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Néolithisation et histoire de la navigation 1. La néolithisation de la Méditerranée

commensale en Europe : approche archéozoologique et génétique

1.4. Néolithisation et histoire de la navigation 1. La néolithisation de la Méditerranée

La Néolithisation est le passage d’une économie de prédation (chasse, cueillette, pêche) à une économie de production. En plusieurs points du globe (Proche-Orient, Nord de la Chine, Mexique et les Andes) certaines sociétés ont inventé la maîtrise de la reproduction d’espèces végétales et animales, c’est à dire la domestication. C’est au Proche-Orient que ce phénomène est le plus net car cette région fait l’objet d’une recherche archéologique intense. Au tournant des 9ème et 10ème millénaires, l’agriculture est inventée (Willcox, 1991, 2000) suivie de près par les premiers indices de l’élevage (Vigne, 2000b ; Vigne et Buitenhuis, 1999). Ce nouveau rapport à la nature marque un grand pas dans l’anthropisation puisque l’homme va façonner la nature et contraindre à ses besoins. La domestication des espèces végétales et animales est la composante majeure, mais le Néolithique marque également l’émergence du processus d’urbanisation ainsi que l’accroissement des échanges entre les groupes humains. Cette mutation va se transmettre à travers le monde et totalement remanier l’environnement pour « l’anthropiser ».

Depuis son foyer proche oriental, la néolithisation de l’Europe a suivit deux voies principales : la Méditerranée et l’Europe centrale selon un mode de diffusion progressif et arythmique (Guilaine, 2000). La néolithisation est un transfert culturel, technologique et écologique qui a du composer avec les facteurs écologiques et humains des régions qu’elle a penétrées (Guilaine, 2000, 2003). L’adaptation culturelle aux nouveaux environnements, lors du transfert, depuis la zone de maturation proche orientale, explique les ajustements culturels qui définissents les différentes aires culturelles du Néolithique de la figure 5. La vague de diffusion néolithique d’Europe septentrionale est appelée « danubienne » car le fleuve Danube aurait servi d’axe de pénétration pour la culture et les peuples néolithiques, depuis les Balkans jusqu’en Allemagne. En Méditerranée, la navigation fut le moteur de l’expansion néolithique.

1.4.2. La navigation néolithique en Méditerranée

L’existence d’embarcations viables et d’une navigation de pleine mer est manifeste depuis la Paléolithique supérieur, dans plusieurs parties du monde. D’après les plus anciens témoins archéologiques, la présence humaine en Indonésie et en Australie remonte a près de 40 000 ans (Johnstone, 1988 ; Vinton Kirch, 1997). Les chasseurs-pêcheurs-cueilleurs de

Figure 5 : Diffusion chronologique du Néolithique en Europe avec les aires culturelles majeures. Les barres noires indiquent les barrières qui ont fonctionné comme aires de "refonte" des systèmes culturels. D'après Guilaine (2000, 2003)

PPNA/PPNB

Néolithiques anciens égéens & balkaniques Impressa italo-adriatique Cardial occidental Espace danubien 9000 8300 7800 6800 6800 6200 6100 6100 6100 6000 5900 5700 5 000 5 800

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Méditerranée ont présenté une aptitude beaucoup plus tardive pour la navigation maritime. Les recherches récentes sur le peuplement prénéolithiques des grandes îles de Méditerranée ont démontré que ces dernières n’ont été explorées, pour la plupart, que vers le 9ème millénaire av. J.-C.(Vigne, 2000a). La plus ancienne présence humaine prénéolithique est fournit par le site d’Akrotiri à Chypre et se situerait vers la fin du 10ème millénaire av. J.-C (Simmons, 1991, 1999). Elle est suivie par celle de la Corse et de la Sardaigne, toute deux explorées à peu près au même moment, vers le 8ème millénaire av. J.-C. (Tozzi, 1996 ; Vigne et al., 1996 ; Vigne et Desse-Berset, 1995). Enfin, l’argument indirect le plus connu pour illustrer l’aptitude des épipaléolithiques de Méditerranée à effectuer des traversées maritimes sur longue distance a été livré par la grotte de Franchti, au sud de l’Argolide (Grèce). En effet, la présence d’obsidienne originaire de Melos (île des cyclades) et d’os de thon en abondance (poisson pélagique de haute mer) dans les niveaux du paléolithique supérieure et du mésolithique de la grotte, sont des arguments forts indiquant l’utilisation d’embarcations capables d’effectuer des traversées sur longue distance et ce de façon régulière (Perlès, 1979).

