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La nécessité d’un épuisement préalable des voies de recours internes

L’individu bénéficiaire discrétionnaire de l’action de l’État : la

B) La nécessité d’un épuisement préalable des voies de recours internes

Bien que dans son raisonnement la Cour apprécie la règle de l’épuisement comme une règle à portée multiple concernant l’ensemble des recours juridiques internes (1), elle prend tout de même en compte certaines circonstances qui pourraient justifier d’éventuelles dérogations, telles que l’indisponibilité des voies de recours internes ou un comportement étatique préjudiciable (2).

115 J. DUGARD, Premier rapport sur la protection diplomatique, op.cit., p.33, § 118.

116 C.I.J., Ahmadou Sadio Diallo (exceptions préliminaires) op.cit.

La Cour internationale de justice et la protection de l’individu

1) Une règle à portée multiple concernant l’ensemble des recours juridiques internes

L’obligation d’épuisement des voies de recours internes a été appréciée par la Cour comme ayant une portée multiple. En effet, elle est appréciée en fonction de l’ensemble des différents degrés de juridiction existants, ainsi que vis-à-vis des diverses voies de recours ouvertes au sein de chaque degré de juridiction117. Suivant cette logique, la Cour affirme dans l’affaire de l’Elettronica Sicula que : « pour qu’une demande internationale soit recevable, il suffit qu’on ait soumis la substance de la demande aux juridictions compétentes et qu’on ait persévéré aussi loin que le permettent les lois et les procédures locales et ce sans succès »118. Autrement dit, le requérant doit utiliser successivement toutes les voies de recours ouvertes qui peuvent apporter satisfaction à sa cause119.

En ce qui concerne la détermination de la notion de voies de recours internes, la Cour va l’entendre comme comportant l’ensemble des recours existants dans l’ordre juridictionnel interne de l’E tat. Ainsi, lors de l’affaire Barcelona Traction, elle va analyser l’épuisement des voies de recours internes tant à l’égard des actes administratifs, des décisions connexes, que des recours exceptionnels. C’est à partir de cette analyse que la Cour va déterminer que le gouvernement espagnol n’avait pas concrètement établi l’absence ou insuffisance des recours exercés120. Selon, J. CHAPPEZ, l’accomplissement de la règle de l’épuisement des voies de recours internes doit s’étendre à l’égard de « tous les recours devant les juridictions administratives ou judiciaires, civiles et pénales, de même les recours tendant à résoudre certains problèmes spéciaux à porter devant des juridictions particulières »121. Cette définition, retenue par J.DUGARD122 et par la Cour E.D.H.123, notamment, a fait l’objet d’une interprétation extensive par une

117 Selon J.CHAPPEZ, l’obligation doit être appréhendée à travers l’épuisement tant vertical qu’hori ontal des voies de recours internes, il affirme en ce sens que: « L’épuisement vertical des recours par opposition à l’épuisement hori ontal, également exigé dans l’interprétation de la règle, implique pour le requérant d’utiliser à chaque degré de juridiction toutes les voies de droit ouvertes et qui peuvent apporter satisfaction à sa cause ». Voir de cet auteur, Protection diplomatique, J.C.L. droit international,op.cit., p. 23 §122.

118 C.I.J., Arrêt du 20 juillet 1989, Elettronica Sicula ELSI tats-Unis c. Italie), Recueil 1989, p. 46,

§59.

119 La Sentence arbitrale dans l’affaire Ambatielos et postérieurement, la jurisprudence de la Com.

E.D. . dans l’affaire Nielsen c. Danemark ont interprété de manière similaire la notion en précisant que celle-ci, bien que reposant par principe sur une définition autonome, devait premièrement s’apprécier au regard de l’ensemble de recours internes offerts par la législation nationale. Voir, Sentence arbitrale Ambatielos, 6 mars 1956, R.S.A., vol. XII, p.120 ; Com. E.D.H., décision du 2 septembre 1959, Nielsen c. Danemark, req, n°343/57, Ann. C.E.D.H., vol.2, pp. 439-441..Voir en ce sens, LCAFLISCH,A.ACANÇADO TRINDADE, « Les conventions américaines et européennes des droits de l’homme et le droit international général », R.G.D.I.P., 2004, p.43.

120 C.I.J., Barcelona Traction, (deuxième phase), op.cit., pp.26-29.

121 J.CHAPPEZ, La règle de l’épuisement des voies de recours internes, Paris : Pedone, 1972, p.184.

122 J.DUGARD, Deuxième rapport sur la protection diplomatique, 2001, Doc.N.U., A/CN.4/514, pp.7-10.

123 F. SUDRE, Droit européen et international des droits de l’homme, 10°édition, Paris : P.U.F., 2011, p.582, §320.

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33 partie de la doctrine qui considère la notion de « recours interne » comme comprenant aussi bien les recours ouverts dans les différentes procédures du droit national124 que les recours dit « extraordinaires » voir « extra-juridiques »125.

