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santé sur le web

D.- Différents niveaux de littératie des internautes en (e-)santé

La littératie est un anglicisme québécois du terme literacy qui n’a pas encore son

équivalent communément admis en français. La littératie en santé fait référence aux compétences en matière de santé, et il s’agit ici des compétences du grand public et non de celles des professionnels de santé [Zenklusen et al., 2012]. Ainsi, pour la définition de la littératie en santé, de nombreux auteurs se sont appuyés sur celle de l’OMS relative aux compétences en matière de santé [OMS, 1999]. Cette définition caractérise la littératie en santé comme étant l’aptitude de chaque individu à rechercher des informations, à identifier parmi toutes les sources dont il dispose celles qui sont pertinentes et correspondantes à sa propre situation, et à les exploiter de façon optimale afin de rester en bonne santé, ou dans le but d’améliorer son état de santé. La littératie en santé requiert donc deux catégories de compétences distinctes : premièrement, savoir lire, écrire et compter et deuxièmement, être capable d’évaluer les informations collectées pour pouvoir les utiliser à bon escient [Bernèche et al., 2012 ; Brun et al., 2011 ; Renahy, 2008 ; Sellier, 2010 ; Thoër et al., 2012]. La première catégorie renvoie à des critères d’« alphabétisation sanitaire » et s’évaluent en termes de compétences linguistiques pour chaque individu, en fonction de son aptitude à recevoir et à « lire » les informations de santé, que ce soit sous forme orale, écrite ou schématique (image, graphique, etc.), et ce en tenant compte de

son bagage culturel [OMS, 2005 ; Zenklusen et al., 2012]. La deuxième catégorie fait

référence à la faculté de ce même individu à comprendre, à évaluer et à mobiliser avec efficacité les informations de santé qu’il a collectées. Ce qui lui permettrait de se maintenir en bonne santé, ou de prendre part aux décisions médicales le concernant, voire de participer activement à ses propres soins quand il est confronté à la maladie [Renahy, 2008 ; Thoër et al., 2012].

C’est dans les années 1990 qu’est apparue l’expression littératie en santé dans la littérature, et ce à la suite de l’extension progressive du champ médical vers de nombreux domaines de la société. Une telle évolution n’est pas sans conséquence sur la gestion de sa propre santé aussi bien par le malade que par le « bien portant médicalement traité » [Ministère des affaires sociales, de la santé et de la ville, 1994]

qui sont désormais censés acquérir une forte autonomie au niveau de la collecte des informations mises à leur disposition et dans le suivi des instructions transmises par les professionnels de santé [Kiefer, 2012a ; Sellier, 2010 ; Zenklusen et al., 2012]. Avec le web, le champ de compétences en santé s’est élargi et savoir lire, comprendre et appliquer les informations recueillies ne suffisent plus. La littératie en santé se dote d’une nouvelle branche qui est la littératie en e-santé (e-health literacy). En plus des compétences déjà évoquées précédemment, le grand public doit acquérir suffisamment de connaissances pour accéder aux informations de santé électroniques, ce qui suppose à la fois une maîtrise de l’outil et une bonne compréhension de l’organisation de l’information par type de diffusion (article en ligne, liste de discussion, forum, t’chat, blog, etc.) [Kiefer, 2012a ; Renahy et al., 2008]. Ces connaissances peuvent être assimilées à une « alphabétisation électronique en matière de santé » et elles sont régulièrement mises en relation avec le niveau d’études et le statut socioéconomique par la plupart des auteurs [Renahy, 2008 ; Sellier, 2010 ; Thoër et al., 2012].

Le niveau d’études est l’un des premiers critères les plus souvent retenus pour évaluer la littératie en santé d’un individu ou d’un groupe, quelle que soit la catégorie de la population analysée. Sur le web, « les problèmes de littératie et de numératie rencontrés avec la diffusion de documents imprimés subsistent, voire augmentés » [C. Giroux, 2010]. Les hyperliens permettent certes de mettre à la disposition des internautes des explications complémentaires, mais cette technique les amène également à recouper les différentes informations et à les interpréter à leur manière [Inserm, 2007]. Les personnes les moins diplômées sont considérées comme moins aptes à assimiler toutes ces informations, notamment les messages de prévention, et par conséquent, ce sont aussi celles qui adoptent le plus souvent des comportements à risque [Peretti-Watel et Moatti, 2009]. Dans une analyse des sites francophones disponibles en ligne sur les tumeurs cérébrales de l’enfant, les auteurs estiment que pour comprendre les informations destinées au grand public, l’internaute devrait avoir au minimum un niveau académique équivalent à celui de la terminale. Les contenus de ces sites sont rédigés dans un vocabulaire et dans une syntaxe complexes, difficilement accessibles et encore moins lisibles pour les enfants, les principaux intéressés. Dans ce cas précis, les auteurs interpellent sur l’inadéquation de ces informations avec la première catégorie d’internautes concernés dans la mesure où ils n’ont pu relever aucun site dédié aux enfants et aux adolescents. Ils ont également constaté la même lacune sur les sites en anglais [Hargrave et al., 2003]. Les résultats d’une autre étude menée sur la population

