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II – La réflexion éthique : repères, équilibres, applications

5. Conclusions et perspectives

Entrer dans la réflexion éthique aujourd’hui oblige à prendre en compte et accepter des fragilités : fragilité de la personne humaine, fragilité du monde naturel, fragilité des institutions et du système de santé. S’engager dans une réflexion éthique, c’est ne pas refuser la complexité des questions que la fascination de la technique voudrait nous faire oublier et oser réfléchir sur la nature de l’homme pour tenter de dessiner un monde plus humain. C’est aussi faire la démarche de s’informer, de se former, de s’approprier toutes les dimensions de ces questions, dans une démarche d’in-quiétude vis-à-vis du savoir et des promesses qu’il met en avant.

Se pose aussi la question de l’évolution des priorités et des méthodes d’enseignement dans un monde qui sera fortement marqué par les questions bioéthiques qui se caractérisent, d’une part, par une tension entre une grande technicité et, d’autre part, des enjeux fondamentaux qui touchent chaque être humain dans la représentation qu’il a de lui-même et de son espèce. Cette observation questionne un rapport au savoir gouverné par la spécialisation plus que par la pluridisciplinarité et la transversalité. Autrement dit, la bioéthique nécessite de considérer un rapport holistique au savoir et convoque un système

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éducatif (à comprendre plus largement que le champ scolaire) qui développe une curiosité et un savoir-faire pour aller chercher et bénéficier d’informations fiables.

C’est aussi prendre le temps d’un questionnement large et ouvert, d’une réflexion et d’échanges apaisés sur les finalités de la recherche et les conséquences humaines des pratiques biomédicales. N’est-ce pas cette délibération collective la plus ouverte possible qui témoignera de notre responsabilité et de notre capacité à faire vivre la démocratie ?

Les États généraux de la bioéthique ont été un moment extrêmement privilégié de cette délibération collective. Comme nous le verrons dans la 3ème partie, ils ont fait apparaître des adaptations nécessaires. Mais la question posée reste celle de leur inscription dans une loi. Si l’on admet que l’accélération des innovations techniques et la forte extension du champ des possibles mettent la réflexion éthique en perpétuel mouvement face à l’inconnu, à l’incertain, à l’inquiétude, n’est-il pas vain de chercher à la figer en l’inscrivant dans des textes ?

Nous sommes bien ici au cœur du rapport entre l’éthique et le juridique. Notre tradition juridique est marquée par la prééminence de la loi. Il est donc dans notre culture de légiférer sur toute question importante. Mais il faut avoir conscience qu’une loi, que sa généralité même rend impersonnelle et abstraite, ne peut embrasser l’infinie variété des situations humaines et les traiter avec toutes les nuances que l’on est en droit d’attendre d’une science et d’un système de soins véritablement éthiques.

Il faut distinguer les situations. Lorsqu’il s’agit de poser des interdits ou de prévoir de nouveaux droits (ex : interdiction du clonage humain ou de la modification de la descendance par modification du génome germinal, extension éventuelle de l’AMP aux couples de femmes ou aux femmes seules), seul le législateur peut intervenir. Il doit être aussi précis que possible, tant dans l’énoncé du principe que dans la portée des exceptions ou dérogations qui lui paraissent souhaitables.

La situation est plus complexe lorsque l’évolution de la société ou des techniques semble déplacer le point d’équilibre entre des valeurs éthiques également dignes de protection mais pouvant entrer en tension (ex : autonomie de la personne et fraternité/solidarité, liberté de choix et égalité d’accès aux soins). Dès lors que ce qui est alors recherché est une conciliation concrète des valeurs éthiques, et que ce point d’équilibre varie avec le temps et les situations examinées, ce sont seulement des critères qui peuvent être définis. Ils apparaissent alors comme

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autant de guides permettant d’orienter la réflexion visant à résoudre au cas par cas les contradictions auxquelles on se trouve confronté. Ces critères sont les principes fondateurs de la réflexion éthique qui ont été examinés supra (ex : autonomie, dignité, liberté, fraternité/solidarité). Il est important néanmoins à l’avenir que les difficultés posées par les cas particuliers soient recensées pour alimenter la délibération commune, qui doit toujours se poursuivre.

Encore faut-il relever que cette réflexion se limite à une approche hexagonale, alors que l’éthique est aujourd’hui mise au défi de la dimension internationale et de la mondialisation des pratiques. La grande variabilité éthique à l’international engendre de nouvelles inégalités, cette fois-ci sociales, puisque seules les personnes les plus aisées et bénéficiant d’une grande mobilité pourront contourner la loi française et se rendre dans d’autres pays pour recourir à de pratiques non autorisées en France. La non-uniformisation des pratiques au plan international exacerbe donc, au niveau national, les inégalités économiques et sociales.

C’est une réalité indéniable : l’éthique « à la française » est soumise au marché international des possibles. Cette réalité ne peut en aucun cas être utilisée comme argument, même si elle induit de nouvelles réflexions éthiques et juridiques. Le rapport du possible et du souhaitable en serait inversé et l’éthique y perdrait sa substance même. Nous devons continuer à nous poser la question du souhaitable en rapport au possible, et non pas poser le possible en maître avec l’argument que puisque cela se fait ailleurs, alors nous devons le faire ou nous finirons par le faire.

La question essentielle dans la réflexion éthique n’est-elle pas aujourd’hui de remettre en équilibre la tension entre la singularité des désirs individuels, exacerbés par les promesses des sciences et techniques et les nécessités du collectif dans sa construction du bien commun, qui oblige, non seulement à mesurer les conséquences des actions, mais aussi à prévenir leurs effets délétères, la solidarité (la fraternité) devenant un principe majeur d’équilibre entre l’individu et le collectif ?

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