La jurisprudence des cours régionales en matière des droits de l’Homme126 ainsi que la Cour elle même ont exclu cette approche extensive. Dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo, la Cour s’est prononcée sur la question en relevant que le recours contestant la mesure d’expulsion auprès du Premier ministre zaïrois s’apparentait davantage à un recours gracieux, ne rentrant pas ainsi dans le cadre d’application de la condition d’épuisement127. La Cour rappelle en ce sens, que quand bien même «les recours internes qui doivent être épuisés comprennent tous les recours de nature juridique, aussi bien les recours judiciaires que les recours devant les instances administratives, les recours administratifs ne peuvent être pris en considération aux fins de la règle de l’épuisement des voies de recours internes que dans la mesure où ils visent à faire valoir un droit et non à obtenir une faveur, à moins qu’ils ne soient une condition préalable essentielle à la recevabilité de la procédure contentieuse ultérieure »128.

Cet argument qui reflète l’influence de l’interprétation de la règle par les juridictions régionales en matière de droits de l’Homme trouve son origine dans la jurisprudence de la Com. E.D.H. En effet, lors de l’affaire De Becker129, ladite Commission va préciser que l’action en réhabilitation dont il était question ne rentrait pas dans le champ d’application de la condition d’épuisement des voies de recours préalables. En ce sens, elle dira que cette action «ne semble pas présenter les caractéristiques d’un recours ordinaire dont les principes du droit international généralement reconnus exigent l’épuisement, car elle a

124 Sentence arbitrale Ambatielos, op.cit., p.120.

125 Le projet de Convention sur la responsabilité internationale des États à raison des dommages causés aux étrangers établi par la Harvard Law School en 1961, avançait dans le commentaire de son article 1 , l’idée selon laquelle « par recours administratifs on entend tous les recours qui sont disponibles auprès du pouvoir exécutif, ainsi que les recours spéciaux qui peuvent être prévus par la voie législative si des demandes son ordinairement formulées par le biais de private bills ».

Reproduit dans: J.DUGARD, Deuxième rapport sur la protection diplomatique, op.cit., p.8, §14.

126 Com. E.D.H., décision du 29 mars 1960, Ann. C.E.D.H., vol. , p.2 5. En l’espèce la ommission a considéré qu’un recours en grâce n’était pas à inclure dans la définition des recours à épuiser. our I.D.H., 26 juin 1987, Velasquez Rodriguez c. Honduras, Exceptions préliminaires, Série C, n°1, §64.

127 C.I.J., Ahmadou Sadio Diallo (exceptions préliminaires) op.cit., p.19, § 47.

128 Ibid. ’est sur ce passage que le demandeur a attiré l’attention de la our lors de ses plaidoiries, ce qui a probablement décidé celle-ci à en reprendre la substance dans son raisonnement. Voir, l’Audience publique du 28 novembre 2006 dans C.I.J., Ahmadou Sadio Diallo (procédure orale), op.cit., CR 2006/51, pp. 58-59. Voir, contra l’opinion individuelle du juge ad hoc MAMPUYA qui soutient que « le recours à l’autorité administrative est une voie de recours qui est généralement, aux côtés des recours contentieux, admise comme l’une des voies de recours efficaces à propos desquelles l’épuisement des voies de recours internes est exigé ». C.I.J., Ahmadou Sadio Diallo (exceptions préliminaires) op.cit., p. 15.

129 Com. E.D.H., Décision du 9 juin 1958, De Becker c. Belgique, req. n° 214/56, Ann. C.E.D.H., vol.3, p. 238.

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pour objet, l’obtention d’une faveur et non la revendication d’un droit »130. Cette interprétation, a été prise en compte par la C.D.I. lors de la rédaction de l’article 14 du Projet d’articles sur la protection diplomatique131. Il en résulte, que les étrangers sont tenus uniquement d’épuiser les voies de recours internes susceptibles d’aboutir à une décision obligatoire en laissant de côté les recours non-contraignants.

Cette nouvelle tendance visant un assouplissement de la règle d’épuisement des recours internes va se manifester également à l’encontre de la position soutenue dans la sentence arbitrale Ambatielos132, et dans l’affaire Elettronica Sicula133. En effet, les affaires en question visaient une application extensive des lois et des procédures internes tout en imposant une obligation implicite d’utilisation de l’ensemble de voies disponibles à chaque degré de juridiction. Cette position sujette à caution a été critiquée comme imposant une charge trop lourde aux étrangers134. Pour cette raison, elle a été analysée davantage comme établissant un rappel à l’égard de l’individu lésé de bien préparer sa procédure au niveau interne que comme lui imposant une obligation élargie.

