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PARTIE 3 – VALIDATION DU MODELE EQUILIBRE DE PERFORMANCE :

3.2 Les retours d’expérience

3.2.2 Deuxième retour d’expérience : à propos de la situation de crise

3.2.2.1 Les mythes en situation de crise

Face à l’annonce de nouvelles traumatisantes, un certain nombre de comportements et d’attitudes peuvent émerger. Ils illustrent souvent une difficulté à voir le réel, à le vivre, à l’affronter et expriment également un doute dans la capacité à le dépasser voire même parfois, ils portent inconsciemment la « peur croyance » de la condamnation et de la fin.

Nous n’allons pas ici reprendre toutes les étapes qui caractérisent les attitudes et comportements des individus face au changement et à la crise mais nous allons illustrer et montrer le lien entre ces différentes étapes et les mythes.

Ces derniers fonctionnent par le biais des croyances et inhibent l’action car ils ralentissent l’adaptation à la crise. Plus la prise de conscience et l’acceptation sont tardives, moins l’action corrective à court terme peut être menée et plus la stratégie moyen et long terme est difficile à définir et à partager avec les acteurs concernés. Le management de la crise s’en trouve gravement compromis.

Nous allons présenter ci-dessous un certain nombre de mythes protecteurs que nous avons rencontrés lors de l’expérience d’accompagnement de site confronté à une problématique de changement brutal et menaçant. Consciemment ou inconsciemment, ce site (dirigeants, acteurs sociaux, salariés…) a activé des défenses qu’il a renforcées par des références à des mythes soit fondateurs soit crées et forgés dans le moment pour faire face à de fortes déstabilisations.

Dans ce cas, ce qui est en jeu, c’est :

- la capacité à voir le réel, à l’accepter et pour ce faire, le comprendre,

- donc rechercher, identifier et partager les causes profondes en visant l’appropriation collective dans un temps sociologique commun le plus court possible pour toutes les typologies d’acteur,

- puis sur cette base, penser et réfléchir une stratégie court, moyen et long terme de gestion et management de crise, et la déployer.

Nous avons identifié quelques mythes qui ont pesé dans l’histoire du déroulement de la crise du site D. Rappelons que ce vécu est naturel, toutes les entreprises peuvent y être confrontées.

Le savoir et l’identifier permet de mieux le gérer et de le prendre en compte mais il n’existe pas de « vaccin » qui puisse s’en préserver.

1. Notre taille nous protège et notre passé est notre garantie

Ces deux mythes forgent une croyance qui flirte avec l’immortalité et l’invulnérabilité. La croyance agit comme un vaccin tout puissant pluri-spectral total et intemporel. Les racines psychologiques sont liées à un ancrage dans le passé et dont le lien est clair avec le rôle symbolique joué par les parents. Les racines sont aussi culturelles puisque par exemple pour une entreprise comme EDF, le « formidable » passé de l’entreprise, s’il est fédérateur, agit aussi comme un totem qui protège les acteurs.

Dans le cadre de la crise, ces défenses sont puissamment activées dans les étapes de sidération, de déni, et de révolte. Le verbatim recensé à ce moment là est le suivant : « ce n’est pas possible…, pas vrai…, pas juste…, pas mérité…., ».

L’organisation ou les individus espèrent se « réveiller » de ce « cauchemar », c’est le cas pour la direction, le management, le site voire même pour l’organisation elle-même. Cette typologie de croyances et de mythes induit et conduit à l’inertie, à la non-action. La sidération est d’autant plus grande et sa durée plus importante.

2. Les entreprises excellentes n’ont pas de crise

Cette défense agit sur les mêmes étapes que les deux mythes précédents. Ce qui est activé ici c’est la croyance que l’excellence protège de tout, qu’être premier préserve de la chute ou de la « glissade ». De plus, cette croyance en implique une autre, c’est de penser qu’avoir atteint l’excellence protège parce qu’on ne « mérite pas » de chuter…alors que les « mauvais » eux le « méritent » plus. Les entreprises excellentes qui ont été confrontées à la crise expriment souvent le verbatim suivant :

- avant la crise « ça ne peut pas nous arriver…à nous »,

- et quant la crise survient « ce n’est pas possible que cela nous arrive à nous…qu’a t- on fait pour mériter cela… »

Cette dernière question renvoie d’ailleurs à la culpabilité judéo-chrétienne qui renforce elle aussi la tétanie, la sidération et l’incapacité à agir.

