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santé sur le web

E.- Fracture numérique sur plusieurs plans en e-santé

Les critères permettant de constater l’existence d’une fracture numérique sont multiples et ils se déclinent en plusieurs types d’inégalités que ce soit en termes d’accès aux outils numériques ou d’utilisation des technologies correspondantes. La multiplicité de ces critères démontre qu’il n’y a « pas une fracture numérique mais des fractures numériques » [George, 2009]. En ce qui concerne l’accès aux outils, les critères les plus fréquemment retenus pour analyser les fractures existantes sont d’ordre géographique et socioéconomique alors que pour l’utilisation des technologies numériques, ce sont plutôt des critères d’ordre démographique, principalement l’âge et la maîtrise de l’outil, que nous pouvons lier à la littératie en santé évoquée précédemment.

De prime abord, la fracture numérique du point de vue géographique met en opposition pays du Nord et pays du Sud, en soulignant l’écart considérable des taux de couverture entre les deux hémisphères. Non seulement les zones géographiques desservies par les fournisseurs d’accès sont nettement limitées pour les pays du Sud mais elles sont également concentrées sur des régions bien définies. En 2002, sur 6 millions d’internautes africains recensés, les 4 millions se connectent depuis l’Afrique du Sud et le Maghreb, ce qui ramène à seulement 2 millions le nombre d’internautes en Afrique subsaharienne. La fracture numérique n’est pas uniquement Nord-Sud, elle se décline également en fracture Sud-Sud, entre deux pays de la même région [OIF, 2010 ; Thorndahl, 2003]. Cette disparité géographique se retrouve à l’échelle mondiale puisque sur 2 % de la population mondiale utilisateurs d’internet au début des années 2000, 57 % étaient en Amérique du Nord et seulement 0,5 % sur le continent africain [France. Conseil économique et social, 2002]. Ces chiffres datent d’il y a une dizaine d’années mais le constat d’une fracture « plus qualitative que quantitative » demeure d’actualité tant les inégalités sur le plan technologique ne cessent de se multiplier : en termes de largeur de bande internationale pour Internet, celle dont disposent les 760 millions d’Africains équivaut à la largeur de la bande passante partagée par les 400 000 Luxembourgeois [Thorndahl, 2003]. Ce fossé numérique qui ne cesse de se creuser risque d’isoler certains peuples du continent africain. Même si le nombre d’internautes en Afrique a augmenté de façon exponentielle ces dernières années (80 millions d’internautes recensés en 2009), le continent reste encore le moins connecté au réseau internet [Bonjawo, 2011].

couvertes par le réseau, notamment dans les zones rurales isolées, même s’il y a une volonté politique à remédier à ce problème. En effet, un rapport parlementaire du

24 juin 2004 rappelle les objectifs d’un plan d’action gouvernemental visant à « faire

rentrer la France dans la société numérique dans les cinq ans qui viennent » en permettant à l’ensemble de la population française d’accéder aux ressources numériques et d’utiliser les services disponibles sur le web [Dionis du Séjour et Étienne, 2004]. Les disparités géographiques persistent malgré l’augmentation du taux de couverture en haut débit sur le territoire national [Brun et al., 2011 ; Renahy et al., 2007]. Si la nécessité de connecter certaines régions isolées est souvent évoquée dans le cadre de la télémédecine, la diffusion d’information de santé à destination du

grand public via le web ne bénéficie pas d’autant d’appuis [Lucas, 2011]. L’isolement

géographique n’est pas la seule raison qui empêcherait la population d’accéder au web : avoir un ordinateur personnel et une connexion internet à domicile est loin d’être la priorité des foyers défavorisés, et par conséquent, c’est rare qu’ils en soient équipés [DREES, 2007 ; Hardey, 2004]. Pour 21 % des Français qui n’ont pas accès aux informations de santé en ligne, c’est surtout ce moyen matériel et financier qui fait défaut, il s’agit donc là d’une raison socioéconomique, un barrage financier pour les plus démunis [TNS Sofres, 2013].

Ce pourcentage confirme les résultats d’une enquête menée par la DREES (Direction de la recherche, des études et des évaluations statistiques) selon lesquels les ménages à bas revenus sont ceux qui présentent un taux d’accès le moins élevé aux TIC. Cette enquête met en exergue le lien entre les ressources financières et le niveau d’étude des ménages à bas revenus dans lesquels le plus haut niveau d’études atteint par la personne de référence équivaut en moyenne au certificat d’études primaires. Les personnes ayant un faible niveau socioéconomique accordent peu d’intérêt aux technologies numériques, seulement un cinquième d’entre eux se déclarent lésés par l’impossibilité d’y accéder, avec 14 % qui estiment qu’internet serait tout d’abord un moyen de divertissement que d’information [DREES, 2007]. La même tendance se retrouve au Canada où 72 % des internautes dans le milieu ouvrier vont sur le web pour se divertir alors qu’ils ne sont que 36 % à le faire chez les cadres supérieurs. Comme en France, il existe également une fracture numérique liée au revenu et au niveau d’études : 84 % des canadiens qui ont effectué au moins des études post-secondaires ont déjà utilisé internet en 2007 alors qu’ils ne sont que 54 % à l’avoir fait pour les moins scolarisés [George, 2009]. Les personnes vivant dans des ménages à haut revenu utilisent donc plus souvent internet et cette habitude les aiderait à acquérir une bonne maîtrise des outils numériques. Or, la fréquence d’utilisation d’internet serait « le principal prédicteur » de consultation

