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L’engagement d’une protection classique de l’individu à travers

l’action en protection diplomatique

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Introduction

La question de la titularité des droits protégés dans le cadre de la protection diplomatique a longtemps été matière à controverses. D’un côté, il y a les partisans de la théorie classique d’un droit propre de l’E tat, pour eux l’exercice de la protection diplomatique en faveur du national lésé s’inscrirait dans une conception dualiste45. Dans ce cas de figure, les nationaux n’auraient qu’un rôle secondaire qui s’effacerait par le jeu de la fiction juridique à l’occasion de sa réclamation interne46. Puis de l’autre côté, les partisans des conceptions plus ouvertes faisant droit à l’idée selon laquelle la personne privée pourrait se voir reconnaître directement des droits sur le plan international47.

La progression de cette dernière conception, malgré une avancée peu linéaire et une intensité variable, a été notamment défendue depuis l’adoption de la Charte des N.U. et la consolidation des Instruments des droits de l’Homme. En effet, dès la fin des deux guerres mondiales, un constat peut être fait qui est celui d’une évolution manifeste des droits fondamentaux de la personne humaine. Ceci a eu un impact au niveau de l’évolution de la configuration juridique internationale, notamment dans le cadre de la protection diplomatique. Ainsi, la conception classique de l’affaire Mavrommatis48 a été remise en cause par un mouvement contestataire qui la considère comme une simple fiction dépourvue de toute pertinence de nos

45 Conformément à la position de D. ANZILOTTI qui a défendu avec force l’idée d’une assimilation de l’individu à un objet de la puissance de l’ tat, en protégeant ses nationaux « L’ tat protège son propre bien contre toute attente illégitime … », Voir de cet auteur « La responsabilité internationale des tats à raison des dommages soufferts par des étrangers», op.cit., pp. 8-9. R. QUADRI, défend l’idée selon laquelle, « Le cito en … devrait être assimilé aux droits réels … » voir de cet auteur

« Cours général de droit international public », op.cit., p.395. Selon cette conception, l’ tat était l’unique titulaire du droit lésé et par conséquent le seul sujet à qui on puisse attribuer cette capacité. Ainsi, conformément à la théorie du préjudice médiat, le préjudice subi par l’individu est en réalité un préjudice subi par l’ tat dont l’individu à la nationalité. A.KOLLIOPOULOS, La commission d’indemnisation des Nations Unis et le droit de la responsabilité internationale, Paris : L.G.D.J., 2001, p.341.

46 La conception classique met en scène l’ tat national en occultant la réclamation de l’individu qui en est à l’origine. Il est opposé ainsi le préjudice immédiat subi par l’ tat en tant que tel (son territoire et ses agents) au préjudice médiat qui le frappe au travers de ses ressortissants en territoire mettant en cause sa compétence personnelle. P. REUTER, s’était demandé dès 1 50, si une distinction était toujours pertinente à une époque ou les biens des nationaux étaient compatibles avec la richesse nationale de leur tat. Voir de cet auteur « Quelques remarques sur la situation juridique des particuliers en droit international public », in: P.REUTER, Le développement de l’ordre juridique international : écrits de droit international, Paris :Economica, 1995, pp.51-54.

47 G.SCELLE, Précis des droits des gens: principes et systématique, Paris : Sire , 1 2, p. 2. « … )les individus seuls sont sujets de droit en droit international public » ; N. POLITIS, Les nouvelles tendances du droit international public, Paris: Hachette, 1927, pp. 76-77. De manière plus modérée H.KELSEN pour qui « les sujets du droit international sont, comme ceux, du droit national, des individus ». Voir de cet auteur, « Théorie du droit international public », R.C.A.D.I., 1953-III, vol.84, p.85.

48 C.P.I.J., Concessions Mavrommatis en Palestine, op.cit., p. 12.

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jours. En effet, la protection diplomatique étant exercée par l’E tat à la suite d’une violation commise par un autre E tat aux droits de l’un de ses ressortissants, va être considérée comme présentant une certaine ambiguïté et cela notamment du fait que malgré l’endossement des droits de l’E tat, les droits reconnus aux ressortissants vont être bel et bien à l’origine de cette réclamation. George SCELLE ira jusqu’à qualifier la protection diplomatique de

« novation fictive (...) inconsistante et illusoire », et d’ajouter que : « [n]on seulement la personnalité fictive de l’État engloutit la personnalité réelle de l’individu, mais il résulte de cette prestidigitation que le sujet de droit originaire et effectif se trouve complètement éliminé, et le rapport juridique initial remplacé par un rapport politique »49.