personnes diplômées du secondaire par rapport à celles qui possèdent un diplôme universitaire lorsqu’elles lisent des étiquettes nutritionnelles [CCA, 2009].

Le deuxième critère analysé pour appréhender la littératie en santé est le niveau socio-économique. Les deux critères sont étroitement liés : un statut socioéconomique élevé contribue à l’accès à un diplôme académique supérieur, et réciproquement, un haut niveau d’études participe à l’intégration à un environnement social aisé. De plus, l’appartenance à une catégorie sociale peut aussi constituer un facteur d’accès aux soins et motiver la recherche d’information de santé : 70 % des ménages les plus aisés contre 51 % pour les foyers modestes déclarent qu’ils consultent des informations de santé sur le web [Cnom, 2010c]. Ainsi, les personnes les plus démunies sont moins enclines à rechercher des informations concernant les maladies dont elles peuvent souffrir, leurs priorités étant d’avoir une stabilité professionnelle, de conserver leur logement, de pouvoir payer les factures et les charges, de se nourrir, d’arrondir les fins de mois toujours difficiles, etc. Elles vivent au jour le jour et ce qu’elles considèrent comme un risque beaucoup plus menaçant et imminent, c’est plutôt de perdre leur emploi et leur toit que d’être atteintes d’une maladie grave. Les personnes en grande précarité pensent que de toute façon, leur situation et leur moyen d’existence ne leur permettraient pas d’atteindre l’âge de la vieillesse. Par conséquent, elles accordent très peu, voire aucun intérêt pour les informations de santé de toute nature [Peretti-Watel et Moatti, 2009].

Un croisement des données issues de quelques études nous révèle les différents groupes susceptibles d’avoir un faible niveau de littératie en santé : ce sont

principalement les personnes peu scolarisées, les chômeurs ou les

professionnellement instables, les plus âgées, toutes celles ayant un faible revenu, etc. Les personnes appartenant à ces groupes ont généralement de plus faibles compétences en matière de santé, et beaucoup de difficultés à comprendre les informations mises à leur disposition même quand il s’agit de messages de prévention en santé publique [Bernèche et al., 2012 ; GRMS, 2010]. Inversement, les personnes issues de milieu favorisé et ayant un niveau d’études plus élevé sont susceptibles de développer de meilleures compétences en santé. Les sociologues expliquent cette différence par le fait que les individus issus de classe sociale aisée communiquent plus facilement avec les médecins parce qu’ils partagent les mêmes visions du monde et leurs origines sociales sont proches. En outre, ils ont les moyens de consulter plus souvent et leur niveau d’études leur permet à la fois d’expliquer aux soignants sans grande difficulté les symptômes qu’ils ressentent mais aussi de

recevoir en retour et d’assimiler les conseils et les connaissances transmises par les médecins [Adam et Herzlich, 2007].

Les conséquences d’une faible compétence en matière de santé sont nombreuses et la plus évidente est la dégradation beaucoup plus rapide de l’état de santé des personnes concernées comme le démontre une étude menée sur des malades chroniques. Une analyse effectuée par des médecins suisses a permis de dégager trois niveaux d’obstacles induits par la déficience en littératie de santé : les personnes à faibles compétences en santé accèdent difficilement ou pas du tout aux soins, leur lacune pourrait entraver leur relation avec les professionnels de santé et ils participent très peu à la gestion de leur propre maladie [Zenklusen et al., 2012]. Ce qui les empêcherait de comprendre les informations importantes transmises par les médecins, de communiquer efficacement sur leur maladie avec les professionnels de santé, et de prendre des « décisions éclairées » quant à leur parcours de soins, entravant ainsi l’efficacité du traitement et la voie vers la guérison [AFMC, 2012 ; OMS, 2005]. Les individus présentant une faible littératie en santé, notamment ceux ayant un bas niveau d’études, auront plus de difficultés à interpréter les informations qu’ils reçoivent et à distinguer celles de bonne qualité des mauvaises, ce qui est primordial compte tenu de la quantité d’informations disponibles sur le web [Thoër

