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Une application élargie du Protocole sur les relations consulaires indifférente au bénéficiaire de la protection

C HAPITRE II De l’opposabilité des droits

B) Une application élargie du Protocole sur les relations consulaires indifférente au bénéficiaire de la protection

Dans l’affaire LaGrand, l’Allemagne demandait à la Cour de se reconnaître compétente au titre du Protocole de signature facultative de la Convention de Vienne sur les relations consulaires. En effet, en vertu de l’article 1 dudit Protocole « les différends relatifs à l’interprétation ou à l’application de la convention relèvent de la compétence obligatoire de la Cour internationale de justice, qui, à ce titre, pourra être saisie par une requête de toute partie au différend qui sera elle-même partie au présent protocole».

Pour l’Allemagne, l’application de la Convention au sens du Protocole de signature facultative englobait bien les conséquences de la violation des droits individuels reconnue par la Convention, y compris le fait pour l’E tat d’envoi de faire siennes lesdites demandes, ce qui permettait au dit E tat de formuler une réclamation au titre de la protection diplomatique488. Pour les E tats-Unis, au contraire, la Convention de Vienne de 1963 traitait de l’assistance consulaire et non de la protection diplomatique et de ce fait son champ d’application ne pouvait pas être élargi par le biais du protocole de signature facultative489.

Selon l’Allemagne, l’exercice de la protection diplomatique, constituait une application de ce que la C.D.I. appelle les règles secondaires du droit international. A partir de là, il n’y avait plus aucun doute quant à la possible application du Protocole de signature facultative au cas d’espèce490.

488 Voir en ce sens, les plaidoiries de D. KHAN et B.SIMMA lors des deux Audiences publiques tenues le 13 novembre 2000 dans C.I.J., LaGrand (fond), procédure orale, CR 2000/26, D. KHAN, § 4, p. 25;

Ibid., CR 2000/27, B.SIMMA §23 p. 6.

489 Dans son contre-mémoire, les tats-Unis affirment que “Germany also claims that, because the LaGrand brothers were not informed of the possibility of consular notification, Germany suffered additional legal injury by being denied its right to provide diplomatic protection in respect of individual legal injuries suffered by the brothers. This claim is linked with an extensive legal argument to the effect that consular notification under Article 36 is an individual right that must be enforceable in the criminal justice s stem.” pour ajouter ensuite que “In an case, to the extent that this claim b German is based on the general law of diplomatic protection, it is not within the ourt s jurisdiction. he claim does not concern the interpr tation or application of the Vienna Convention, and accordingly is not within the jurisdiction of the Court based on the Optional Protocol to the Vienna Convention”. Voir, Contre-mémoire des EE.UU du 27 mars 2000 dans C.I.J., LaGrand (fond), procédure écrite, § et § 5. Voir également l’Audience publique du 1 novembre 2000 dans laquelle T. MERON répond aux arguments de l’Allemagne en précisant que « La convention de Vienne traite de l’assistance consulaire … et non de la protection diplomatique.

Juridiquement, un monde sépare le droit du consul d’assister un ressortissant de son pa s incarcéré et la question totalement différente de savoir si l’ tat peut endosser les réclamations de ses ressortissants au titre de la protection diplomatique». Voir, C.I.J., LaGrand (fond), procédure orale, CR 2000/31, T. MERON, § 3.3, p.11.

490 Dans son Mémoire, l’Allemagne précise que “With regard to the first point, Germany submits that the general rules of State responsibility are applicable to all kinds of internationally wrongful acts

La Cour internationale de justice et la protection de l’individu

L’Allemagne, à travers cette affirmation, prétendait exercer la protection diplomatique du fait de la violation par les E tats-Unis des droits énoncés dans la Convention. Ainsi, elle faisait jouer une règle secondaire du droit coutumier pour faire valoir des droits tirés d’une règle primaire énoncée dans la Convention.