d’information de santé sur le web notamment lorsqu’elle est doublée d’une connaissance approfondie du fonctionnement du réseau et de ses différentes applications. Cela signifie qu’une personne habituée à utiliser le web pour rechercher des informations dans d’autres domaines est beaucoup plus susceptible d’utiliser le même outil pour rechercher des informations en santé [Underhill et McKeown, 2008]. En ce qui concerne les habitudes et les compétences en matière d’utilisation du web, un autre facteur fréquemment cité est celui de l’âge. En effet, les recherches d’information en ligne seraient l’apanage des plus jeunes : les internautes français de plus de 65 ans sont minoritaires [Cnom, 2010b] et il en est de même outre-Atlantique où la plupart des Canadiens de plus de 50 ans déclarent rencontrer des difficultés à utiliser les outils informatiques et le web. En outre, parmi les internautes de

55-64 ans, les anglo-saxons sont plus nombreux que les francophones [Thoër et al., 2012].

Les compétences en informatique des aînés s’améliorent mais ils sont toujours moins motivés que les plus jeunes à effectuer leurs recherches d’information en ligne [CCA, 2009]. Les critères entrant en jeu dans la détermination des fractures numériques sont nombreux et actuellement, « l’âge serait éventuellement plus discriminant que les défuntes classes sociales » dans la mesure où le fossé numérique qui sépare les plus démunis des plus riches, notamment dans les pays développés, se réduit progressivement [George, 2009]. La question de la fracture numérique ne serait même plus d’actualité en ce qui concerne les inégalités induites par le statut socioéconomique. Le taux de pénétration d’internet ne cesse d’évoluer : sept Français sur dix ont déjà utilisé ce réseau et plus de deux foyers sur trois peuvent accéder au web depuis leur domicile [Akrich et Méadel, 2010] et cette évolution concerne toutes les couches de la population puisque quatre ouvriers sur cinq sont utilisateurs d’internet en 2012 alors qu’ils n’étaient qu’un sur deux à le faire auparavant [Gombault, 2013].

Les résultats d’une étude menée sur la population francilienne tendent à confirmer ce constat : le statut socioéconomique des individus enquêtés n’est pas un facteur discriminant en matière de recherche d’information santé en ligne, déduction faite à partir de leur couverture de maladie universelle. En outre, cette étude soulève d’autres critères pouvant influencer le recours au web pour rechercher des informations de santé tels que le genre (homme ou femme, garçon ou fille), la vie urbaine (le fait de vivre en ville ou en banlieue) et la vie en couple (personne vivant seule ou avec un(e) conjoint(e)). La barrière linguistique a également été relevée comme source de fracture numérique pour les personnes d’origine étrangère qui ne maîtrisent pas la langue française [Renahy et al., 2008]. Pour cette dernière situation,

la fracture numérique se double d’une « fracture linguistique » [OIF, 2010]. À l’échelle mondiale, la situation évolue et s’unifie peu à peu : les ménages dans les pays en voie de développement se dotent progressivement d’ordinateurs personnels

et des moyens de substitution comme la communication par satellite et via un

appareil mobile sont mis en œuvre pour se connecter [OMS, 2005].

Les principales victimes de la fracture numérique sont les mêmes que celles qui ont le plus faible niveau de littératie en santé. Il s’agit des personnes qui ont un minimum de revenu, sans diplôme, sans emploi et socialement isolées alors que ce

sont aussi celles qui auraient le plus besoin d’être informées dans ce domaine. Elles

sont pour la plupart éloignées des systèmes de soins et sont plus malades que les personnes favorisées sur le plan socioéconomique [Renahy, 2008]. Une étude plus récente a donné lieu au même résultat en soulignant que ce sont ceux qui en ont le moins besoin qui profitent le plus des outils numériques dans la gestion de leur santé, c’est-à-dire les personnes les plus favorisées sur le plan socioéconomique [LauMa Communication et Patients & Web, 2013]. Face à ce constat, plusieurs auteurs ont émis leur crainte de voir s’aggraver les inégalités sociales en matière de santé, un fossé que continueraient à creuser progressivement internet et la fracture numérique [CISS, 2012b ; Hardey, 2004 ; Renahy, 2008 ; Thoër et al., 2012]. Les inégalités constatées sont sur deux niveaux, d’où la définition de « double fracture numérique » : d’une part, les disparités d’accès à internet et d’autre part, les écarts de compétences dans l’utilisation de l’outil incluant l’aptitude à évaluer la fiabilité des informations consultées. La fiabilité est un des critères indissociables de la qualité de l’information, et c’est aussi l’un des principaux problèmes irrésolus du web de la santé que nous allons analyser dans la partie qui suit.