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santé sur le web

D.- Naissance de groupes de réflexions sur l’e-santé

Nous relevons à plusieurs reprises dans ce travail de recherche les caractéristiques multiples à tous les niveaux qui entourent les informations de santé sur le web : quantité exponentielle, producteurs variés, très grand nombre d’usagers, sources diversifiées, etc. Pas toujours convergentes et « potentiellement conflictuelles », ces informations sont produites par une « modernité réflexive », puis consommées par des non professionnels de la santé qui les trient chacun à leur manière, se les réapproprient et les adaptent à leur propre besoin [Hardey, 2004]. Dans cette diversité, un intérêt commun pour l’information de santé numérique a réussi à fédérer des acteurs de différentes disciplines et de cultures hétérogènes.

Aussitôt apparus sur le web, les informations de santé ont rassemblé des « animateurs de sites » du monde entier, et nous avons déjà évoqué précédemment que l’amélioration des informations mises en ligne était l’un des principaux ordres du jour de cette réunion. Il s’agit du congrès organisé par l’IHC les 5 et 6 octobre 1998 aux États-Unis. Avec près de 200 participants, anglo-saxons dans leur quasi-totalité, seulement deux francophones étaient présents à ce rassemblement et aucun français n’y avait assisté. Le Dr Daniel Désir, co-responsable du site web de l’Hôpital Érasme de Bruxelles à l’époque, a assisté à cette rencontre pionnière. Il a immédiatement interpellé les éditeurs francophones en ces termes :

« L’Internet ne connaît à ce jour ni frontière, ni barrière, ni censure. Il est dangereux de laisser les Américains capter l’attention de la planète, ouvrir à leur profit les vannes du commerce électronique, exercer à plein leur impérialisme de l’information, sans aucun contrepoids culturel, notamment francophone. Pour cerner ce danger, il faut le connaître, c’est-à-dire saisir toutes les occasions de fréquenter les Internautes et les webmasters

Le deuxième congrès de l’IHC s’est déroulé l’année suivante, le 13 octobre 1999, toujours aux États-Unis avec cette fois-ci la présence d’une française d’origine américaine, Denise Silber, à l’animation d’une table ronde sur la sécurisation des

données de santé transitant via le web. Les autres points forts qui ont marqué cette

rencontre étaient la question de l’éthique, la participation des patients à la prise en charge de leur santé ainsi qu’une question plus particulière à la population américaine, celle du climat de méfiance des patients vis-à-vis des professionnels de santé [Malhuret et Beaumelle, 1999].

En France, c’est surtout la qualité de l’information diffusée qui est à l’origine des groupes de réflexion dans le domaine du web de la santé. Ces groupes de réflexion étaient composés de représentants des institutions publiques, des chercheurs scientifiques et académiques, des Ordres professionnels, des établissements de santé publics, des agences de santé telles que l’Anaes, l’Afssaps, le CFES (Comité Français d’Éducation pour la Santé), etc. Toutes ces agences n’existent plus actuellement, nous avons évoqué précédemment le remplacement de l’Anaes par la HAS et de l’Afssaps par l’ANSM. Le CFES est devenu l’Inpes depuis le 4 mars 2002, un établissement public sous tutelle du Ministère de la santé, créé par la loi relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé promulguée le même jour [Perrot, 2003]. Les rassemblements faisaient intervenir des « représentants de chartes étrangères » (HON, IHC, etc.) afin de mener des réflexions communes sur la labellisation des sites santé français. À la demande formulée par des offreurs et des financeurs de services sur le web, l’État a organisé ces concertations qui devaient permettre d’aboutir à « la

mise en place d’un cadre – éthique de transparence – pour les sites e-santé » [Carré et

al., 2001].