En réponse, les E tats-Unis soutenaient que cette prétention fondée sur le droit général de la protection diplomatique ne relevait pas de la compétence de la Cour car elle ne concernait pas l’interprétation ou l’application de la Convention. Ils affirmaient, en outre, que le droit coutumier de la protection diplomatique ne relevait pas de la compétence de la Cour au terme du Protocole de signature facultative491. Ils entendaient dissocier en ce sens la compétence en matière conventionnelle de celle relative au droit coutumier et attestaient du fait que les normes conventionnelles et coutumières avaient une application différente. Ils soutenaient cette thèse en s’appuyant sur l’affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci492.

Il est important de préciser que, dans cette affaire, les E tats-Unis s’étaient vu imposer l’application de normes coutumières énoncées également dans des conventions multilatérales. Les E tats-Unis avaient fait référence à la réserve dite Vandenberg493. S’appuyant sur la base de cette réserve, les E tats-Unis s’opposaient à l’application des traités multilatéraux. La Cour, quant à elle affirme « ne pouvoir rejeter les demandes nicaraguayennes fondées sur les principes du droit international général et coutumier au seul motif que ces principes sont repris dans les textes des conventions invoquées par le Nicaragua. Le fait [a ajouté la Cour]

que les principes susmentionnés, et reconnus comme tels, sont codifiés ou incorporés dans des conventions multilatérales ne veut pas dire qu'ils cessent d'exister et de s'appliquer en tant que principes du droit coutumier, même à l'égard de pays qui sont parties aux dites conventions. Des principes comme ceux du non-recours à la force, de la non-intervention, du respect de l'indépendance et de l'intégrité territoriale des E tats et de la liberté de navigation conservent un caractère obligatoire en tant qu'éléments

unless expressly stipulated otherwise. This derives from the very nature of the rules on State responsibility as "secondary rules" which are to be applied whenever "primary" obligations have not been observed”. Voir, Mémoire de l’Allemagne du 16 septembre 1 , dans .I.J., LaGrand (fond), procédure écrite, §6.06. Voir également les plaidoiries de B.SIMMA au cours de l’Audience publique du 13 novembre 2000, durant lesquelles il réitère cette affirmation. C.I.J., LaGrand (fond), procédure orale, CR 2000/27, B. SIMMA, p.22, §6.

491 ontre-mémoire des tats-Unis du 27 mars 2000 dans C.I.J., LaGrand (fond), procédure écrite, § 74 ainsi que les plaidoiries de T.MERON lors de l’Audience publique du 1 novembre 2000 dans C.I.J., LaGrand (fond),,procédure orale, CR 2000/28,T.MERON,p. 38, §§3.10 -3.11.

492 C.I.J., Arrêt 27 juin 1986, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (Nicaragua c. tats Unis) fond, Recueil 1986, 150p.

493 Le 26 août 1 6, lors de sa déclaration d’acceptation de juridiction obligatoire de la our, les tats-Unis avaient fait une réserve appelée Vandenberg portant le nom du sénateur des tats-tats-Unis qui la proposa. Au terme de cette réserve, les tats-Unis excluaient la compétence de la Cour pour traiter des différends résultant d’un traité multilatéral à moins que toutes les parties au traité soient parties à l’affaire. Voir, .I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond), op.cit., pp. 21- 31, §42.

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129 du droit international coutumier, bien que les dispositions du droit conventionnel auxquels ils ont été incorporés soient applicables»494.

De ce fait, en 1984, la Cour s’est déclarée compétente pour connaître des demandes fondées sur les principes de droit coutumier au titre de l’article 36 § 2 de son Statut495. Suite à la décision de la Cour, les E tats-Unis retirèrent leur déclaration facultative de juridiction obligatoire de la Cour. C’est justement pour cette raison que les E tats-Unis faisaient référence, au cours de leurs plaidoiries soutenues dans l’affaire LaGrand, au caractère coutumier de la protection diplomatique ainsi qu’à la distinction faite lors de l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci496. En réalité, à travers ces arguments, ils voulaient rappeler à la Cour qu’ils avaient renoncé à leur juridiction obligatoire et que de ce fait elle ne pouvait pas être compétente pour connaître de la protection diplomatique, ce mécanisme ayant un caractère simplement coutumier. Ce fait, ajouté au refus de leur part de reconnaître la compétence de la Cour au titre du Protocole de signature facultative, visait à restreindre la compétence de la Cour et l’empêcher de se prononcer sur la question de la protection diplomatique.

