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Un examen implicite des droits des requérants justifié par la nature des droits sauvegardés

Lors de la demande d’ordonnance en indication de mesures conservatoires, la Cour aurait pu également se prononcer sur l’examen prima facie des droits des requérants, c'est-à-dire s’attarder à démontrer l’existence éventuelle de droits.

Bien que cette question soit toujours en suspens, il ressort dans certains cas tant de la jurisprudence de la Cour que de celle de sa devancière, que ces deux juridictions ne s’estiment pas liées par la seule affirmation des requérants quant à l’existence de ces droits. En effet, dans certaines situations, ces deux juridictions se sont montrées particulièrement soucieuses d'obtenir une confirmation effective de l’existence éventuelle des droits revendiqués, tout en tenant compte de la nature et des circonstances de chaque cas espèce285.

Ainsi, lors des séances publiques et des plaidoiries relatives à la demande norvégienne en indication de mesures conservatoires dans l'affaire du Statut juridique du territoire du sud-est du Groenland286, malgré le fait que le Juge M.

ADATCI, Président de la C.P.J.I. de l’époque, avait pris le soin d’indiquer aux parties qu'il ne fallait pas empiéter sur le fond dans l'argumentation sur les mesures conservatoires287, la C.P.J.I. dans son ordonnance va toutefois

constitue en substance une tentative du Mexique visant à sauver la vie de ses ressortissants condamnés à mort par des juridictions internes des tats-Unis. Cette instance porte en effet sur les droits de l'homme, plus particulièrement les droits de ressortissants mexicains condamnés à la peine capitale, mais il n'y a pas de différend quant à l'interprétation ou à l'application de la convention de Vienne ».

285 C.I.J., Essais Nucléaires (Australie c. France) mesures conservatoires, op.cit., p.101, §13 et p.102,

§17; C.I.J., Essais Nucléaires (Nouvelle Zélande c. France) mesures conservatoires, op.cit., p.137,

§14 et p.138, §18 ; C.I.J., Ordonnance du 15 décembre 1979, Personnel diplomatique et consulaire des tats-Unis à éhéran tats-Unis C. Iran), mesures conservatoires, Recueil 1979, p.13, §15 et p.14, §§18-20 ; C.I.J., Sentence arbitrale du 31 juillet 1989 (Guinée-Bissau c. Sénégal),op.cit., p.

68-69, §§ 20 et 22.

286 Voir, Séances publiques et plaidoiries relatives à la demande norvégienne en indication de mesures conservatoires dans C.P.J.I., Ordonnances du 2 et 3 août 1932, Statut juridique du sud-est du Groenland, Recueil Série C n° 69.

287 Ibid., pp. 32 et 48.

La Cour internationale de justice et la protection de l’individu

La Cour, quant à elle, va suivre une conduite plutôt variable. Ainsi, dans plusieurs affaires, elle va aborder quelques aspects juridiques de la procédure au fond, en faisant un examen provisoire de l’affaire289. Par exemple, dans un contexte plus au moins similaire à celui des quatre affaires en question, lors de l’affaire relatif au Personnel diplomatique et consulaire des E tats-Unis à Téhéran290, la Cour, a tenu à rappeler l’importance de l’existence d’un lien substantiel entre la demande de mesures conservatoires et l’examen au fond de l’affaire.

En ce sens, malgré le fait que les E tats- Unis aient contesté dans leur Mémoire l’argument de l’Iran qui voyait dans la demande de ces derniers un examen préliminaire de la part de la Cour impliquant la substance même de l’affaire291, cette dernière a toutefois déclarée qu’«une demande en indication de mesures conservatoires a nécessairement, par sa nature même, un lien avec la substance de l'affaire puisque, comme 1'article 41 l'indique expressément, son objet est de protéger le droit de chacun (...) »292.

En effet, lors de l'examen sur la pertinence des mesures conservatoires, il existe toujours un risque de pré-jugement sur le fond. Néanmoins, il est

288 C.P.J.I., Ordonnance du 3 aout 1932, Statut juridique du territoire du Sud-est du Groenland, (Norvège c. Danemark) mesures conservatoires, Recueil Série A/B n°48, p.282.