Comme le relève J. DUGARD dans son Deuxième rapport sur la protection diplomatique, l’obligation d’utiliser l’ensemble des moyens de droit disponibles doit être complétée par l’obligation d’invoquer en substance devant les juridictions nationales les griefs présentés sur le plan international135. Ce principe a été confirmé par la jurisprudence de la Cour dans l’affaire Elettronica Sicula, où elle précise que : « pour qu'une demande internationale soit recevable, il suffit qu'on ait soumis la substance de la demande aux juridictions compétentes et qu'on ait persévéré aussi loin que le permettent les lois et les procédures locales, et ce sans succès »136. Cette obligation qui signifie concrètement que l’individu doit soulever sur le plan interne un grief équivalent à celui de la

130 Ibid. Voir aussi, Cour E.D.H., Arrêt du 20 février 1991, Vernillo c. France, req. n°11889/85, Série A, n° 198, spéc. §27.

131 J.DUGARD, Deuxième rapport sur la protection diplomatique, op.cit., p.8.

132 Sentence arbitrale Ambatielos, op.cit., p.120.

133 C.I.J., Elettronica Sicula (ELSI), op.cit., p.46, §59.

134 J.DUGARD, Deuxième rapport sur la protection diplomatique, op.cit., p.9, §16.

135 J. DUGARD se réfère notamment à l’Arbitrage relatif aux navires finlandais, dont l’arbitre avait déclaré que : « tous les arguments de fait et de droit qui sont avancés par le Gouvernement demandeur ... doivent avoir été examinés par les tribunaux internes, qui doivent s’être prononcés en ce qui les concerne », Voir, Sentence arbitrale, Claims of Finnish Ship owners against Great Britain in respect of the use of certain Finnish vessels during the war, 9 mai 1934, R.S.A., vol. III, p.1502. Traduction française figurant dans : J. DUGARD, Deuxième rapport sur la protection diplomatique, op.cit., p.9, §16.

136 C.I.J., Elettronica Sicula (ELSI), op.cit., p.46, §59.

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35 violation alléguée, a été relevée tant par la jurisprudence européenne137 que récemment devant la Cour.

Ainsi, dans l’affaire LaGrand, l’exception d’irrecevabilité qui avait été soulevée par les États-Unis pour défaut d’invocation des griefs consécutifs à une violation des droits individuels au niveau des juridictions nationales, a été écartée par la Cour sur le fondement qu’il n’était pas « contesté que les frères LaGrand ont cherché à se prévaloir des dispositions de la Convention de Vienne devant les tribunaux américains après avoir pris connaissance, du droit qu’ils tenaient de ladite convention »138. En effet, la Cour va écarter cette exception tout en rappelant, comme elle l’avait fait auparavant dans l’affaire Elettronica Sicula139, que les individus en question avaient bien accompli cette démarche.

De ce fait, l’obligation d’épuiser les voies de recours internes doit se révéler réalisable et ne doit pas être entravée par l’ineffectivité des recours internes ou par le comportement préjudiciable de l’E tat.

2) Une règle sujette à dérogations en cas d’indisponibilité des recours internes ou face à un comportement étatique préjudiciable

La jurisprudence de la Cour ainsi que celle de sa devancière la C.P.J.I. vont centrer l’application de la règle d’épuisement de recours internes tant sur la disponibilité que sur l’opposabilité de ces derniers. Suivant cette pratique, la C.P.J.I., dans l’affaire Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, tout en faisant un examen étendu quant à la disponibilité et l’applicabilité de procédures internes, va déclarer l’irrecevabilité de la demande estonienne du fait du non-épuisement des voies de recours internes140.

Dans l’Affaire Electronica Sicula, la Cour précise que « l'Italie devait établir la réalité de l'existence d'un recours que les actionnaires américains pouvaient exercer et qu'ils n'ont pas utilisé. La Chambre n'estime pas que l'Italie se soit acquittée de ce devoir »141. Puis elle conclura en disant qu’« en l'espèce, l'Italie n'a pas réussi à convaincre la Chambre qu'il restait manifestement quelque recours que Raytheon et Machlett auraient dû former et épuiser, indépendamment de l'ELSI et du syndic de faillite »142. Autrement dit, c’est à travers l’appréciation de l’existence d’une procédure réelle à l’égard de l’individu lésé que la disponibilité et l’applicabilité des recours internes ont été établies par la Cour.

