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actuelles, tout comme les fossiles de Choremi. De façon qualitative, Mus bataea aurait une forme et une taille proches de celles de la forme continentale contemporaine de Grèce. Nous proposons donc l’hypothèse suivante afin de tenter d’expliquer une telle divergence morphologique de Mus minotaurus. D’après Sondaar et al. (1996), l’évolution géologique de la Crète dans l’arc égéen se divise en 3 grandes périodes tectoniques. Au Miocène inférieur (à partir de 17 Ma), la Crète se sépare de la masse continentale égéenne mais reste reliée à l’Asie mineure. Pendant le Miocène supérieure (11-5 Ma), et jusqu’au tout début du Pliocène (4,5 Ma), la Crète se fragmente en plusieurs petites îles d’après une structure tectonique en

graben. Cela signifie que la Crète est alors compartimentée par des failles de direction

Nord-sud qui limitent des compartiments (îles) de plus en plus abaissés en allant vers le milieu de la structure générale. La troisième période commencerait au Pliocène moyen (3,4 Ma) et amorce l’évolution de la Crète vers sa forme actuelle qu’elle aurait atteinte au cours du Pléistocène. D’après Mayhew (1977), Mus bateae s’implante sur l’île au Pléistocène moyen, à une période où la Crète est sensée être formée et éloignée du continent par de grandes masses d’eau, en même temps que les éléphants, les hippopotames et les cervidés (tous bons nageurs), qui évolueront pour donner les espèces endémiques dont nous avons parlé plus haut. L’immigration de Mus bateae serait donc le résultat d’un transport fortuit par radeau naturel qui n’a pas dû se renouveler, à la différence peut-être de l’immigration des grands mammifères. Deux scenarii non exclusifs sont alors envisageables pour expliquer l’évolution anagénétique vers Mus minotaurus, qui se manifeste par une forte divergence morphologique (taille et forme) que l’on observe sur la M1. L’effet de fondation, à partir d’un sous-échantillonnage très réduit, suivi d’un isolement total, a provoqué deux phénomènes non exclusifs :

1. une dérive génétique et morphologique très forte ;

2. une adaptation (favorisée par le fort isolement) aux pressions de sélection et aux facteurs biotiques et abiotiques liée à la colonisation d’un nouvel environnement.

4.3.1.3. Les muridés de Chypre : un endémisme ancien ?

4.3.1.3.1. Les souris de Pyla

Boeckschoten et Sondaar (1972) avaient considéré que deux morphotypes (Mus 1 et Mus 2) de souris avait été accumulés à Pyla : « une petite et une grande souris». Du point de vue de la taille des M1, nous observons également que trois individus se démarquent par une taille plus élevée (Fig. 39B). Le reste des individus a une taille située dans l’intervalle de variation des souris sauvages actuelles.

Une ACP sur les coefficients de Fourier de Pyla montre qu’une importante variabilité morphologique existe à Pyla avec des individus qui divergent dans toutes les directions autour d’un groupe central plus homogène. C’est d’autant plus clair quand on projette le premier axe de l’analyse en composante principale (30 % de variance) avec la variable de taille en Log (Fig. 41). Il y a une corrélation significative entre ces deux variables (r de Spearman= 0,23,

P =0.23) et on observe, des valeurs inférieures aux valeurs supérieures de PC1, trois

ensembles bien dissociés. Si on ne peut pas confirmer l’idée que deux formes de souris ont existé au Pléistocène à Chypre (nous pourrions en rajouter une troisième ou même une quatrième), il faut néanmoins mentionner le fait qu’une importante variabilité morphologique existe pour ce peuplement, peut-être liée à un phénomène d’allométrie généré par d’importantes variations de taille au cours du temps, que l’on ne peut mesurer faute d’informations chrono-stratigraphiques.

4.3.1.3.2. Les souris pléistocènes de Pyla sont-elles les ancêtres de Mus

cypriacus ?