289 C.I.J., Ordonnance du 5 juillet 1951, Anglo-Iranian Oi1 Company ( Royaume uni c. Iran) mesures conservatoires, Recueil 1951, pp. 92-93 ; C.I.J., Ordonnance du 17 août 1972, Compétence en matière de pêcheries, (Royaume Uni c. Islande) mesures conservatoires, Recueil 1972, p.15, §15;

C.I.J., Ordonnance du 17 août 1972, Compétence en matière de pêcheries,(R.F.A. c. Islande), mesures conservatoires, p. 33, §16. Voir également, M. H. MENDELSON, «Interim Measures of Protection in Cases of Contested Jurisdiction», B.Y.B.I.L.,1972-1973, p.316. Le Juge SHAHABUDDEN, dans son opinion individuelle jointe consécutive à la demande d’ordonnance de mesures conservatoires dans l’affaire du Passage par le Grand Belt (Finlande c. Danemark), affirme qu’un autre exemple de cette démarche peut être recherché dans l'affaire des Essais nucléaires (Australie c. France), dont « M. Ellicott, Q.C., Solicitor-General d'Australie, fit ce qu'il décrivit lui-même comme un «bref exposé général du droit applicable, sur le fond, à la demande de 1'Australie » (C.I.J. Mémoires, Essais nucléaires, vol.1, p 189». Voir, son opinion individuelle dans C.I.J.

ordonnance du 29 juillet 1991, Passage par le Grand Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, Recueil 1991, p. 32. En effet, le Conseil de l'Australie s'efforçait de combattre la position française jusqu'à démontrer que l'Australie avait bel et bien une position défendable sur le fond. Suivant cette logique le JugeSHAHABUDDEN considère qu’ : « [il] est difficile d'imaginer que les arguments présentés à cet effet par le conseil n'aient pas été présents à l'esprit de la Cour lorsqu'elle adopta la déclaration citée plus haut et indiqua des mesures conservatoires qui touchaient un important programme de la France ». Ibid., 33.

290 C.I.J., Personnel diplomatique et consulaire des tats-Unis à éhéran tats-Unis c. Iran), mesures conservatoires, op.cit.

291 Ibid., p.11, §4.

292 Ibid., p.16, § 28.

L’engagement d’une protection classique de l’individu à travers l’action en protection diplomatique

75 important de relever que ce que la Cour examine à ce stade n'est pas tant la question de savoir si le droit à sauvegarder existe effectivement, mais si 1'E tat requérant a démontré une quelconque possibilité de son existence293. Cela étant, lorsqu'elle examine si elle a, prima facie, compétence pour connaître d’une affaire sur le fond, la Cour ne se demande pas si elle a le pouvoir d'indiquer des mesures conservatoires (ce pouvoir reposant sur une autre base), mais elle se demande plutôt si l'affaire se prête bien à l'exercice de ce pouvoir.

En d'autres termes, la question de savoir si la compétence au fond existe prima facie se rapporte aux «circonstances » de l'article 41 de son Statut. Ainsi, même s’il est bien établi le fait que la Cour ne se prononce pas au stade des mesures conservatoires sur le bien fondé des droits revendiqués, il semblerait néanmoins qu’elle tiendrait compte de l’existence des « droits apparents ». Le Juge ABRAHAM, Directeur à l’époque des affaires juridiques du Ministère des Affaires Etrangères français, se réfère quant à lui aux droits apparents comme étant une branche faisant partie d’une catégorie intermédiaire entre « les droits établis qui sont clairement démontrés [et] les droits revendiqués qui peuvent être parfaitement illusoires »294.

En l’espèce, lors de la demande en indication de mesures conservatoires dans les affaires Breard, LaGrand et Avena295, l’essentiel des réclamations se fondait sur la privation par les E tats Unis des droits à l’assistance consulaire.