En effet, les limites de la fiction juridique de l’affaire Mavrommatis50 s’inscrivent dans un cadre général de contestation politique, idéologique des règles classiques régissant la protection diplomatique. Suivant cette logique la doctrine latino-américaine, à travers la clause Calvo51, a considéré comme inadmissible le fait qu’un individu « titulaire de l’intérêt et du droit lésé »52 ne puisse renoncer de son plein gré à la protection de son État national. Mais le débat n’est pas resté au niveau théorique puisque les législations de certains pays sont allées jusqu’à faire de ladite clause l’une des conditions de la validité des contrats conclus avec les E tats étrangers53. En réalité, toute la controverse autour de la clause Calvo ramène à la question centrale du « caractère naissent vis-à-vis d’un autre tat dans le cadre de la protection diplomatique », C.I.J., Arrêt du 5 février 1970, Barcelona Traction, Light and Power Company, Limited (Belgique. Espagne), deuxième phase, Recueil 1970, p.32, § 33.

50 C.P.J.I.., Concessions Mavrommatis en Palestine op.cit., p. 12.

51 Du nom du juriste argentin C.CALVO (1824-1906), en vertu de cette clause, insérée dans un contrat généralement de concession, conclu entre un individu et un tat étranger, cet individu renonce expressément aux moyens de droit international qui sont traditionnellement mis à sa disposition.

Ainsi, le cocontractant s’engage à ne pas recourir à la protection diplomatique de son tat national concernant les différends directement nés de ce contrat. Voir la définition particulière de cette clause donnée par: D.R. SHEA, The Calvo Clause: A problem of Inter-American and International Law and Diplomacy, Minneapolis: University of Minnesota Press, 1955, 323p.

52 F. V. GARCIA AMADOR, Premier rapport sur la responsabilité internationale de l’ tat, op.cit., p. 194.

53 En relation à la pratique des tats, voir J. DUGARD, Troisième rapport additif sur la protection diplomatique, 2002, Doc. N.U., A/CN.4/523/ Add.1, pp. 8-9, §18.

54 A. PELLET, « La seconde mort d’Euripide Mavrommatis ? Notes sur le projet de la C.D.I. sur la protection diplomatique », in : Droit du pouvoir, pouvoir du droit : Mélanges offerts à Jean Salmon, Bruxelles : Bruylant, 2007, p.1364. Voir également, M. BENNOUNA, « La protection diplomatique un droit de l’ tat ? », in: Boutros Boutros –Ghali amicorum discipulorumque liber : paix, développement, démocratie, Bruxelles : Bruylant, 1998, pp. 245-246.

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17 diplomatique de nombreux abus ont été soulevés par l’E tat national, contestés par les E tats d’accueil. Le prétexte était fréquemment l’invocation de mauvais traitements sur les étrangers laissant exister une interprétation divergente concernant le standard minimum de protection.

Dès lors, il peut paraître naturel que les pays victimes de ces abus, se soient vus contraints de faire appel à certaines « parades » telles que la Doctrine Drago55 destinée à éliminer le recours à la force ou à la clause Calvo afin de défendre leurs intérêts56. La C.D.I. a tenu à rappeler tout de même que « la protection diplomatique n’était pas non plus discriminatoire en son essence. Elle l’était dans son exercice, parce que celui-ci était réserve aux Etas les plus puissants»57. A ce propos, le Premier rapporteur M. BENNOUNA dans son Rapport préliminaire sur la protection diplomatique explique que la conception classique est fondée largement sur une fiction juridique, en précisant que : « Si l’E tat national est censé réclamer, sur le plan international, le respect de son propre droit (…), celui-ci est souvent calqué sur le droit reconnu au ressortissant concerné sur le plan interne »58. Selon ce dernier, les conditions d’exercice de la protection diplomatique ont considérablement évolué « avec la revanche de la réalité au travers de l’effectivité »59. L’auteur est loin d’être le seul à avoir soutenu que la fiction n’était plus en adéquation avec la position contemporaine du droit international. Ainsi, selon J. CHAPPEZ, la conception classique de la protection diplomatique « comporte une part de fiction, l’E tat trouvant sa source dans la lésion commise à l’égard de son national, elle peut être totalement distincte de la réclamation privée ordinaire»60.

Au même titre, même si la C.D.I. dans le Projet d’articles sur la protection diplomatique de 2006, estime que la protection de l’individu reste un droit de

55 La doctrine DRAGO du nom du juriste Argentin L.M. DRAGO a donné lieu à la Convention Drago- Porter de 1 0 , suite notamment à la célèbre affaire de 1 02 concernant la dette véné uélienne envers les tats occidentaux du Ro aume Uni, Allemagne et Italie. L’emploi de la force qui a été à l’origine de cette affaire a été l’objet d’un mouvement de contestation sans précédent du continent latino-américain.

