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2. Les évolutions du système de santé

2.1. Mutations du concept de santé : progrès et nouvelles fragilités

(i) Les maladies chroniques, un nouveau paradigme pour notre système de santé

Les maladies dites « chroniques », sont fréquentes - elles affectent en France environ 15 millions de personnes, soit 20 % de la population, dont 9 millions sont déclarées en affections de longue durée (ALD). Le nombre de maladies chroniques et de patients atteints est en augmentation constante, conséquence de l’allongement de la durée de vie, de l’efficacité des traitements (VIH, cancers, maladies cardio-vasculaires), mais aussi de multiples facteurs environnementaux

« pathogènes », regroupés sous la notion nouvelle « d’exposome » qui souligne le lien entre santé et environnement. Affectant souvent de manière majeure des populations socio-économiquement défavorisées, les maladies chroniques constituent le premier poste des dépenses de santé. Durables, elles ne peuvent se limiter à une intervention médicale ponctuelle ; complexes, elles ne résultent pas d’une seule pathologie, mais associent de multiples affections et requièrent un abord multidisciplinaire. Handicapantes, elles retentissent sur la vie quotidienne des personnes pendant toute leur vie et mobilisent plusieurs métiers soignants et non soignants. Or, le schéma classique de prise en charge des affections aiguës bénignes ou graves n’est pas adapté à la prise en charge des affections chroniques ; cette « troisième médecine », comme on la désigne parfois, qui ne relève ni de l’exercice isolé du généraliste, ni de la haute technicité de l’hôpital, requiert la mise en place d’une organisation nouvelle, multidisciplinaire incluant des professionnels de santé et des aidants, dans laquelle le généraliste assure une coordination indispensable, dont la relation avec le patient joue un rôle

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déterminant. Des dispositifs nouveaux – dont les outils numériques et les objets connectés – y seront associés facilitant le suivi des patients, l’observance et le maintien de leur autonomie, mais aussi la prise en compte de facteurs environnementaux et comportementaux, auxquels l’individu est confronté – et déterminants pour l’évolution de sa santé – et qui ne sont jusqu'à maintenant pas pris en compte. Cette profonde mutation de l’organisation des soins – dans laquelle le patient doit rester décideur – requiert aussi une refonte de la formation des étudiants des différents métiers concernés.

(ii) L’avènement, aux côtés de la médecine « curative », d’une médecine de prévention dont on ne connaît pas encore le réel impact

Dans la médecine « classique », le médecin est généralement sollicité par le malade qui verbalise les symptômes de la maladie ; celle-ci représente l’aboutissement d’une série de dysfonctionnements de l’organisme qui se sont accumulés au cours du temps dont certains auraient pu être détectés plus tôt, si une surveillance de certains paramètres liés à des facteurs de risques avait été instituée. L’accumulation toujours croissante de données massives (« Big data ») issues de données environnementales, génomiques, d’imagerie, de dossiers médicaux électroniques, de données des réseaux sociaux, d’applications numériques permet en théorie cette « surveillance » qui pourrait introduire un bouleversement considérable dans l’exercice de la médecine : il s’agit d’instituer une démarche préventive fondée sur l’amélioration de la prédiction du risque individuel et environnemental, ainsi que la détection précoce de signes d’alerte et non plus sur l’expression de la demande de soin formulée par une personne malade.

La prédiction du risque individuel est à la base de ce que certains appellent la médecine « de haute définition » ou « médecine 4P » (prédiction, prévention, personnalisation, participation)40, et dont ils anticipent qu’elle pourrait prendre une place importante dans les années qui viennent. Contrairement à l’exercice actuel de la médecine, elle se fonderait non pas sur la prise en charge d’un symptôme déclaré, mais sur la connaissance approfondie des facteurs de risque de chacun d’entre nous et l’anticipation de l’émergence d’un dysfonctionnement.