En ce sens, tant le Paraguay, l’Allemagne que le Mexique, soutenaient qu'en méconnaissant leurs obligations aux termes des articles 5 et 36 de la Convention sur les relations consulaires, les E tats-Unis les avaient empêchés d'exercer leur fonction consulaire prévue par cette Convention et tout spécialement celle d'assurer la protection de leurs intérêts et de ceux de leurs ressortissants296. Les E tats Unis reconnaissaient par ailleurs qu’ils avaient méconnu leurs obligations internationales, ce qui facilitait en quelque sorte le travail de la Cour, car il n’y avait pas une contestation des droits en question ce qui permettait de générer une présomption de leur existence.

293 Le Juge SHAHABUDDEN,considère, quant à lui, qu’il faut reconnaître prima facie le bien fondé de la thèse du requérant et donc « une quelconque possibilité de l’existence » du droit dont on entend obtenir la protection. Voir, son opinion individuelle dans C.I.J., Passage par le Grand Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, op.cit., p.30.

294 Voir l’exposé du Juge ABRAHAM lors du débat sur les mesures conservatoires lors de la journée d’études du 18 mai 2000, dans J.M.SOREL,F.POIRAT,Les Procédures incidentes devant la Cour internationale de Justice: exercice ou abus de droits?, op.cit., p.83.

295 En revanche, lors de l’ordonnance en indication de mesures conservatoires dans la Demande d’interprétation de l’affaire Avena, les droits des parties avaient été déjà reconnus dans l’arrêt sur le fond, il s’agissait en l’espèce simplement de respecter les obligations retenues lors de la décision finale. En l’espèce, le non-accomplissement de ces obligations, notamment le non-respect de l’examen et de la révision de certaines de condamnations risquait d’entraver la procédure et d’entrainer un préjudice irréparable aux droits en question.

296 C.I.J., Breard, (mesures conservatoires), op.cit., p.250, §4 ; C.I.J., LaGrand (mesures conservatoires), op.cit., p.14, § 16; C.I.J., Avena,(mesures conservatoires), op.cit., pp.79, §7.

La Cour internationale de justice et la protection de l’individu

Les travaux de la Conférence des N.U. au sujet de la Convention sur les relations consulaires, sont venus conforter cet avis car au regard de ses séances de travail, il s’avère que les E tats avaient reconnu clairement parmi les fonctions consulaires, le droit à la protection des ressortissants de l’E tat d’envoi envers l’E tat de résidence297. A la lumière de cette affirmation, il résultait que l’existence du droit à l’assistance consulaire dont le Paraguay, l’Allemagne et le Mexique se prévalaient, était pour le moins bien établi ou vraisemblablement très apparent298. Toutefois, comme le relève E.ROBERT,la Cour aurait pu être amenée à s’interroger sur le point de savoir si les éléments de preuve présentés par les parties étaient suffisants pour fonder l’indication de mesures conservatoires299. A ce propos, le Juge SHAHABUDDEN considère que : « indiquer des mesures conservatoires sans obliger 1'E tat requérant à démontrer qu'il existe un fondement défendable à l'existence du droit qu'il cherche à protéger semblerait difficile à concilier avec le caractère exceptionnel de cette procédure »300.

En ce sens, si l’existence d’un fondement défendable ne doit pas impliquer un examen substantiel des droits en question au moment de l’indication des mesures conservatoires, force est de constater que dans les affaires Breard, Lagrand et Avena, la Cour avait laissé entendre que les parties avaient suffisamment établi ou apparemment démontré l’existence des droits en question. Il semblerait d’ailleurs, que c’est notamment sur la base de ce constat qu’elle n’aurait pas jugé nécessaire de se prononcer davantage sur l’accomplissement de cette condition301. Toujours est-il que l’urgence de la procédure et les considérations humaines ont également joué un rôle prépondérant dans le traitement des requêtes. En ce sens, il est important de souligner que tant dans les affaires Breard, LaGrand, Avena que lors de la Demande d’interprétation de l’affaire Avena, les ordonnances en indication de mesures conservatoires tenaient tout particulièrement compte de la date imminente d’exécution des ressortissants en question302.