Pour les entreprises excellentes, la crise est toujours difficile car elles n’ont pas été « musclées », éprouvées par l’épreuve puisqu’elles n’ont expérimenté, vécu que des périodes succès. Or en terme de performance, s’il existe bien une dynamique de la victoire, il est connu

et bien admis qu’il est très difficile de se maintenir au plus haut niveau. A côté de la dynamique de la victoire, il existe une spirale de la défaite qui peut emporter l’entreprise très vite. Sur le site D, cette défense a été activée autour de la question « comment est-il possible qu’on en soit arrivé là ? » Souvent cette question précède une autre défense, celle du bouc émissaire, caractérisée par l’interrogation « qui est responsable ? »

De plus, une des défenses mobilisées est souvent une réaction de l’organisation qui s’érige en citadelle et mobilise un véritable esprit de forteresse. On ne veut pas voir les signaux faibles, on se coupe de l’externe, on nie le réel et au mieux on recherche le bouc émissaire tout en chargeant de tous les maux le révélateur de la crise. Si c’est la presse, elle cherche à vendre du papier, mais cela peut être aussi l’Etat via le gouvernement qui abandonne le nucléaire aux lobbies ou, la direction qui veut faire pression sur les agents et les Organisations Syndicales. En prendre conscience et entamer un travail de deuil, c’est aussi intégrer l’irrationnel de façon à pouvoir affronter le réel.

Enfin, ce mythe bloque également l’accession à la compréhension que la crise, et c’est notre point de vue épistémologique, est aussi une opportunité de progrès. De la souffrance, de l’épreuve, naît souvent la maturité et c’est aussi ainsi que se construit l’excellence.

3. Les crises n’arrivent qu’aux autres

Cette défense est souvent activée en amont de la phase d’impact. Elle fait partie du corpus de croyances.

Elle sonne comme pour dire « cela ne nous arrivera pas… , pas à nous », elle exprime aussi quelque chose de plus difficile, inconsciemment : « pourvu que ça n’arrive qu’aux autres … », personne ne veut voir sur sa tête l’épée de Damoclès…

Comme si, le fait que telle ou telle unité soit en crise puisse protéger les autres. L’adage populaire dit bien « la foudre ne retombe jamais au même endroit ». Nous ne sommes pas compétents pour discuter cet adage scientifiquement mais par contre les sciences humaines et notre expérience nous ont montré que cette croyance n’offre qu’une piètre protection.

L’entreprise peut être « victime » de mécanismes psychosociologiques qui ne sont pas sans conséquences et sans effets :

- « de toute façon, ils l’ont mérité, ….je ne suis pas étonné » et ce discours est toujours suivi de « cela ne nous arrive pas à nous ! »

- un phénomène d’exclusion comme si certaines entreprises, certains sites étaient « contaminants », ce qui rend bien sûr difficile l’aide, le soutien voire à terme le renouvellement des compétences.

4. Chaque crise est tellement unique, qu’il est impossible de s’y préparer

On entend souvent dire que chaque crise est tellement unique qu’il est impossible de s’y préparer. Pourtant, aujourd’hui, on peut mettre en place des structures en prévision du « pire ».

La structure de l’entreprise, son cloisonnement, la présence de responsables en poste depuis plusieurs années ou a contrario un nouveau management, la centralisation des décisions autour du dirigeant, la perte de lien avec le terrain peuvent être des indicateurs somme toute classiques d’une organisation statique, figée et donc très inflexible et peu adaptable aux ruptures brutales. Dans cette typologie, « on » ne se prépare pas…parce que cela ne peut pas « nous » arriver.

Cette croyance, selon laquelle il est impossible de se préparer à une crise, pèse sur l’anticipation, la préparation, la simulation des crises. Elle peut être activée par des gens qui en ont vécue et véhiculée par les gens qui ne l’ont pas vécue. Pour ces derniers, c’est la meilleure excuse pour ne rien faire. Pour ceux qui l’ont vécue, la complexité, son intensité, son déroulement, donnent parfois le sentiment qu’elle est unique, que l’expérience est incommunicable, et par conséquent, on ne peut pas en tirer un retour d’exploitation ni faire du partage d’expérience.

On entend souvent dire de toute façon, « il faut y être pour comprendre ». Ce qui renvoie à « les autres ne peuvent pas comprendre », qui exprime une limite à l’apprentissage.

Il nous paraît donc nécessaire que l’organisation et que les dirigeants en aient conscience pour que ce type d’organisation soit bien apprenante, ce qui implique notamment d’écrire l’histoire.

L’organisation apprenante implique également d’assurer une continuité de projet à travers une continuité d’équipe dirigeante tout en dosant le « sang » neuf et, bien sûr, de formaliser le REX.

