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PARTIE II – Le lecteur comme pilier des œuvres

Chapitre 3 : Le lecteur comme co-créateur des œuvres

A) La nécessité d'un lecteur actif

1. Le mystère au cœur des œuvres

Le haut degré de mystère dans les œuvres rejette toute possibilité de passivité du lecteur. Le

Grand Meaulnes apparaît comme un jeu de piste pour retrouver le domaine sans nom ; Les Faux- Monnayeurs s'illustre comme une enquête policière pour déterminer qui sont les faux-monnayeurs.

Le lecteur, dans les deux cas, prend part à la résolution de ces mystères. Plusieurs éléments font en effet apparaître les romans comme une énigme à résoudre. Tout d'abord, il y a clairement un manque d'informations fiables. Dans Les Faux-Monnayeurs, les données ne sont pas transmises facilement aux lecteurs, conformément à la volonté de Gide : « Inquiéter, tel est mon rôle. Le public préfère toujours qu'on le rassure. Il en est dont c'est le métier. Il n'en est que trop » (JFM, p. 85). La lecture doit soulever chez le lecteur un trouble et des interrogations. C'est pourquoi les informations ne sont souvent données que partiellement. On ne peut alors être certain de la signification des données puisque rien n'est dit clairement. C'est par exemple le cas d'une discussion entre Bernard et Olivier où ce dernier confie : « Tu sais, ce que je t'avais dis l'autre fois... Ça y est... J'y ai été. " Bernard comprend à demi-mot. » (FM, p. 35). Le personnage fait référence à une discussion à laquelle nous n'avons pas assisté et la gêne est telle que les personnages n'avouent pas précisément de quoi il est question. Nous voyons donc bien à travers cet exemple qu'il y a un évident manque d'informations qui plonge le lecteur dans un monde mystérieux, monde mystérieux qui lui demande d'être continuellement actif en enquêtant. De la même façon, Le Grand Meaulnes repose sur une question générale : où se trouve le domaine perdu ? Mais cette question ne reste pas longtemps unique ; au fur et à mesure des recherches, d'autres questions se posent. Les pas effectués vers la redécouverte du domaine sont à l'origine d'une envie d'en savoir encore plus ; ce qui apparaît comme étant l'avancée des recherches est en réalité à l'origine d'autres questionnements. Par exemple, lorsque Meaulnes et François découvre que le bohémien est le fiancé des noces célébrées au domaine, ce dernier s'enfuit. Cette révélation engendre alors davantage de questions que de réponses :

Frantz de Galais nous avait jusqu’ici caché son nom et il avait feint d’ignorer le chemin du Domaine, par peur sans doute d’être forcé de rentrer chez ses parents ; mais pourquoi, ce soir là, lui avait-il plu soudain de se faire connaître à nous et de nous laisser deviner la vérité tout entière ?… (GM, p. 171)

sur l'histoire du Grand Meaulnes se fait donc ressentir par des interrogations croissantes qui poussent le lecteur à être actif pour obtenir des réponses, de la même façon que le mystère des

Faux-Monnayeurs le pousse à enquêter pour comprendre des informations à demi-dévoilées.

Le mystère omniprésent dans les deux romans demande précisément à être résolu. C'est pourquoi des indices sont semés dans les œuvres. Tout d'abord, dans Les Faux-Monnayeurs, les informations ne sont dévoilées que partiellement à un instant T, mais en fouillant dans l'ensemble du roman, le lecteur peut trouver des indices pour compléter ces données. C'est le cas de la conversation entre Bernard et Olivier qui demeure incompréhensible si nous ne lisons que ce passage, mais qui s'éclaire grâce à d'autres brides de conversation. En effet, durant cet extrait, le lecteur se doit d'être actif et de faire le lien avec la conversation entre M. Profitendieu et M. Molinier présentée peu avant. Grâce à la réunion de ces informations, le lecteur comprend qu'Olivier a été louer les services d'une prostituée, puisque c'est précisément de cette affaire que parlaient les deux juges précédemment : « Je ferais fermer l'appartement, le théâtre de ces orgies, et je m'arrangerais de manière à prévenir les parents de ces jeunes effrontés, doucement, secrètement » (FM, p. 21). Toutefois, il ne s'agit que d'une hypothèse du lecteur, puisque rien ne sera confirmé par la suite. De la même façon, l'identité du bohémien peut être révélée bien avant la déclaration de Frantz par un lecteur actif. En effet, certaines informations obtenues lors de la discussion entre le bohémien, Meaulnes et François sont précieuses car le premier avoue :

[J]e préfère vous avertir : je ne suis pas un garçon comme les autres. Il y a trois mois, j’ai voulu me tirer une balle dans la tête et c’est ce qui vous explique ce bandeau, sur le front, comme un mobile de la Seine, en 1870… « je ne continuerai à vivre que pour l'amusement, comme un enfant » (GM, p. 154).