et al., 2012]. En outre, des lacunes en compétences de santé peuvent amener les patients à se désintéresser des informations susceptibles de les aider surtout s’ils considèrent cette insuffisance « comme un handicap » [Nabarette, 2002]. Le web ne favoriserait donc pas l’accès à l’information de santé aux personnes déficientes en littératie de santé car il nécessite pour sa consultation plus de moyens matériels et des connaissances techniques supplémentaires par rapport à d’autres médias de masse comme la presse écrite et la télévision [GRMS, 2010].

Les impacts de la littératie en santé vont bien au-delà du plan individuel. Un patient ayant de bonnes compétences en matière de santé pourra participer à la prise en charge de sa propre maladie, en utilisant de façon adéquate les systèmes de santé, en respectant les traitements prescrits, et en suivant rigoureusement les conseils des soignants. C’est ce qui pourrait expliquer un impact sur le plan collectif de la littératie car les professionnels de santé auront moins de charge de travail, les ressources seront mieux exploitées et le coût des soins pour la collectivité serait amorti [Sellier, 2010 ; Thoër et al., 2012]. La gestion du risque par rapport au sida, une « maladie épidémique et létale », illustre parfaitement ce lien indissociable entre l’individuel et le public en ce qui concerne la littératie en santé. Les messages de prévention sur cette maladie sont multiples et en provenance de sources variées, ils

s’adressent à l’ensemble de la population quels que soient leur niveau d’instruction et leur niveau socioéconomique. En matière de santé publique, le principal objectif est que ces messages soient compris par l’ensemble de la population, un but difficile à atteindre compte tenu de la pluralité des interprétations individuelles possibles pour chaque information émise. C’est au niveau de ces interprétations que la littératie en santé joue un rôle capital : les bien-portants aussi bien que les personnes déjà atteintes devront assimiler correctement toutes les informations sur la maladie. Pour les premiers, il s’agit des comportements à risque à éviter, et pour les seconds, ce sera plutôt les conduites à tenir pour ne pas contaminer d’autres personnes [Petrillo et Moscovici, 2000].

Pour un internaute ayant une faible littératie en santé, l’abondance des informations disponibles sur le web rendra encore plus difficile, voire inutile, la recherche d’information correspondante à son état de santé. Entre les témoignages publiés sur les forums, les articles mis en ligne par des profanes, les informations de source inconnue, l’internaute grand public devra faire le tri et avoir les compétences

nécessaires lui permettant de sélectionner les informations fiables et utiles [Thoër et

al., 2012]. En Suisse, environ la moitié de la population ont une faible littératie et accèdent difficilement aux informations nécessaires à la gestion personnelle de leur capital santé. Cette lacune les empêche également « d’entrer dans le monde du soignant, fait de chiffres, de connaissances sous-entendues, de probabilités, et de facteurs de risque ». Nombreux sont ceux qui n’osent pas avouer ce problème et préfèrent s’abstenir d’en parler aux médecins susceptibles de leur apporter les explications nécessaires à la compréhension des informations concernant leur santé. Les professionnels de santé devraient être sensibilisés à ce problème et consentir à aider les patients à comprendre la pathologie dont ils souffrent et les traitements qui leur sont prescrits dans la mesure où « l’efficacité du traitement est clairement reliée au degré de littératie » [Kiefer, 2012a].

Bien que la question de la littératie en santé ait toujours existé et qu’elle joue un rôle majeur tant au niveau individuel que collectif, très peu de travaux de recherches ont été menés sur le sujet. C’est la publication massive d’information sur le web qui a suscité « un regain d’intérêt » pour la littératie en santé [Sellier, 2010]. Nous avons

relevé que le niveau de littératie en e-santé exige des compétences supplémentaires,

notamment la maîtrise de l’outil informatique et des différentes applications d’internet. En ce qui concerne la recherche et la consultation d’informations de santé en ligne, la différence de niveau de littératie entre les internautes a engendré une fracture dite numérique ou fracture digitale [Renahy, 2008 ; Thoër et al., 2012].