pléiade, p. 698.

109 Cf. CANGUILHEM, La formation du concept de réflexe aux XVIIe et XVIIIe siècles, P.U.F., 1955, pp. 33-34.

Mais Descartes n'est pas seul en cause. Hobbes, à la même époque, dégage parfaitement les conséquences générales de la théorie circula-toire, mettant en parallèle la nouvelle anthropologie et la cosmologie de Galilée. Il écrit, en effet, dans la dédicace des Eléments de Philo-sophie : « Galilée, le premier, nous a ouvert la porte première de la physique universelle, qui est la nature du mouvement (...) Après quoi, Guillaume Harvey, avec une sagacité admirable, a exploré et démon-tré, dans son livre sur le mouvement du sang et la génération des ani-maux, la science du corps humain, cette partie extrêmement utile de la physique 110. » Et Mersenne, de son côté, imagine un automate qu'on pourrait construire pour illustrer la circulation du sang selon les vues de Harvey 111. La vie du plus modeste animal met en œuvre une pro-digieuse machinerie. Que l'on imagine le plus merveilleux ballet, monté à très grands frais : « néanmoins il n'aurait pas tant de beauté ni d'industrie que la composition et le mouvement d'un moucheron qui tout seul contient et renferme plus de merveilles que tout ce que l'art des hommes peut faire et représenter ; de sorte que si l'on pouvait acheter la vue de tous les ressorts qui sont dans ce petit animal, ou bien apprendre l'art de faire des automates et des machines qui eussent autant de mouvements, tout ce que le monde à jamais produit en fruits, or et argent, ne suffirait pas pour le juste prix de la simple vue des dits ressorts 112

Ces témoignages convergents font bien voir qu'un seuil est franchi dans l'interprétation de la réalité humaine. La théorie circulatoire n'est d'ailleurs pas la seule acquisition scientifique du temps ; le nouveau schéma organique s'appuie également sur une explication mécaniste du mouvement humain, prélude à la neurologie moderne. La doctrine traditionnelle des sympathies attribuait l'unité du fonctionnement in-dividuel à une harmonie préétablie entre les organes : ce principe transcendant assurait par des moyens occultes la liaison entre tous les éléments mobilisés par la vie. « Descartes, est le premier, écrit Can-guilhem, qui substitue à la notion confuse de sympathie les notions, quasi mathématiquement claires, de disposition des organes et de

mé-. »

110 Cité dans B. LANDRY, Hobbes, Alcan, 1930, p. 36.

111 MERSENNE, Questions théologiques (1634), pp. 79-80, cité dans LENO-BLE, Mersenne..., p. 501.

112 MERSENNE, Traité de l'harmonie universelle (1627), livre II, proposition XXII, pp. 159-160, cité ibid., p. 74.

canisme, et qui confère à la distinction du mouvement animal et de l'animation psychique une portée décisive, en l'utilisant à l'explication du comportement humain 113

Dans le domaine de la vie organique, le principe mécaniste inter-vient à la manière d'un facteur heuristique : il dirige la recherche, il oriente l'attention. Il va au-devant des faits ; il ne les suit pas à la ma-nière d'une conséquence. La nouvelle épistémologie procède du nou-vel état d'esprit ; l'expérience suit comme elle peut. Il s'en faut d'ail-leurs de beaucoup, et [89] pour longtemps, que les faits viennent plei-nement justifier la nouvelle idée-force de l'homme machine. Celle-ci demeure une sorte de mythe épistémologique dont s'enchantent les philosophes et les savants. Le nouveau style atteste en tout cas le triomphe de l'intelligibilité positive et expérimentale de l'âge galiléen : la désacralisation qui a triomphé du macrocosme cosmologique s'ap-plique aussi au microcosme de l'organisme. Une même procédure doit rendre raison des corps extérieurs et du corps humain, sans coupure entre l'organique et l'inorganique. Le fonctionnement de l'être vivant s'explique en vertu des mêmes normes qui justifient la trajectoire des astres dans le ciel.

. »

Du point de vue littéraire, c'est sans doute dans l'œuvre de Descar-tes que le mythe de l'homme machine trouve son expression la plus complète. Les automates, fabriqués depuis la Renaissance par des arti-sans formés aux nouvelles disciplines horlogères, pour la plus grande admiration des badauds, fournissent le nouveau modèle explicatif de l'organisme. Un corps vivant n'est qu'une mécanique mise au point par un artisan divin, infiniment plus habile que les plus habiles horlogers :

« Dieu a fabriqué notre corps comme une machine, affirme Descartes, et a voulu qu'il fonctionnât comme un instrument universel, opérant toujours de la même manière selon ses propres lois 114

113 CANGUILHEM, La formation du concept de réflexe, déjà cité, p. 28.

. » La nouvelle mécanique humaine voit s'ouvrir devant elle un champ d'exploration immense : Descartes s'enchante à l'idée qu'il sera bientôt possible de rendre compte, grâce à ses schémas positifs, aussi bien de la circula-tion du sang que du mouvement des membres ou du fonccircula-tionnement du système nerveux dans son ensemble, du sommeil et de la veille, de