Néanmoins, on fait remonter les premières grandes navigations méditerranéennes au Néolithique car c’est à cette période que les îles méditerranéennes sont réellement colonisées et peuplées (Camps, 1986, 1998 ; Camps et D'anna, 1980). Les arguments indirects étayant l’existence d’une réelle navigation, tels que le transfert de matières premières exogènes et de traits culturels et technologiques continentaux (Perlès, 2002) ou encore l’implantation durable d’animaux domestiques, anthropophiles, commensaux ou à vocation cynégétique (Vigne, 1998a) sont nombreux, mais ils contrastent de façon frappante avec le manque de preuves concrètes sur les moyens utilisés par les sociétés néolithiques pour naviguer en Méditerranée (Guilaine, 1994 ; Vigié, 1979).

L’archéologie sous-marine n’a pas encore découvert d’embarcation néolithique. La plus ancienne à ce jour est l’épave de Dokos (golfe de Saronique), datée de l’Helladique ancien (2 500 BC) (Papathanassopoulos, 1977). Pour le Néolithique, l’embarcation monoxyle de Bercy (5ème millénaire BC), les deux modèles réduits en terre cuite et la pirogue monoxyle du lac de Bracciano près de Rome (Fugazzola Delpino et Mineo, 1995) sont les seuls témoins concrets sur les embarcations du Néolithique. Cependant, malgré leur utilité précieuse pour appréhender la navigation fluviale ou lacustre ainsi que les possibilités d’échanges dans ces contextes, ces vestiges ne rendent pas forcément compte des techniques de construction navale au Néolithique.

L’évolution de l’architecture des embarcations préhistoriques est déduite de façon indirecte à partir de l’évolution socio-économique des sociétés humaines puis étayée par des

exemples ethnographiques. Le passage à une économie de production et la colonisation des milieux insulaires au Néolithique pourrait être relié à un changement radical dans la technologie navale. La colonisation néolithique d’une île comme la Crète aurait nécessité un évènement fondateur d’un groupe important (une quarantaine d’individus) et d’une cargaison de plusieurs tonnes (animaux, stocks de grains, eau potable) (Broodbank et Strasser, 1991). De tels phénomènes migratoires impliquent un changement dans les techniques de construction des bateaux. Les embarcations des sociétés de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique supérieure, étaient conçues pour être légères, mobiles et facilement transportables (Johnstone, 1988), mais au Néolithique, la colonisation des milieux insulaires impliquait le transport d’une importante cargaison en hommes et en vivres. Les bateaux des colons néolithiques devaient être plus larges et plus étanches. L’évolution de l’architecture fut également déduite de l’accroissement du transport passif des petits mammifères anthropophiles et commensaux dans les grandes îles de Méditerranée. Cette augmentation située vers le 4ème millénaire av. J.-C., a été corrélée avec le développement d’une navigation pontée, dont les superstructures auraient augmenté les chances d’émigration des petits mammifères clandestins (Vigne, 1998a, 1999).

Comme nous pouvons le constater, la colonisation néolithique des îles « vraies » de Méditerranée (Vigne, 1999), c’est-à-dire celles séparées du continent lors du dernier grand maximum glaciaire Pléistocène, est le support privilégié de la réflexion sur la navigation néolithique. Ces îles « vraies » assurent que les déplacements maritimes ont présenté une réelle difficulté et plusieurs jours de traversée. Au Néolithique, la distance à parcourir pour atteindre ces îles « vraies » était peu différente de l’actuelle (Van Andel, 1989, 1990). Le transfert anthropogène d’animaux sur ces îles constitue l’une des contributions majeures pour considérer l’existence d’une navigation néolithique de haute mer. Il fournit également des arguments pour considérer l’intensification du trafic au Néolithique car l’implantation réussie de population allochtones sur de nouveaux territoires suppose de nombreux échecs à cause des barrières écologiques et génétiques (Vigne, 1997a).