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commensale en Europe : approche archéozoologique et génétique

1.3. Le modèle insulaire

Les milieux clos ou isolés sont, au même titre que les organismes modèles en biologie, très utiles pour mieux comprendre les phénomènes qui ont cours à plus grande échelle. Ils ont évidemment servi de modèle heuristique pour l’évolution biologique, en commençant par les travaux de Charles Darwin (1859), pour devenir l’un des thèmes de recherche les plus étudiés en biologie et en paléobiologie à partir des années 60 (MacArthur et Wilson, 1963). L’archéologie s’est également appuyée sur les îles comme autant de laboratoires pour mieux cerner les processus de l’évolution culturelle (Broodbank, 2000 ; Evans, 1973, 1977 ; Guilaine, 1994, 2000, 2003 ; Perlès, 2002) ainsi que les modalités de colonisation et d’anthropisation à travers l’impact de l’homme sur les peuplements animaux insulaires en Méditerranée (Blondel et Vigne, 1993 ; Cherry, 1981, 1990 ; Cheylan, 1991 ; Malone, 1998 ; Masseti, 1998 ; Simmons, 1999 ; Vigne, 1999 ; Vigne et Alcover, 1985). Nous développerons ici les principes généraux concernant la biogéographie insulaire et l’anthropisation des peuplements animaux des îles méditerranéennes, qui nous serviront de fondements par la suite.

1.3.1. Généralités sur l’évolution des faunes insulaires

Après la théorie de l’évolution de Darwin basée sur un cas extrême d’isolement, la théorie des « équilibres dynamiques » (MacArthur et Wilson, 1963) peut être considérée comme un point de départ essentiel pour appréhender la biogéographie insulaire, car elle a profondément stimulé la recherche sur l’insularité. Ce modèle considère qu’une île n’est pas un vase clos où les espèces qui l’occupent ne subissent aucune influence extérieure. Au contraire, la richesse spécifique des îles est le résultat d’un apport permanent de propagules provenant des sources émettrices les plus proches, qui provoquent des bouleversements continuels dans sa composition spécifique ; c’est pourquoi le modèle est appelé dynamique. Le modèle est à l’équilibre puisque le nombre d’espèces ne change pas malgré cet apport constant, selon la relation espèce/surface établie pour les « îles vraies » (séparées du continent durant les régressions marines des phases glaciaires du Pléistocène) (Vigne, 1999).

Cet équilibre de la richesse spécifique insulaire a été modélisé sous forme d’un graphique bien connu, où celle-ci se situe à l’intersection entre la courbe de l’immigration et celle des extinctions des espèces autochtones (Blondel, 1986). Le flux d’immigration et le taux d’extinction dépendent à la fois de la distance entre l’île et le continent et de la taille de l’île. Le premier décroît alors que la distance augmente et que la surface diminue et le second augmente alors que la taille de l’île diminue. En schématisant à outrance, la richesse spécifique d’une île sera d’autant plus faible qu’elle sera éloignée du continent et de petite taille.

Ce modèle a entraîné dans son sillage de nombreuses études, menées à la fois sur plusieurs groupes d’animaux et de végétaux mais également à partir d’isolats biologiques en milieu continental. Elles ont fourni une masse considérable d’information qui permirent d’affiner et finalement de critiquer le modèle des équilibres dynamiques (Blondel, 1979 ; Simberloff, 1974, 1976).

Les assemblages d’espèces des îles ne sont pas le fruit d’un échantillonnage aléatoire du pool d’espèces de la souche continentale mais résultent d’un tri d’espèces généralistes ou anthropophiles (Vigne, 1992) présentes en abondance sur le continent.

Il y a trois étapes principales à la mise en place d’un peuplement insulaire (Granjon in Vigne (Ed.) (1997a):

1) l’immigration, qui dépendra des aptitudes de dispersion des candidats à l’émigration et des facteurs biotique et abiotique des îles à coloniser ;

2) la colonisation, qui dépendra de leurs aptitudes compétitrices et démographiques ;

3) l’adaptation au nouvel environnement, qui dépendra du pool génétique colonisant et de leur plasticité phénotypique.

Les candidats à la colonisation des îles devront, pour s’implanter durablement, posséder des qualités particulières et/ou réussir quelques ajustements écologiques et adaptatifs. Les espèces qui parviennent à édifier des populations abondantes et stables, réparties sur des milieux écologiques différents, ont un avantage adaptatif important et sont donc mieux protégées face aux risques d’extinction. C’est pourquoi les populations insulaires sont beaucoup plus sédentaires que les continentales. Cette sédentarisation peut mener chez certaines espèces à la diminution voire à la perte des outils locomoteurs de dispersion (i.e. aptérisme des oiseaux et des insectes).