« On passe d’une médecine diagnostique symptomatique à une médecine prévisionnelle asymptomatique » soulignait déjà le CCNE dans son avis 77. Ce type de médecine est le résultat direct de la rencontre entre les sciences

40 http://www.carnetsdesante.fr/+La-medecine-des-4P-prediction+

http://www.dhu2020.org/images/2-HLM.pdf

http://www.sfls.aei.fr/ckfinder/userfiles/files/Formations/forum/forum3/CHNEIWEISS.pdf https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/13/anticipons-le-passage-d-une-medecine-curative-a-une-medecine-predictive_1666951_3232.html

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biologiques, médicales, les sciences de l’ingénieur, et les technologies de l’information, en particulier numériques. Alors qu’une connaissance fine des individus, pouvant conduire à la médecine personnalisée, est un facteur d’amélioration de la santé publique, comment éviter qu’elle ne conduise à une généralisation de l’individualisation des risques, pouvant induire des discriminations et une remise en cause de la solidarité nationale ? Or, la mutualisation des risques est la clef de voute du second pilier de la médecine de prévention en termes de santé/environnement et une valeur essentielle de notre médecine puisqu’elle est l’une des manifestations de la solidarité qui contribue à la mise en œuvre de nos principes fondateurs d’égalité et de fraternité.

(iii) Le domaine médical (organisation des soins, médicaments, dispositifs médicaux…) est un enjeu majeur au plan économique

L’irruption de la e-santé, et l’innovation technologique, en imagerie, en génomique ou concernant les dispositifs médicaux ont un développement et un transfert à la clinique qui sont assurés par le secteur privé, notamment des start-ups. Ceci pourrait faire craindre que la santé ne devienne au lieu d’une finalité, un marché source d’optimisation de profits, les patients étant considérés comme des consommateurs.

De même, le défi de l’innovation pour l’industrie pharmaceutique ne se pose plus dans les mêmes termes qu’autrefois. Les industries pharmaceutiques s’éloignent de plus en plus de leur mission initiale de recherche et développement de nouveaux médicaments, pour investir petit à petit une mission plus proche de la distribution des médicaments. Les dangers économiques que représente aujourd’hui le développement de nouvelles molécules les y incitent sensiblement.

Elles doivent en effet choisir entre la spécialisation ou la diversification de leur offre, établir leur préférence pour la rémunération de l'innovation, ou plutôt pour celle des “blockbusters41 (un médicament destiné à être vendu sur un large marché). La première n’est pas toujours correctement rémunérée, les prix résultant notamment de la concurrence exacerbée dans un contexte de mondialisation de la recherche, la seconde exposant au danger qu’une telle spécialisation représente, en cas d’échec avéré de la molécule à traiter la pathologie ciblée, ou lors de la fin de la protection par un brevet.

Les laboratoires tentent aujourd’hui de compenser la perte de productivité de la recherche et d’éviter les risques économiques de la production en s’alliant aux start-ups pour le développement ou le rachat de produits dits de niche.

41 https://www.lesechos.fr/27/02/2018/lesechos.fr/0301348058036_les-nouveaux-defis-de-l-industrie-pharmaceutique.html

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Les start-ups jouent un rôle fondamental dans l’innovation thérapeutique (incluant les dispositifs médicaux et les diagnostics) et la montée en puissance de la médecine dite de précision ou personnalisée, et développent des compétences variées pour investir les biothérapies, ou encore le domaine de la génétique et de la génomique (séquençage de l’ADN, génotypage, utilisation des techniques de modification du génome, biosynthèse etc.).

Mais toutes ces nouvelles entités - en particulier en oncologie avec les thérapies ciblées, les immunothérapies, etc. - ont des prix beaucoup plus élevés que par le passé et sont à l’origine d’une part très significative des dépenses totales de médicaments. Ces niveaux de dépenses fragilisent la soutenabilité financière du système de protection sociale, ce qui constitue un problème sanitaire majeur et irrésolu à ce jour.

2.2. Une déstabilisation du système de soins et des