Des regroupements hétérogènes se forment également entre spécialistes de divers domaines. En octobre 2002, un colloque organisé dans les locaux de l’Hôpital Broussais à Paris sur le rôle des TIC dans la qualité des soins des pathologies chroniques a porté à la connaissance du public l’existence d’InetSanté (Initiative Net Santé), une association sans but lucratif regroupant des acteurs issus de domaines variés : médecins, juristes, représentants de l’industrie pharmaceutique, patients, professionnels de la communication, etc. L’objectif de cette association était de permettre les échanges entre ces différents acteurs et de « devenir une force de proposition » dans le développement des TIC dans le secteur de la santé [InetSanté, 2002]. En 2007, une nouvelle association composée d’acteurs aussi diversifiés est créée. Dénommée AQIS (Association pour la Qualité de l’Internet Santé), elle réunit des associations de patients, des institutions publiques et privées, des professionnels

de différents domaines, etc. L’ambition de l’association AQIS était de permettre aux usagers du web, qu’ils soient professionnels médicaux ou non, d’exploiter pleinement les potentiels d’internet pour échanger des informations de santé et d’accéder à des sources de qualité sur le réseau [AQIS, 2009].

Le 6 août 2010, Denise Silber annonce sur son blog la naissance du think tank

(groupe de réflexion) dénommé #hcsmeufr (Healthcare Social Media Europe – pour la France). Il s’agit d’une communauté en ligne rassemblant tous les acteurs de la santé qu’ils soient professionnels ou non. Les membres de la communauté échangent

via les réseaux sociaux et principalement sur Twitter. #hcsmeufr est la branche

française de la communauté européenne #hcsmeu, elle-même étant issue du #hcsm

qui rassemble toutes les communautés du monde entier. La communauté internationale #hcsm a été créée en janvier 2009 par Dana Lewis, responsable de marketing digital pour le compte d’un centre médical suédois implanté aux États-Unis, et la branche française a été mise en place le jour du premier anniversaire de la branche européenne. La communauté rassemble des professionnels de la santé, des experts issus de nombreux domaines, des prestataires de service, des représentants de l’industrie pharmaceutique mais aussi des patients, toute personne intéressée par le web de la santé et notamment par les réseaux sociaux en ligne.

Ce regroupement est bâti sur la croyance que « les médias sociaux peuvent révolutionner le secteur de la santé en recentrant son attention sur le patient ». Les membres de la communauté se réunissent pour un Tweetup hebdomadaire, un échange synchrone sur Twitter, sur un sujet prédéfini concernant le web de la santé [Silber, 2010]. En dehors de ces échanges programmés, les membres de la communauté partagent et communiquent en ligne sur toutes les actualités de l’

e-santé et de la e-santé en général, sur leurs vécus et leurs expériences quotidiennes. Des

réunions IRL sont également organisées entre les membres de la communauté

pendant lesquelles sont présentées et débattues les actualités et les innovations dans le domaine de l’e-santé23.

La communauté #hcsm se décline en plusieurs branches dans différentes régions (#hcsmla pour Latin America ou l’Amérique latine) et dans différents pays (par exemple, #hcsmca pour le Canada). Au dernier trimestre de l’année 2013, le groupe

de réflexion #hcsmeufr a été renommé en Club Digital Santé, qui se définit comme le

23 Les comptes rendus des rencontres IRL de la communauté #hcsmeufr sont accessibles sur le

« think tank de l’e-santé en France ». Le groupe a gardé ses objectifs initiaux de mise en relation des différents acteurs, d’échanges d’informations et de réflexions sur tous les sujets couvrant la santé et l’e-santé sur le plan national et international24.

Cette revue de littérature a révélé que de nombreux travaux ont déjà été entrepris en ce qui concerne la publication d’informations de santé sur le web. L’analyse des grandes tendances qui se dessinent à travers l’état des lieux établi nous a permis de délimiter les principaux points qui ont été peu ou pas du tout abordés et vers lesquels nous devions orienter la suite de notre travail de recherche.

III.- Positionnement de notre étude dans la sphère de

l’e-santé

La réalisation de l’état des lieux précédent a mobilisé une bibliographie constituée d’une masse importante d’ouvrages, d’articles et de publications diverses provenant de sources hétérogènes. Cette étape nous a permis de constater la disparité des études menées en matière d’e-santé et des résultats rapportés, même si de grandes tendances s’affirment sur certains points précis telles que la consultation des sites d’information en santé par des internautes plutôt féminins, et la qualité aléatoire des contenus médicaux mis en ligne. Nous confirmons l’observation émise dans les résultats d’un travail de recherche effectué il y a une dizaine d’années selon laquelle la littérature existante sur le web de la santé « est si prolixe qu’elle peine, fait significatif de l’immaturité d’une question, à converger » [Akrich et Méadel, 2004]. Notre revue de la littérature corrobore en outre les remarques faites sur l’absence de publication dédiée aux acteurs de la diffusion en ligne des informations de santé, dans un travail de recherche concernant les médecins blogueurs [Maginot-McRae, 2013]. Cette lacune a également été relevée par une autre étude sur les informations de prévention en matière de santé publique où la documentation francophone consacrée aux intervenants sur le web fait défaut [Kivits, 2010].