Il n’était pas certain, cependant, que la référence indiquée par les E tats-Unis dans l’affaire Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci puisse être considérée comme pertinente et il était néanmoins envisageable de penser que l’histoire allait se répéter une nouvelle fois pour les E tats-Unis.

Ainsi, la Cour affirme qu’elle « ne saurait retenir les objections formulées par les

494 C.I.J., Arrêt du 26 de novembre 1984, Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (compétence et recevabilité), Recueil 1984, pp. 424-425, §73 ;C.I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (fond), op.cit., pp. 83-93, § 174.

495 L’article 6 § 2 du Statut de la our précise que : « Les tats parties au présent Statut pourront, à n'importe quel moment, déclarer reconnaître comme obligatoire de plein droit et sans convention spéciale, à l égard de tout autre tat acceptant la même obligation, la juridiction de la Cour sur tous les différends d'ordre juridique ayant pour objet.»

a l'interprétation d'un traité;

b. tout point de droit international;

c. la réalité de tout fait qui, s'il était établi, constituerait la violation d'un engagement international;

d. la nature ou l'étendue de la réparation due pour la rupture d'un engagement international.

496 La Cour considère que « dans les domaines juridiques intéressant le présent différend, il [est]soit possible de soutenir que toutes les règles coutumières susceptibles d'être invoquées ont un contenu exactement identique à celui des règles figurant dans les conventions dont le jeu de la réserve des tats-Unis interdit l'applicabilité. Sur plusieurs points, les domaines réglementés par les deux sources de droit ne se recouvrent pas exactement et les règles substantielles qui les expriment n'ont pas un contenu identique. Mais de plus, alors même qu'une norme conventionnelle et une norme coutumière intéressant le présent litige auraient exactement le même contenu, la Cour ne verrait pas là une raison de considérer que l'intervention du processus conventionnel doive nécessairement faire perdre à la norme coutumière son applicabilité distincte. Et la réserve relative aux traités multilatéraux ne peut pas non plus être interprétée comme signifiant que, si elle s'applique à un différend déterminé, elle exclut la prise en considération de toute règle coutumière d'un contenu identique ou analogue à celui de la règle conventionnelle dont l'application a fait jouer la réserve ». C.I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci, (fond), op.cit., pp.83-94, §§ 174-175. Voir aussi, C.I.J., Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci (compétence et recevabilité), op.cit., pp. 424-425, §73.

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E tats-Unis. En effet, le différend qui oppose les Parties sur le point de savoir si les alinéas a) et c) du paragraphe 1 de l'article 36 de la convention de Vienne ont été violés en l'espèce du fait de la violation de l'alinéa b) a trait à l'interprétation et à l'application de la convention. Il en est de même du différend sur le point de savoir si l'alinéa b) crée des droits pour les particuliers et si l'Allemagne a qualité pour faire valoir ces droits au nom de ses ressortissants. Ces différends entrent par suite dans les prévisions de l'article premier du protocole de signature facultative. Par ailleurs, la Cour ne peut accepter la thèse des E tats-Unis selon laquelle la demande de l'Allemagne fondée sur les droits individuels des frères LaGrand ne relève pas de sa compétence, au motif que la protection diplomatique serait une notion de droit international coutumier. Cela ne fait pas obstacle à ce qu'un E tat partie à un traité qui crée des droits pour les individus puisse prendre fait et cause pour l'un de ses ressortissants et mette en mouvement l'action judiciaire internationale en faveur de ce ressortissant sur la base d'une clause attributive de compétence figurant dans un tel traité. La Cour en conclut qu'elle a dès lors compétence pour connaître dans son ensemble de la première conclusion de l'Allemagne»497.