Or, précisément, lorsque Meaulnes quitte le fiancé des noces désespéré, il souhaite se suicider. De plus, à ce moment, le bohémien est décrit exactement de la même façon que le fiancé lors de sa rencontre avec Meaulnes : il est « [p]âle, les lèvres entr'ouvertes » (GM, p. 116 et p. 169). Le texte était donc semé d'indices et le lecteur pouvait trouver des réponses seul. Ainsi, le mystère régnant sur les œuvres oblige le lecteur à une lecture active pour finaliser les romans en obtenant des réponses, mais l'impossibilité d'une lecture passive est également justifiée par l'omniprésence des faux-semblants dans les œuvres.

2. Des jeux de faux-semblants perpétuels

nature réelle de leurs sentiments, si bien que la lecteur doit être particulièrement attentif à ne pas se laisser berner par leur dissimulation. Le lecteur doit différencier ce que le personnage tente de laisser transparaître et ce qu'il ressent vraiment. Nous avons déjà pu constater que le mensonge est un vice particulièrement présent dans les deux romans. Ce péché humain donne naissance à deux réalités parallèles : une réalité simulée, celle que reçoit les personnages entre eux et une réalité intérieure, soit les véritables pensées du personnage, accessibles au lecteur. Nous constatons par exemple l'existence simultanée de ces deux réalités lors de la rencontre entre Édouard et Olivier dans Les Faux-Monnayeurs. En tant que lecteur, nous connaissons l'impatience mutuelle de rencontrer l'autre. Édouard a effectivement manigancé leur rencontre en envoyant une lettre à Pauline pour qu'elle soit lue par Olivier :

Curieux de savoir si par impossible Olivier l’attend à la sortie du train ? Il n’y compte absolument pas. Comment supposer même qu’Olivier ait pu prendre connaissance de la carte où il annonçait aux parents d’Olivier son retour – et où incidemment, négligemment, distraitement en apparence, il précisait le jour et l’heure – comme on tendrait un piège au sort, et par amour des embrasures. (FM, p. 79)

Or, Olivier ignorait que cette lettre lui était implicitement destinée et inversement, Édouard ne savait pas qu'Olivier attendait avec impatience cette entrevue, c'est pourquoi leur rencontre ne se déroule pas exactement comme ils l'avaient souhaitée. Chacun d'eux pense ennuyer l'autre et ne parvient pas à révéler la vraie nature de ses sentiments :

Nous n’aurions à déplorer rien de ce qui arriva par la suite, si seulement la joie qu’Édouard et Olivier eurent à se retrouver eût été plus démonstrative ; mais une singulière incapacité de jauger son crédit dans le cœur et l’esprit d’autrui leur était commune et les paralysait tous deux ; de sorte que chacun se croyant seul ému, tout occupé par sa joie propre et comme con-fus de la sentir si vive, n’avait souci que de ne point trop en laisser paraître l’excès. (FM, p. 81)

Il y a donc bel et bien une différence entre les attitudes feintes et les sentiments réels. Seul le lecteur peut connaître la vérité grâce à son accès à l'intériorité des personnages, c'est pourquoi il ne doit pas se laisser tromper comme les personnages en demeurant un lecteur passif qui absorbe toute information au lieu d'être actif dans la recherche de la vérité.

De la même façon, dans Le Grand Meaulnes, Frantz camoufle ses sentiments en se composant un personnage aventureux et enfantin. Arrivé anonymement à Sainte-Agathe, il remplace Meaulnes dans le cœur de ses camarades et introduit « des plaisirs nouveaux » (GM, p. 146) dans la cour de récréation. De cette façon, il assume sa volonté de rester dans le monde

enfantin en devenant l'incarnation même du divertissement pour ses camarades. Il s'agit alors de la réalité simulée. Toutefois, ce n'est qu'une façon d'oublier sa souffrance comme le rappelle son bandeau à la tête. Sa blessure, due à sa tentative de suicide, s'ouvre d'ailleurs à nouveau à Sainte- Agathe : « Votre bandeau est rouge de sang » (GM, p. 152), révélant alors la nature de ses sentiments davantage malheureux que tournés vers le jeu. Il s'agit ici de la réalité intérieure. Mais seul un lecteur actif peut comprendre le symbole de l'ouverture de sa blessure. Par conséquent, la dissimulation des sentiments réels demande la participation du lecteur pour être levée. De la même manière qu'il doit lever le mystère des romans en devenant enquêteur, le lecteur doit également travailler avec le mystère imposée par les personnages, en s'évertuant à comprendre leurs pensées intérieures. C'est pourquoi le lecteur doit nécessaire être actif dans sa lecture et devient un membre essentiel pour l'achèvement des œuvres. La nécessité de son intervention s'illustre également à travers la découverte de clefs de lecture donnant un degré de signification supérieur aux œuvres.

B) La découverte de clefs de lecture