114 DESCARTES, Entretien avec Burman, in Œuvres, Bibliothèque de la Pléia-de, p. 1380.

la sensation et de la perception, etc. « Ce qui ne semblera nullement étrange à ceux qui, sachant combien de divers automates ou machines mouvantes l'industrie des hommes peut faire, sans y employer que fort peu de pièces, à comparaison de la grande multitude des os, des mus-cles, des nerfs, des artères, des veines, et de toutes les autres parties qui sont dans le corps de chaque animal, considèreront ce corps com-me une machine qui, ayant été faite des mains de Dieu, est incompa-rablement mieux ordonnée et a en soi des mouvements plus admira-bles qu'aucune de celles qui peuvent être inventées par les hom-mes 115. » La parabole mécaniste de l'animal-machine s'applique de plein droit à l'homme lui-même, ainsi qu'en témoigne un Traité de l'Homme, écrit en 1632, mais publié seulement après la mort de son auteur, où Descartes entreprend de décrire une création artificielle du corps humain, à la manière « des horloges, des fontaines artificielles, des moulins à vent et autres semblables machines » 116

L’audace d'un pareil dessein est considérable ; elle évoque, dans un style nouveau, l'entreprise des alchimistes s'efforçant de produire l'homuncule, la miniature de l'être humain. Mais, cette fois, les techni-ques employées sont sans mystère ni enchantement ; elles déploient d'une manière parfaitement intelligible leurs agencements rationnels.

La désacralisation de l'organisme fait de lui un domaine non privilé-gié, dans une nature elle-même coupée du surnaturel. Du coup, la dis-tinction s'efface entre le naturel et l'artificiel, car « toutes les choses qui sont artificielles sont avec cela naturelles »

.

117. Les mythes du na-turalisme et de l'hylozoïsme sont définitivement condamnés ; ils ne présentent plus aucune utilité. Descartes écrit à Morus que la [90]

« machinerie du corps » peut parfaitement se suffire à elle-même :

« Du moment que l'art est un imitateur de la nature et que les hommes peuvent fabriquer des automates variés dans lesquels, sans aucune pensée, se trouve le mouvement, il semble conforme à la raison que la nature produise aussi ses automates, mais qui l'emportent de beaucoup sur les produits de l'art, à savoir toutes les bêtes... 118

115

»

V, éd. citée, p. 164.

116 Traité de l'Homme, ibid., p. 807.

117 Principes de la Philosophie, 1. IV, § 203 (édition Adam-Tannery, t. IX, p.

321).

118 Lettre à Morus, 5 février 1649, ibid., p. 1319.

L'animal machine, l'homme machine peuvent donc fonctionner d'une manière autonome, « sans aucune pensée ». Affirmation révolu-tionnaire dans son intrépidité, et lourde de conséquences. La notion traditionnelle de l'âme, que les philosophes avaient toujours associée au corps, comme une sorte d'essence, ou de « double » qui perpétuait le souvenir des traditions primitives, se trouve définitivement condamnée. Elle n'est pas seulement inutile, mais dangereuse, car elle introduit la confusion dans la pensée. « Pour ôter cette équivoque et ambiguïté », Descartes préfère appeler esprit « le principe par lequel nous pensons », « car je ne considère pas l'esprit comme une partie de l'âme, mais comme cette âme tout entière qui pense » 119. Autrement dit, l'organisme, attribué tout entier à la mécanique, devient un vide spirituel, la présence humaine n'y intervient plus. Le Traité de l'hom-me rend compte en termes de physique mécaniste de toutes les fonc-tions vitales : digestion, respiration, circulation, sommeil, perception, mouvements, mémoire, désirs et passions... : « je désire que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que

L'animal machine, l'homme machine peuvent donc fonctionner d'une manière autonome, « sans aucune pensée ». Affirmation révolu-tionnaire dans son intrépidité, et lourde de conséquences. La notion traditionnelle de l'âme, que les philosophes avaient toujours associée au corps, comme une sorte d'essence, ou de « double » qui perpétuait le souvenir des traditions primitives, se trouve définitivement condamnée. Elle n'est pas seulement inutile, mais dangereuse, car elle introduit la confusion dans la pensée. « Pour ôter cette équivoque et ambiguïté », Descartes préfère appeler esprit « le principe par lequel nous pensons », « car je ne considère pas l'esprit comme une partie de l'âme, mais comme cette âme tout entière qui pense » 119. Autrement dit, l'organisme, attribué tout entier à la mécanique, devient un vide spirituel, la présence humaine n'y intervient plus. Le Traité de l'hom-me rend compte en termes de physique mécaniste de toutes les fonc-tions vitales : digestion, respiration, circulation, sommeil, perception, mouvements, mémoire, désirs et passions... : « je désire que vous considériez que ces fonctions suivent toutes naturellement, en cette machine, de la seule disposition de ses organes, ne plus ne moins que