Afin de renseigner la question de l’origine du peuplement de la nouvelle espèce de souris découverte à Chypre (cf. publication 1), les fossiles de Pyla ont été analysés par AFD avec un référentiel comprenant M. m. domesticus (Israël, Syrie), Mus macedonicus sp. (Clade A et B, Syrie, Turquie, Grèce, Iran et Irak), Mus spretus (Maroc) et l’espèce sauvage actuelle de Chypre : Mus cypriacus. La figure 42A montre que sur les deux premiers axes (60 % de variance), les fossiles de Pyla sont morphologiquement associés aux formes actuelles sauvages de Chypre (Mus cypriacus) et du Maroc (Mus spretus). Sur le troisième axe (13 %),

Mus spretus du Maroc diverge, laissant les souris de Pyla et la nouvelle espèce de Chypre

toujours très proches (Fig. 42B). Les souris de Pyla sont donc beaucoup plus proches de Mus

0.03 0.04 0.05 0.06 0.07 0.08 PC1 (40 %) -0.4 -0.3 -0.2 -0.1 L O G Taille (H A 1) Pyla142 Pyla216

Figure 41 : Projection bivariée de la variable de forme (axe 1 de l'ACP sur les coefficients de Fourier non-normés) et de taille (log de l'aire de Ha1) des M1 de Pyla 4 (Chypre).

Figure 42 : Différenciation de la forme des M1 de Méditerranée orientale et des fossiles de Pyla. A - Plan factoriel F1*F2 de l'AFD. B - Plan factoriel F1*F3 de l'AFD.

C - Dendrogramme construit sur les distances euclidiennes selon l'algorithme UPGMA.

M. m. domesticus M. m. macedonicus Gisement Pléistocène M. m. spretoides Mus cypriacus Mus spretus -3 -2 -1 0 1 2 3 4 CA1 40 % -3 -2 -1 0 1 C A 2 20 % Israël Syrie Irak Iran Syrie Turquie Bulgarie Géorgie Grèce Israël -3 -2 -1 0 1 2 3 4 CA1 -2 -1 0 1 2 C A 3 1 3 % Israël Syrie Irak Iran Syrie Turquie Bulgarie Géorgie Grèce Israël Chypre Pyla

C

M.m.domesticus Syrie M.m.domesticus Israël Mus cypriacus Pyla M. spretus Maroc M. m. spretoides Israël M. macedonicus sp. Iran M. m. macedonicus Géorgie M. m. macedonicus Bulgarie M. macedonicus sp. Irak M. m. macedonicus Grèce M. macedonicus sp. Syrie M. macedonicus sp.Turquie 0.01 0.01 0.02 0.02 0.03 Coefficients

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classification de l’UPGMA menée sur les distances euclidiennes qui ont été calculées à partir des mêmes individus que ceux de l’AFD (Fig. 42C).

Ces résultats sont des éléments concluants pour considérer que l’endémisme de Mus

cypriacus est ancien et qu’il résulte probablement d’un événement de colonisation qui a eu

lieu au cours du Pléistocène, peut-être à partir d’une souche ancestrale de spretus ou de

macedonicus.

4.3.2. La terrasse d’El Wad : quel candidat pour la niche

commensale ?

Pour déterminer la nature des souris natoufiennes d’El Wad qui, comme nous l’avons signalé lors de la présentation du matériel, sont mortes dans l’enceinte de l’habitat, nous avons utilisé les distances de Mahalanobis (cf. § 2.3.3.3.). Les groupes de référence pour la classification de chaque individu d’El Wad sont :

DOM (M. m. domesticus d’Israël et de Syrie)

MAC A (Mus macedonicus macedonicus de Géorgie, Bulgarie et Grèce)

MAC B (Mus macedonicus spretoides d’Israël)

D’après l’AFD, ces trois groupes ont une M1 dont la forme les distingue les uns des autres de façon hautement significative (Wilk’s Lambda=0,08, ddl1=3, ddl2=155, P<0,0001). Si on prend en compte les matrices de classification des trois groupes, 98 % des individus sont correctement classés contre 90 % pour la matrice de classification réalisée par validation croisée (Jackknife) (Tab. 17).