5. La plupart des crises se résolvent d’elles-mêmes, le temps est notre meilleur allié

La croyance, ici mobilisée, renvoie au mythe que l’organisme verra ses propres anti-corps vaincre le virus ou le microbe. Or, la notion même de crise caractérise un épuisement et un certain échec de l’organisme qui s’exprime par les signaux faibles puis par les signaux forts qui révèlent la crise.

Habituellement, le management opérationnel suffit à corriger les excès de fièvre, les courbatures, les maux de tête… Parfois, il n’y parvient pas et il faut mobiliser d’autres énergies : c’est le propre de la crise, jamais elle ne se résout d’elle-même.

Cette croyance est activée dans la phase d’émergence de la crise et agit comme un mythe car quand elle voit les signaux faibles, elle conduit à penser qu’ils vont se solutionner tout seul « naturellement ». Elle agit en filtre et retarde la prise de conscience de la crise, de son périmètre, de sa surface ou de son acuité.

Pourtant la crise n’attend pas. Elle s’amplifie, se complexifie et contamine des sphères qu’elle n’aurait jamais du atteindre si l’entreprise avait conservé une lucidité sur le déclenchement des évènements. Il est très fréquemment observable que les entreprises se lancent à la recherche de « bouc émissaire », « ce qui nous arrive n’est pas possible, il y a forcément un responsable ! ». Le but, plutôt que d’agir sera donc de trouver ce « bouc émissaire » afin de se rassurer.

Dans d’autres cas, nous avons rencontré des typologies d’entreprise où l’acceptation de la crise est purement de façade. Cela implique parfois que l’on attend que les choses se règlent d’elles-mêmes, que tout rentre dans l’ordre « naturellement ». Plus grave, la crise étant révélée, on l’accepte de façade mais sur le fond « on » n’est pas d’accord sur les causes profondes, « on » ne voit pas les mêmes voire, « on » ne partage pas la stratégie de sortie de crise.

Dans toutes ces typologies, le facteur temps est toujours à prendre en compte, le plus souvent il est amplificateur au niveau des conséquences, des effets de la gravité de la crise mais il est également dans certaines phases un incontournable parfois incompressible. Dans les étapes naturelles d’adaptation au changement, aller trop vite ou vouloir aller trop vite, c’est faire le « saut de tarzan ».

6. La plupart des crises ont une solution unique

Cette croyance renvoie au mythe de la « gamme miracle » universelle. Il n’y a pas de pierre philosophale ni d’élixir de vie.

La crise renvoie au complexe et à la complexité dans sa nature, sa révélation, son acceptation et son traitement. Quant elle agit sur un terrain lui-même complexe, du nucléaire, on saisit aisément la difficulté et les limites du « y-a-qu’à faut qu’on ».

Pour autant, s’il n’y a pas de solution unique, des enseignements et des leçons peuvent être retirés, des principes appliqués et, surtout, une connaissance et une compréhension des freins et des résistances, activées avant et pendant la crise, qu’il faut arriver à dépasser.

Enfin, ce mythe entraîne des réactions du type du « bunker » alors que la crise exige des capacités de réplique collectives puissantes et cohérentes, courageuses et innovantes. Dans le bunker, concept développé par le psychosociologue américain Ian Janis un groupe de personnes d’une même culture, soumises à forte pression en arrive à développer des attitudes impliquant l’illusion d’invulnérabilité et une foi sans borne et indiscutable dans ses décisions. Cela entraîne des actions très binaires en tout ou rien et bloque aussi l’action constructive.

7. La chose la plus importante en situation de crise est de s’assurer la restauration de notre image.

L’exposition médiatique accélérée de ces deux dernières décennies amène les dirigeants et les organisations à intégrer dans leur univers la donne médiatique. Beaucoup de crises ont montré les ravages d’une mauvaise gestion de la communication sur laquelle nous reviendrons plus en détail dans la sous-partie « prendre en compte le rôle des médias ».

Pour autant s’il est essentiel, primordial et indispensable de bien gérer la donne médiatique, elle ne doit pas occulter les efforts à déployer en interne pour :

- arrêter à court terme l’effet d’avalanche et limiter l’incidence, les effets et les conséquences,

- à moyen, long terme, en terme de management de crise, définir une stratégie de redressement durable.

Dans les deux cas, l’effet est direct sur la sphère médiatique et la restauration de l’image, quand elle est acquise, n’est qu’une victoire temporaire fortement affectée par les évènements qui suivent.

Ces deux types d’actions, pouvant être concomitants, doivent être menés en parallèle et surtout pas en série. Cela implique du dirigeant une disponibilité, un recul, un sens stratégique, une vision mais aussi un centrage sur l’opérationnel et l’intégration permanente de l’externe. C’est une véritable épreuve de force, difficile et galvanisante quand on en sort vainqueur.