137 Cour E.D.H., décision du 16 décembre 1992, Geouffre de la Pradelle c. France, req. n°12964/87, Recueil Série A, n°253-B.

138 C.I.J., LaGrand (fond), op.cit., p.488, §60.

139 C.I.J., Elettronica Sicula (ELSI), op.cit., pp.45-46.

140 C.P.J.I., Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, op.cit., pp.19- 20 et p. 22.

141 C.I.J., Elettronica Sicula (ELSI), op.cit., p.47, §62.

142 Ibid., p.48, §63.

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En reprenant une démarche comparable à celle de la C.P.J.I. dans l’affaire Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis143, la Cour a eu également à se prononcer dans des situations semblables où il existait des recours internes disponibles quoique difficilement opposables. Ainsi, dans l’affaire Interhandel, la Cour a examiné sous l’angle de la recevabilité de l’action la troisième exception préliminaire du gouvernement des E tats Unis visant au non-épuisement des voies de recours internes144. Dans cette affaire, la Suisse s’était opposée à cette exception en soutenant que la Cour était en présence d’une dérogation de la règle et bien qu’il existait des voies de recours internes disponibles, elles n’étaient pas justifiées en l’espèce du fait notamment que la mesure prise contre Interhandel provenait de l’E tat lui-même et non des juridictions subalternes145.

En effet, elle va relever que lesdites juridictions n’étaient pas compétentes pour connaître du différend et cela notamment en raison du fait que celui-ci concernait le droit international et non le droit interne. La Cour, quant à elle, va examiner l’applicabilité de cette dérogation en considérant qu’elle n’était pas opposable en l’espèce. Elle va se fonder sur le fait que la procédure n’avait pas été achevée au niveau interne et, que de ce fait, elle n’avait pas à se prononcer au niveau international sur une situation « qui donnait lieu à l’application de la règle de l’épuisement »146.

Cette situation qui est en lien direct avec le critère de la « disponibilité raisonnable » proposé par la C.D.I. en matière de protection diplomatique147, prend en compte notamment les circonstances particulières du système juridique de l’État défendeur dans le cas où il n’y aurait aucune possibilité sérieuse d’obtenir une réparation efficace. En outre, son origine peut être relevée dans l’opinion individuelle du Juge H.LAUTERPACHT dans l’affaire des Emprunts norvégiens148 ayant recueilli l’approbation d’une partie de la doctrine.

143 C.P.J.I., Chemin de fer Panevezys-Saldutiskis, op.cit., p. 18. Dans cette affaire, la C.P.J.I. avait abordé la possibilité d’éventuelles dérogations à la règle dans le cas o les tribunaux internes « ne seraient pas compétents » pour trancher du litige et lorsqu’il existerait une «jurisprudence constante bien établie et défavorable à l’étranger».

144 C.I.J., Arrêt du 21 mars 1959, Interhandel Suisse c. tats-Unis) exceptions préliminaires, Recueil 1959, p. 26.

145 Ibid., p. 27

146 Ibid., p.29.

147 La C.D.I. tout en faisant un récapitulatif des situation issues de la jurisprudence internationale, relève dans son commentaire de l’article 15 du Projet d’articles sur la protection diplomatique que :

«ce critère cadre avec les cas o il a été jugé, que les recours internes n’ont pas à être épuisés si le tribunal interne est incompétent à l’égard du différend considéré; que les tribunaux ne peuvent pas connaître de la législation interne justifiant les actes attaqués par l’étranger; que les tribunaux internes manquent notoirement d’indépendance;qu’une jurisprudence constante et bien établie est défavorable à l’étranger; que les tribunaux internes n’ouvrent pas à l’étranger un recours approprié et suffisant; ou encore que l’ tat défendeur n’a pas de s stème adéquat de protection judiciaire ». Voir, Rapport de la C.D.I. de 2006, op.cit., p.80, §3.

148 Voir, opinion individuelle du Juge LAUTERPACHT dans C.I.J., Arrêt du 6 juillet 1957, Certains emprunts norvégiens (France c. Norvège), Recueil 1957, p.39.

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37 D’ailleurs, ce critère a été retenu par le texte de l’article 15 a) du Projet d’articles sur la protection diplomatique, comme « palliatif »149 au critère des recours disponibles, permettant ainsi d’écarter la règle de l’épuisement préalable lorsqu’: « [i]l n’y a pas de recours internes raisonnablement disponibles pour accorder une réparation efficace, ou [que] les recours internes n’offrent aucune possibilité raisonnable d’obtenir une telle réparation »150.