Ainsi, l’examen prima facie du bien fondé des droits des requérants pourrait être interprété comme faisant partie d’un examen implicite qui ne se révèlerait

297 Pour une analyse des points essentiels traités lors de la Conférence, voir S. TORRES-BERNARDEZ, « La convention de Vienne sur les relations consulaires (La conférence des Nations Unis sur les relations consulaires) », A.F.D.I., 1963, p.85 et pp100-101.

298 J.M.SOREL,F.POIRAT,Les Procédures incidentes devant la Cour internationale de Justice : exercice ou abus de droits?, op.cit., p.83.

299 E.ROBERT, « La protection consulaire des nationaux en péril ? Les ordonnances en indication de mesures conservatoires rendues par la Cour internationale de Justice dans les affaires Breard Paragua c. tats –Unis) et LaGrand Allemagne c. tats-Unis)» R.B.D.I., 1998, p. 430.

300 Voir, son opinion individuelle dans C.I.J., Passage par le Grand Belt (Finlande c. Danemark), mesures conservatoires, op.cit., p.29.

301 C.I.J., Breard, (mesures conservatoires), op.cit., p.257, §35; C.I.J., LaGrand (mesures conservatoires),op.cit., p. 14-15, §22; C.I.J., Avena, (mesures conservatoires), op.cit., p. 89 §49.

302 Ibid., Breard, p.257, §37 ; ibid., LaGrand, p.13, §12 et p.14, §21 ; ibid., Avena, pp.90-91, §54 ; C.I.J., Demande d’interprétation de l’affaire Avena, (mesures conservatoires), op.cit., p.330, §72.

L’engagement d’une protection classique de l’individu à travers l’action en protection diplomatique

77 pas nécessaire lorsque serait en cause la sauvegarde des droits incontestables de nature irréversible tels que le droit à la vie. A cet égard, la Cour, dans son ordonnance en indication de mesures conservatoires rendue dans l’affaire sur l’Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale303, relève le fait que même si elle n’est pas habilitée à se prononcer sur la violation des droits en question, « les droits en cause, (…), sont de nature telle que le préjudice qui leur serait porté pourrait être irréparable » 304. Il résulte ainsi, que les ordonnances de la Cour dans les affaires Breard, LaGrand, Avena et lors de la Demande d’interprétation de cette dernière semblent s’inscrire dans une logique de préservation des droits fondamentaux. De ce fait, toute contestation des droits détenus par les demandeurs, semblerait entrer en conflit avec un intérêt supérieur, lié notamment au respect des droits fondamentaux tels que le droit à la vie. Face à de tels arguments, une reconnaissance implicite des droits des requérants s’avère pleinement satisfaisante. Ainsi, face à de telles présomptions, il s’avère tout à fait pertinent au regard des circonstances de l’espèce, d’aborder uniquement l’étendue des droits et obligations résultant de l’article 36 §1 b) de la Convention sur les relations consulaires lors de l’examen de fond. En effet, au moment de la prescription des mesures conservatoires, il s’agissait notamment de faire une appréciation bienveillante des circonstances exceptionnelles et du risque de pertes en vies humaines.

§II. L’examen des conditions de prescription des mesures conservatoires : une appréciation bienveillante des circonstances exceptionnelles et du risque de pertes en vies humaines

Lors de la demande d’indication de mesures conservatoires des affaires Breard, LaGrand, Avena et dans la Demande d’interprétation de ce dernier, la Cour a fondé son raisonnement tant sur la question centrale de l’urgence de la situation face à des exécutions imminentes (A) que sur la nécessité d’éviter qu’un éventuel préjudice irréparable ne se produise, par le dépassement d’une dimension strictement interétatique (B).

303 C.I.J., Ordonnance du 15 octobre 2008, Application de la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), mesures conservatoires, Recueil 2008, 399p.

304 Ibid., p.396, §142.

La Cour internationale de justice et la protection de l’individu

A) L’appréciation de l’urgence de la situation : un examen