56 Dans l’affaire Barcelona Traction, la Cour estime que la renonciation à la protection diplomatique consentie par le bénéficiaire de celle-ci était inopposable à l’ tat protecteur. Voir, C.I.J., Arrêt du 24 juillet 1964, Barcelona Traction, Light and Power Compagny Limited, (Belgique c. Espagne), exceptions préliminaires, Recueil 1964, p.2 . Le projet d’articles sur la protection diplomatique de 2006 ne prend pas acte de la Clause Calvo et cela entre autre du fait de la contestation de la dernière n’avait aucune conséquence sur le droit souverain et discrétionnaire de l’ tat de nationalité de l’étranger. Voir en ce sens J. DUGARD,Troisième rapport sur la protection diplomatique, 2002, op.cit., p.2.

57 M. BENNOUNA, Rapport préliminaire sur la protection diplomatique, op.cit., p.2, §8.

58 Ibid., p.4, §21.

59 M. BENNOUNA, « La protection diplomatique un droit de l’ tat ? », op.cit., p.247.

60 J.CHAPPEZ, Protection diplomatique, J.C.L. droit international, op.cit., p.28.

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l’E tat et que l’individu lésé n’a pas un droit à la protection diplomatique, elle précise toutefois qu’ : « une telle fiction était nécessaire à un moment ou l’individu n’avait pas de place dans l’ordre juridique international et il n’y avait pas de droits, puisqu’elle offrait le seul moyen de protéger un national étranger »61. Suivant cette tendance, d’autres auteurs considèrent qu’il serait également possible d’envisager cette notion sous l’angle d’une contrainte juridique62 ou d’un artifice de technique juridique63.

Pour revenir à la question de la titularité du droit lésé, dans l’affaire Barcelona Traction, la Cour va considérer que : « il est donc capital de rechercher si les pertes qu’auraient subies des actionnaires belges de la Barcelona Traction ont pour cause la violation d’obligations dont ils étaient bénéficiaires. Autrement dit, un droit de la Belgique a-t-il été violé du fait que des droits appartenant à des ressortissants belges, actionnaires d’une société n’ayant pas la nationalité belge, auraient été enfreints? »64. De ce fait, la réclamation principale va se démarquer du droit reconnu aux ressortissants impliqués. Dans cette logique, comme le souligne la C.P.J.I. dans l’affaire Usine de Chorzow65, c’est le dommage infligé au ressortissant étranger qui va servir à apprécier la responsabilité de l’E tat hôte et à évaluer la réparation due à l’E tat national. En ce sens, la C.P.J.I. précise que : « La réparation due à un État ne change pas de nature par le fait qu’elle prend la forme d’une indemnité pour le montant de laquelle le dommage subi par le particulier fournira la mesure. Le dommage subi par le particulier n’est donc jamais identique en substance à celui que l’État subira : il ne peut que fournir une mesure convenable de la réparation due à l’État »66.

De ce fait, cette fiction juridique a permis durant longtemps de pallier l’absence d’identité entre les deux dommages ainsi que les éventuelles lacunes juridiques, tout en reconnaissant que le dommage subi par le particulier servirait à mesurer le second dommage et donc la réparation due à l’E tat national67. Pourtant, certaines évidences liées notamment à la conception même du mécanisme de protection diplomatique révèlent le caractère vraisemblablement dépassé de cette conception. Le Projet d’articles de la C.D.I.

sur la protection diplomatique, met en évidence tout d’abord l’idée selon laquelle le fait générateur du mécanisme en question constitue une atteinte à

61 Voir, le commentaire de l’article 1er dans le Rapport de la C.D.I. du 2006, op.cit., p.26, §4.

62 M. TROPER, V. CHAMPEIL-DESPLATS, C. GRZEGORCZYK (Dir.), Théories des contraintes juridiques, Bruxelles : Bruylant, Paris : L.G.D.J., 2005, p.12.

63 G.CORNU, Vocabulaire Juridique, 7° édition, Paris : P.U.F., 2005, p.402. Voir également J.SALMON (Dir.),Dictionnaire de droit international public, op.cit., p.503.

64 C.I.J., Barcelona Traction (deuxième phase), op.cit., pp. 32-33.

65 C.P.J.I., Arrêt du 13 septembre 1928, Usine de Chorzow (Allemagne c. Pologne) fond, série A, No 17, 1928, p. 28.

66 Ibid.

67 Dans la doctrine récente, voir A.VERMEER-KUNZLI, « As if : The Legal Fiction in Diplomatic Protection », E.J.I.L., 2007, pp.37-68.