Dans l’affaire LaGrand, la Cour a dû se prononcer notamment sur l’applicabilité d’une règle procédurale empêchant les individus de faire valoir concrètement les droits qu’ils tiraient de l’ordre juridique international. En l’espèce, l’Allemagne invoquait comme argument le fait que le système américain ne prévoyait pas un recours effectif face à la violation de l’article 36 de la Convention sur les relations consulaires151. A cet égard, elle mettait en évidence le fait que le droit international exige l’épuisement des voies de recours internes seulement s’il existe une accessibilité et une possibilité juridique et matérielle effective de mettre en œuvre ces recours152.

En revanche, les E tats-Unis d’Amérique [ci-après les E tats-Unis]

affirmaient que l’argument avancé par l’Allemagne était irrecevable en raison du fait que les frères LaGrand n'avaient pas épuisé les voies de recours internes. Les E tats-Unis faisaient valoir en outre, que le manquement allégué par l’Allemagne concernait l'obligation d'informer les frères LaGrand de leur droit de communiquer avec leur consulat ; qu'un tel manquement aurait pu facilement être réparé au stade du procès si la question avait été soulevée en temps opportun153. Pour l’Allemagne, certains éléments devaient être pris

149 Le critère retenu a été préféré à celui de « la futilité manifeste » défendu par l’arbitre BAGGE dans la Sentence arbitrale relative aux navires finlandais, (Texte en anglais : Claims of Finnish Ship owners against Great Britain in respect of the use of certain Finnish vessels during the war, op.cit., p.1502.), Citée dans, J.DUGARD, Deuxième rapport sur la protection diplomatique, op.cit., pp.79-80,

§3. Dans cette sentence, la règle excusant le non-épuisement des voies de recours internes est « interprétée très strictement » car elle impose une lourde charge au demandeur l’obligeant à prouver que, dans les circonstances de l’espèce et eu égard au s stème juridique de l’ tat défendeur, il n’ a aucune possibilité raisonnable d’obtenir une réparation efficace. Ceci à l’inverse du critère de «l’absence de perspective raisonnable de succès», accepté par la Com. E.D.H. dans plusieurs décisions qui, quant à lui, est trop généreux. Voir à titre d’exemple, om. E.D. ., décision du 16 décembre 1961, Retimag S.A. c. République fédérale d’Allemagne, req. n° 712/60, Ann.

C.E.D.H., vol. 4, p. 400.

150 Rapport de la C.D.I. de 2006, op.cit., p.78. En effet, J.DUGARD, dans le cadre de ses travaux préparatoires, avait proposé plusieurs alternatives de dérogation à la règle en matière d’épuisement. Il considérait que la règle pouvait cesser d’être exigée dans le cas o les recours seraient « manifestement futiles» ou « quand ils n’offrent aucune possibilité raisonnable d’obtenir une mesure de réparation efficace »Voir, J. DUGARD, Troisième rapport sur la protection diplomatique, op.cit., p.6. En revanche, l’article du texte de la .D.I. en matière de responsabilité exige que les recours internes soient «disponibles et efficaces».

151 Mémoire de la République fédérale d’Allemagne du 16 septembre 1 , dans .I.J., LaGrand, op.cit., p. 47, § 4.25.

152 Voir les plaidoiries de B.SIMMA lors de l’Audience publique du 16 novembre 2000 dans .I.J., LaGrand (procédure orale), op.cit., CR 2003/30, SIMMA § 8 p.12.

153 C.I.J., LaGrand (fond), op.cit., p.487, §58.

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directement en compte lors de l’examen de l’épuisement de voies de recours internes et notamment ceux concernant la disponibilité et l’efficacité du recours154.

La Cour, quant à elle, va suivre une analyse détaillée de la règle en procédant respectivement à son examen et contrôle. Ainsi, lorsqu’elle se prononce sur l’épuisement des voies de recours internes, elle affirme « qu'il n'est pas contesté que les frères LaGrand ont cherché à se prévaloir des dispositions de la convention de Vienne devant les tribunaux américains après avoir pris connaissance en 1992 du droit qu'ils tenaient de ladite convention; il n'est pas davantage contesté

La Cour, quant à elle, va suivre une analyse détaillée de la règle en procédant respectivement à son examen et contrôle. Ainsi, lorsqu’elle se prononce sur l’épuisement des voies de recours internes, elle affirme « qu'il n'est pas contesté que les frères LaGrand ont cherché à se prévaloir des dispositions de la convention de Vienne devant les tribunaux américains après avoir pris connaissance en 1992 du droit qu'ils tenaient de ladite convention; il n'est pas davantage contesté