Ces ajustements écologiques qui ont permis à certaines espèces d’immigrer et de s’adapter aux environnements insulaires, s’exprimeront par l’acquisition de nouvelles formes

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et fonctions si les processus stochastiques et adaptatifs ont eu le temps d’agir sur le génome. Les modifications évolutives liées à l’insularité sont donc indissociables des processus écologiques (Blondel, 1986). Des tendances évolutives ont été avancées, telles que les modifications morphologiques des outils de préhension de la nourriture dans le sens d’un élargissement des capacités de l’organisme à exploiter des proies reliées, soit à la taille d’une ressource précise de l’île, soit à l’élargissement de la niche, elle même liée à la diminution de la compétition intra et inter-spécifique. Un exemple bien connu d’une telle évolution est celui de la variation de la taille du bec de Geospiza des Galapagos corrélée à la taille des graines qu’il consomme sur ces îles (Abbott et al., 1977). Une autre tendance évolutive fut développée à partir de la découverte de mammifères nains (éléphants, hippopotames) et de rongeurs géants dans les faunes fossiles des îles méditerranéennes (Thaler, 1973). Chez les mammifères, cette théorie veut que l’évolution de la taille mène au gigantisme chez les rongeurs et au nanisme chez les carnivores, lagomorphes et artiodactyles (Foster, 1964). Plus généralement il s’opère, sur les îles, une uniformisation des tailles avec une augmentation chez les petites espèces et une diminution chez les grandes (Blondel, 1986). Ce phénomène est généralement considéré comme la conséquence de changements dans les interactions biologiques comme la prédation et la compétition. La règle du nanisme et du gigantisme n’est pas universelle et supporte de nombreuses exceptions (Blondel, 1985).

1.3.2. Anthropisation Holocène des faunes insulaires

mammaliennes de Méditerranée

Les grandes îles de Méditerranée (Majorque, Corse, Sardaigne, Crète et Chypre) n’étaient pas reliées au continent lors des régressions marines du Würm (Van Andel, 1989, 1990). Par conséquent, pour les vertébrés non volants du Pléistocène supérieur, les seuls moyens d’atteindre ces îles consistaient à nager ou à mettre à profit des radeaux naturels (troncs flottants, etc.). Cet isolement prolongé est à l’origine d’un peuplement mammalien très peu diversifié et endémique à chacune de ces îles au Pléistocène supérieur, à savoir des cervidés, des hippopotames et des éléphants devenus nains, quelques rongeurs devenus géants et de rares carnivores.

Ainsi, les communautés animales terrestres qui peuplent ces îles « vraies » à la fin du Pléistocène supérieur sont constituées d’espèces parfaitement adaptées à leur milieu mais d’autant plus fragiles à tout bouleversement extérieur. Les conséquences de l’arrivée de l’homme sur ces biotopes fragiles se détectent d’autant plus facilement qu’ils sont isolés des

processus de peuplement naturel qui ont cours sur le continent (Elton, 1958). L’observation de l’évolution Tardiglaciaire/Holocène des faunes insulaires terrestres à la lumière des composantes de l’impact de l’anthropisation bien décrites pour le bassin méditerranéen (Blondel et Vigne, 1993 ; Masseti, 1998 ; Vigne, 1999), est donc d’une très grande utilité pour la modélisation biogéographique des faunes continentales actuelles, pour lesquelles les facteurs anthropiques se distinguent difficilement des facteurs naturels. C’est pourquoi elles ont été choisies comme laboratoires des processus continentaux de l’anthropisation (Vigne, 1997b, 1999)

Le modèle biogéographique insulaire qui en résulte a été construit à partir des travaux menés durant les années 80 à l’échelle de chacune des îles citées. La Corse et le Sardaigne ont été les plus étudiées à ce sujet (Vigne, 1988, 1990, 1992 ; Vigne et Alcover, 1985 ; Vigne et

al., 1997), mais de nombreuses synthèses ont été menées à partir de compilations des données

paléontologiques et archéozoologiques disponibles, que nous avons citées plus haut. Nous nous appuierons principalement sur la synthèse critique de Vigne (1999) qui définit le renouvellement des faunes insulaires de Méditerranée selon six composantes principales :

1) Une extinction des grands mammifères endémiques au Tardiglaciaire ou au tout début de l’Holocène. Faute de preuves archéozoologiques flagrantes, une extinction directe provoquée par les chasseurs-cueilleurs du Tardiglaciaire n’a pas été encore réellement démontrée (Vigne, 2000a) ;

2) Une extinction différée et indirecte, induite par l’homme, des petits mammifères endémiques (Vigne et Valladas, 1996) ;

3) Une introduction volontaire d’espèces domestiques dés le début du Néolithiques (mouton, chèvre, vache, cochon…) ;

4) Le marronnage de taxons domestiques qui ont donné naissance aux faunes d’ongulés sauvages que l’on observe actuellement sur ces îles (mouflon, bouquetin, sanglier…) ;

5) L’introduction volontaire d’espèces sauvages à des fins cynégétiques (daims, cerf, renard, lièvre, lapin) ;

6) L’immigration facilitée de petits mammifères commensaux ou anthropophiles (rat, souris, mulot, musaraigne, lérot…).

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1.4. Néolithisation et histoire de la navigation