Nous visons dans cette thèse à pallier à ce manque de ressources, à contribuer à faire avancer l’état des connaissances sur ceux qui diffusent les sites web d’information de santé en langue française. Dans cette perspective, nous avons axé notre travail de recherche vers l’exploration de leurs logiques d’action. Par logiques d’action, nous entendons tout ce qui a amené les différents auteurs et éditeurs de site

24 CLUB DIGITAL SANTÉ, 2013, « Qui sommes-nous ? », Le Think Tank de la e-santé en France. En ligne : http://club-digital-sante.fr/about/ [Consulté le 18 novembre 2013].

à mettre en ligne des informations de santé. Les logiques d’action renvoient à tout « ce qui fonde le choix des acteurs dans leur situation d’action respective, autrement dit les rationalités qui sont à l’œuvre derrière leur action » [Romeyer et al., 2010]. Deux questions principales découlent de notre objectif de recherche : quels sont les buts visés par les éditeurs de site d’information de santé ? Et quelles sont les différentes raisons qui les ont amenés à publier sur le web ?

Ceux qui mettent en ligne les sites d’information de santé peuvent être individuels ou collectifs, patients ou professionnels de santé, associations à but non lucratif ou industriels du contenu, sociétés privées ou organismes publics, etc. Afin d’arriver à déterminer leurs motivations respectives, il est impératif d’identifier dans un premier temps les différents acteurs investis dans la mise en ligne des informations de santé en français. En d’autres termes, nous devons recueillir un maximum d’informations les concernant : qui sont-ils ? Quelles sont leurs activités principales ? Ont-ils un lien d’intérêt avec les industriels ? À quel titre ont-ils publié des informations de santé sur le web ? Où est la localisation géographique de leur lieu de diffusion ? Qui sont leurs internautes cibles ? Quels types d’information sont mis en ligne sur leurs sites ? Toutes ces interrogations nécessitent des réponses dont la précision et la fiabilité devront être scrupuleusement vérifiées dans la mesure où sur le web, la validité des informations communiquées demeure une source d’incertitude notamment lorsqu’il s’agit de pages personnelles ou lorsque les auteurs publient sous pseudonyme.

Les domaines couverts par le web de la santé étant très larges et variés, nous avons délimité notre champ de recherche aux pages d’informations santé en accès libre, c’est-à-dire qui peuvent être lues par l’ensemble des internautes sans qu’ils aient besoin de s’inscrire au préalable et de rentrer un login avec un mot de passe associé pour la consultation. Nous avons analysé uniquement les sites qui mettent en ligne des informations à destination du grand public, les sites destinés exclusivement aux professionnels n’ont donc pas été retenus pour cette étude même si leurs contenus sont en accès libre pour tous les internautes. Tous types de site publiant des informations santé ont été pris en compte : les sites dédiés, les blogs personnels ou collaboratifs, les sites d’échanges virtuels ou forums, les espaces collaboratifs en ligne, etc. Nous avons sélectionné des sites qui diffusent des pages web entièrement ou partiellement en français, les mêmes sites pouvant être édités en une seule ou en plusieurs langue(s). Les éditeurs des sites en langue française peuvent être implantés aussi bien en France que dans d’autres pays, et nous avons travaillé sur l’ensemble

de ces sites quel que soit leur lieu d’émission, que ce soit un pays francophone ou non, l’usage du web étant affranchi de toute frontière géographique.

Avant de procéder à la vérification de nos hypothèses et de présenter les résultats de notre étude, nous présentons dans la partie qui suit la méthodologie mise en œuvre et les outils mobilisés depuis la constitution du corpus jusqu’à l’interprétation des données collectées.

Deuxième