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Contours dentaires et dérive génétique insulaire

Méditerranée : exemple de la microévolution des souris invasives de Chypre

5.2.1.3. Contours dentaires et dérive génétique insulaire

Notre analyse du syndrome insulaire des souris à partir du traitement des premières molaires inférieures en transformées de Fourier elliptiques a permis de dégager quelques tendances, qui diffèrent suivant le contexte insulaire et l’espèce considérés (cf. § 3.4.) :

• En Corse, nous avons observé une variation de la forme de la M1 en fonction de la taille de l’île, corrélée à l’emprise et à la déprise agraire microrégionale. Cette variabilité de la forme semblerait résulter de l’allométrie de taille. Nous avons constaté un rapprochement du patron dentaire vers celui du continent lors de l’augmentation de l’anthropisation à l’époque romaine. À cette période, l’accroissement d’un biotope favorable à la souris grise (ouverture du paysage et accroissement de la céréaliculture (Vigne et Valladas, 1996)) et l’augmentation des flux migratoires (flux de gènes du continent) auraient provoqué la réduction de la variabilité. Cependant, l’effet de fondation initial et la stase morphologique insulaire pourraient expliquer la divergence morphologique que l’on observe toujours actuellement chez les populations de Corse.

• À Chypre, nous n’avons remarqué aucun ajustement morphologique des populations, à proximité ou dans la niche commensale, de M. m. domesticus. Nous expliquons l’absence de macrodontie par la présence de Mus cypriacus, qui maintient une forte pression inter-spécifique, empêchant ainsi M. m. domesticus d’élargir sa niche écologique. Chez cette dernière, l’absence de divergence de forme par rapport au continent est sans doute la conséquence d’une introgression continuelle de gènes provenant de l’ensemble du bassin méditerranéen oriental, maintenant ainsi les populations de Chypre dans le pool génétique et morphologique de la Méditerranée orientale.

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• À l’inverse, la découverte de la nouvelle espèce endémique de souris à Chypre est la conséquence d’un syndrome d’insularité favorisé par l’isolement géographique et à l’origine d’une forte divergence de forme par rapport aux souris actuelles de Méditerranée orientale. En effet, nous pensons que le peuplement de Mus cypriacus est issu d’un événement de fondation lors du Pléistocène moyen (cf. 4.4.1.2.). Une longue période d’isolement, en absence de compétition inter-spécifique, a suivi, engendrant la sélection d’allèles habituellement rares (Ridley, 1996), l’isolement reproductif post-zygotique et la spéciation que nous avons pu mettre en évidence avec le laboratoire « Génome, Populations, Interactions, Adaptation » de l’université de Montpellier 2 (cf. Publication 1).

La forme de la molaire des populations insulaires de souris subit donc un ajustement rapide et plus ou moins fort suivant le degré d’isolement génétique. L’évolution morphologique des M1 des populations commensales de Chypre depuis leur translocation accidentelle sur l’île peut donc nous aider à appréhender l’intensité de la navigation néolithique et des flux migratoires qu’elle induit.

5.2.1.4. Matériel et méthodes

5.2.1.4.1. Le choix du matériel actuel et fossile

Nous avons utilisé 29 spécimens actuels de Chypre :

17 Mus musculus domesticus de la région de Khirokitia ; nous avons montré qu’ils étaient à l’image du pool morphologique continental, ce qui nous autorise ici à ne pas prendre en considération des échantillons de M. m. domesticus du continent ;

12 Mus cypriacus, génétiquement typés par le laboratoire « Génome, Populations, Interactions, Adaptation » de l’université de Montpellier 2.

Le matériel fossile est composé de 136 M1 gauches ou droites de Chypre et du Proche Orient, dont la localisation et la datation sont détaillées dans la figure 47. Les fossiles des sites du Néolithique précéramique ont été attribués à M. m. domesticus en se fondant sur les distances de Mahalanobis après les analyses de forme de la M1 (cf. § 4.3.3., Annexes 2 et 3). Les sites continentaux du PPNB ancien (Dja’dé) et moyen (Çafer Höyük) nous ont servi de référence continentale contemporaine pour le premier millénaire de l’implantation de la

Mer méditerranée 0 100 200 Km Çafer Höyük (n=57) Dja'dé (n=5) Kmyl 116 (n=15) Kmyl 133 (n=1) Kmyl 2030 (n=9) Khirokitia (n=10)

Cap Andreas Kastros (n=9)

Troodos Kyrenia Pyla (n=29) K-Mylouthkia

B

C

9 000 8 000 7 000 6 000 5 000 4 000 3 000 Dja'dé (PPNB ancien) Kmyl 116 (PPNB ancien/moyen)

Kmyl 133 / Çafer Höyük (PPNB moyen)

Khirokitia / Cap Andreas Kastros

(Néolithique acéramique chypriote)

Kmyl 2030 (Calcolithique)

av. J.-C.

Figure 47 : A - Localisation des sites archéologiques du Proche Orient utilisés comme référence continentale pour le premier millénaire de l'implantation de la souris à Chypre. B - Localisation des sites de Chypre ( = Holocène, = Pléistocène moyen). C - Position chronologique des sites holocènes traités. Kmyl = Kissonerga Mylouthkia.

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population de souris commensale à Chypre. Nous avons choisi de ne pas inclure dans l’analyse les sites continentaux de moins de cinq individus, comme Jerf el Ahmar et Mureybet. Le site de Pyla (Chypre) a été inclus en complément de Mus cypriacus en tant que pendant divergent de l’évolution morphologique de domesticus.

5.2.1.4.2. Analyse du contour dentaire en TFE et traitement statistique

Pour cette étude, les transformées de Fourier elliptiques ont été appliquées sur le contour des premières molaires inférieures selon le protocole décrit dans la partie 2.

5.2.1.4.3. Estimation de l’évolution morphologique de domesticus

Afin d’observer l’évolution morphologique de M. m. domesticus et d’identifier d’éventuelles phases d’isolement depuis le début de son implantation, nous avons projeté la forme et la taille des M1 en fonction de la position chronologique des localités fossiles. La variable de forme est représentée par la première composante de l’analyse des composantes principales (ACP) réalisée sur les matrices de variance-covariance des coefficients de Fourier.

5.2.1.5. Résultats

5.2.1.5.1. Différenciation des formes fossiles et actuelles en Méditerranée orientale

La différenciation de forme globale des M1 fossiles, actuelles, continentales et insulaires est hautement significative (Wilk’s lambda =0,0166 ; ddl1=9 ; ddl2=155 ; P<0,0001). Le premier axe canonique décrit la majorité de la différenciation entre les groupes (47 %). Sur le premier plan factoriel (CA1/CA2 ; Fig. 48), l’axe 1 sépare tous les groupes de M. m.

Pyla Mus cypriacus M.m.d. Chypre Kmyl 2030 Kmyl 133 Kmyl 116 Khirokitia Cap A. Kastros Dja'dé Çafer

Figure 48 : Différenciation des formes du contour dentaire des M1 selon l'AFD sur les coefficients de Fourier elliptique des individus fossiles (Cf. fig. 1) et des deux espèces actuelles de souris à Chypre. A - Plan factoriel CA1/CA2. B - Plan factoriel CA1/CA3.

-4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4 5 6 CA1 47 % -5 -4 -3 -2 -1 0 1 2 C A 2 1 9 % -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 4 5 6 CA1 47 % -5 -4 -3 -2 -1 0 1 2 3 C A 3 9 %

B