Dans sa décision, la Cour affirme clairement que le différend qui oppose les parties entre dans les prévisions de l’article 1 du Protocole de signature facultative498. A partir de ce constat, elle semble affirmer que le Protocole de signature facultative est indifférent au fait que le différend trouve son origine dans la prétention d’un E tat à la réparation d’un dommage qu’il aurait subi lui immédiatement ou en la personne de ses ressortissants. En d’autres termes, il est indifférent au processus par lequel le différend interétatique qui est entré dans son champ d’application s’est constitué. La C.D.I. dans le commentaire de l’article 2 du Projet d’articles sur la protection diplomatique de 2006 va suivre la même logique en affirmant tout d’abord que : « c’est l’État qui engage et exerce la protection diplomatique; et que l’État est l’entité à laquelle le droit de formuler une réclamation appartient »499, puis, tout en restant neutre sur la question, elle va préciser que « ceci ne préjuge pas de la question de savoir quels droits l’État cherche à

497 C.I.J., LaGrand (fond), op.cit., p.482, §42.

498 Durant les procédures écrites et orales, les parties ne vont pas remettre en question l’existence même d’un différend qui permettra d’invoquer l’application du Protocole de signature facultative. e qui est plus étonnant encore c’est le fait que la our, dans sa décision, ne se prononce pas non plus sur l’existence dudit différend au sens de l’article 1 du Protocole de signature facultative. En outre, il semble qu’elle puisse inférer, de l’absence d’objection par une partie sur la validité d’une base de compétence au cours de la procédure, un consentement à celle-ci qui fonde sa juridiction. Voir, C.P.J.I., Usine de Chorzow (fond), op.cit., p. 4 et pp. 36- 8. D’autres auteurs se sont également prononcés sur cette question. Pour eux, il est possible d’avancer que la our était compétente car s’il n’ avait pas désaccord sur le caractère illicite des faits litigieux imputés aux tats-Unis, il y avait un désaccord sur les conséquences. Voir J. MATRINGE, « L’arrêt de la our Internationale de Justice dans l’affaire Lagrand Allemagne c. tats-Unis d’Amérique du 2 juin 2001» A.F.D.I., 2002, pp.220-221. Voir également, M. ADDO, “Interim Measures of protection for Rights under the Vienna onvention on onsular Relations”, E.J.I.L., 1999, pp.713-732.

499 Voir le commentaire de l’article 2, dans le Rapport de la C.D.I. de 2006, op.cit., p.29 §1.

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131 faire valoir, son droit propre ou les droits du national lésé au bénéfice duquel il agit »500.

En guise de conclusion, les décisions de la Cour dans les affaires LaGrand et Avena vont lui permettre de mettre en place une véritable action internationale qui recouvre incontestablement la défense des droits individuels des ressortissants. Il est important de souligner que ces droits ont pu être invoqués devant une juridiction internationale grâce à une articulation entre deux notions de droit international qui ont par essence un champ d’action différent.

En effet, la reconnaissance par la Cour de l’existence de droits individuels au titre d’une Convention de Vienne de 1963 a permis de mettre en œuvre l’exercice de la protection diplomatique pour défendre ces droits au niveau international.

§II. L’utilisation de procédures supplétives afin de garantir l’exécution des jugements de la Cour

Face au no respect des obligations contenues dans l’arrêt Avena et comme conséquence du retrait par les E tats Unis du Protocole facultatif sur les relations consulaires501, le Mexique va faire appel à la procédure interprétative comme seul moyen lui permettant de préserver ses droits. Toutefois, l’absence de clarté marquée par l’ambiguïté de sa demande va être à l’origine de fortes interrogations non seulement au regard de l’adoption des mesures