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19 un droit de la personne privée protégée68. Dans cette logique, l’E tat ne peut intervenir qu’une fois que la personne protégée aura épuisé les voies de recours et seulement si cette dernière garde toujours la même nationalité69. Ainsi, le dommage subi par la personne privée servirait de « baromètre » pour juger de la réparation qui serait octroyée au titre de la protection raisonnement de la Cour au regard de la protection diplomatique dans l’affaire LaGrand a été confirmé par la suite dans l’affaire Avena73 et élargie encore davantage dans l’affaire Ahmadou Sadio Diallo74, faisant de l’individu un destinataire direct des droits internationaux et un sujet de protection des droits fondamentaux.

Pour mieux comprendre cette évolution il s’agit tout d’abord, à travers un chapitre préliminaire, d’introduire de manière succincte la façon dont la Cour envisage l’action en protection diplomatique afin de mieux étayer son lésé dans les h pothèses de responsabilité o s’applique le principe [de la protection diplomatique est avant tout celui de l’individu ou du particulier et non celui de l’ tat ». Voir cette citation dans M.

BENNOUNA, Rapport préliminaire sur la protection diplomatique de 1998, op.cit., p.6. Voir du même auteur « La protection diplomatique un droit de l’ tat ? », op.cit., p. 249. Le raisonnement ainsi que la reconnaissance au bénéfice de l’individu d’une certaine personnalité juridique internationale, amènent à s’interroger sur la pertinence à l’heure actuelle de la conception classique de la protection diplomatique.

71 C.I.J., Arrêt du 27 juin 2001, LaGrand Allemagne c. tats Unis), Fond, Recueil 2001, p. 494, §77.

72 Selon, Ch.DOMINICE, si l’individu n’est pas entièrement un sujet de droit international il est « peut-être personnellement titulaire des droits subjectifs institués par une règle relevant de l’ordre juridique international». Voir, Ch. DOMINICE, « L’émergence de l’individu en droit international public » in : J.BELHUMEUR, L.CONDORELLI (dir.), L’ordre juridique international entre tradition et innovation, P.U.F., Paris, 1 , p.118. La décision rendue par la .P.J.I. en 1 28 dans l’affaire sur la Compétence des tribunaux de Dantzig a été très souvent avancée pour justifier la thèse selon laquelle l’individu serait destinataire des droits d’origine internationale. Dans cette décision la .P.J.I. considère qu’: « on ne saurait contester que l’objet même d’un accord international, dans l’intention de parties contractantes, puisse être l’adoption, par les Parties, de règles déterminées, créant des droits et des obligations pour les individus et susceptibles d’être appliquées par les Tribunaux nationaux ».Voir, C.P.J.I., Compétence des tribunaux de Dantzig, op.cit. Cependant, cette solution a été interprétée de manière très optimiste et ne constitue en réalité qu’une illustration mesurée et limitée d’une éventuelle émergence précoce des droits individuels. Voir, l’approche critique avancée par S.TOUZE, La protection des droits des nationaux à l’étranger : recherches sur la protection diplomatique, Paris, Pedone, 2007, pp.59-63.

73 C.I.J., Arrêt du 31 mars 2004, Avena et autres ressotissants mexicains Mexique c. tats Unis), [Ci-après Avena], Recueil 2004,, p.36, §40.

74 C.I.J., Arrêt du 24 mai 2007 Ahmadou Sadio Diallo (République de Guinée c. R.D.C) exceptions préliminaires,Recueil 2007, p.599, §39.

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raisonnement. En effet, l’approche suivie par la Cour prône le caractère discrétionnaire de l’action en protection diplomatique. Autrement dit pour le maintien des conditions d’exercice traditionnel de cette action, à savoir l’épuisement des voies de recours internes ainsi que la condition de nationalité, conditions assouplies seulement dans les cas des actions directes des Etas, actions dites moins contraignantes.

Ensuite, dans un premier chapitre, il s’agira de mettre en valeur la reconnaissance de droits inhérents à l’individu dans le cadre d’une action en protection diplomatique. Si la Cour mantient une vision restreinte concernant l’engagement de l’action en protection diplomatique, sa dernière jurisprudence fait preuve de plus de souplesse quant à son champ d’application.

Enfin, dans un deuxième chapitre, la démarche de la Cour sera mise en évidence comme faissant partie d’un mouvement global d’ouverture qui laisse entrevoir une évolution au niveau de la conception du mécanisme de protection diplomatique, allant de l’opposabilité des droits individuels à la défense des droits de l’Homme.