A M.m.d MAC A MAC B %correct

M.m.d. (Syrie, Israël) 44 0 0 100

MAC A (Géorgie, Bulgarie, Grèce) 0 26 2 93

MAC B (Israël) 0 0 10 100

Total 44 26 12 98

B M.m.d MAC A MAC B %correct

M.m.d (Syrie, Israël) 43 0 1 98

MAC A (Géorgie, Bulgarie, Grèce) 0 24 4 86

MAC B (Israël) 1 2 7 70

Total 44 26 12 90

Tableau 17 : A : Matrice de classification des individus au sein des groupes qui serviront de modèle pour l’assignation des individus fossiles d’El Wad, avec le pourcentage de classement correct. B : matrice de classification par validation croisée (Jackknife).

Les groupes de référence constituent donc un référentiel suffisamment solide pour être utilisé à des fins de classement. En Annexe 3, nous présentons, pour chaque individu d’El Wad, sa distance de Mahalanobis par rapport au centre de chaque groupe de référence, suivie de la probabilité pour cet individu d’appartenir à ce groupe. D’après cette classification seulement deux individus sur 40 ont été classés comme proches de M.m. domesticus. Donc 95 % des individus d’El Wad sont attribués à l’espèce Mus macedonicus sp. Ces derniers sont assignés à 90 % à Mus macedonicus spretoides. Après un retour sur les images des molaires des deux individus classés comme M.m. domesticus, nous confirmons l’attribution de l’individu N7d 29 3 D, mais nous refusons la classification de l’individu N7d 29 4 D et considérons cet individu comme devant être assigné à l’espèce Mus macedonicus spretoides, en se basant sur sa forme quadrangulaire globale et sur la position du tE qui donne au lobe antérieur un forme plus carrée que chez M. m. domesticus (Fig. 43). Cette réassignation est confirmée par la projection sur les deux premiers axes de l’analyse canonique (84 %), avec l’individu N7d 29 3 D situé dans la gamme de variation de forme de M. m. domesticus (Fig. 44). Cette projection confirme également la proximité morphologique entre les fossiles d’El Wad et l’espèce sauvage actuelle d’Israël Mus macedonicus spretoides. Néanmoins une différence significative existe entre les deux formes (Wilk’s Lambda=0,2536, ddl1=1,

ddl2=84, P=0,005).

Donc, contrairement à toute attente et bien que présentes dans la niche commensale crée par le campement pérenne de la communauté natoufienne d’El Wad, les souris d’El Wad appartiennent vraisemblablement à l’espèce sauvage d’Israël Mus macedonicus spretoides. Ces résultats nous démontrent que l’adaptation à la niche commensale n’est pas l’apanage du groupe musculus. Il faut néanmoins mentionner la présence d’une souris qui appartient probablement à M. m. domesticus. Sa présence pourrait signifier qu’il existe une syntopie (même habitat) entre M. m. spretoides et M. m. domesticus, largement dominée par la première, à l’intérieur de l’habitat du Natoufien final. Il ne faut pas négliger néanmoins la possibilité d’une pollution de la couche du Natoufien récent soit par des ossements provenant de couches supérieures (bioturbation) soit par des ossements actuels.

Figure 43 : Visualisation des formes dentaires. En haut : les M1 droites des deux individus d'El Wad (N7d 29 4 et N7d 29 3) classés comme M.m.domesticus par les distances de Mahalanobis.

En bas : nous présentons les contours moyens des espèces actuelles du référentiel auquel nous avons estimé que les individus devait être réassignés, d'après la forme de la partie antérieure de la M1.