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Chapitre 5 Les déterminants de l’insertion territoriale du miscanthus au niveau de l’exploitation agricole

4. Résultats

4.2. Les motivations et les freins à l’insertion du miscanthus dans le territoire

Si les potentialités du miscanthus sont perçues de la même façon par tous les agriculteurs enquêtés, elles ne déterminent pas pour autant des pratiques d’insertion communes entre les agriculteurs. Parmi les dix enquêtés, deux ont choisi de ne pas implanter de miscanthus. Pour l’un, ce choix s’explique par l’incapacité d’utiliser des surfaces agricoles au détriment des cultures de vente (qui l’aident à faire face à une situation économique difficile). Pour l’autre, ce choix s’explique par ses incertitudes sur l’évolution de la Politique Agricole Commune et le manque de parcelles contraignantes en propriété. Ainsi, les enquêtes montrent que le choix de l’insertion du miscanthus dans le parcellaire est défini par une combinaison de facteurs d’ordre économique, technique et social qui est propre à chaque agriculteur.

128 Facteurs techniques Occurrence Facteurs économiques Occurrence Facteurs sociaux Occurrence

Facteurs accélérateurs Facteurs accélérateurs Les jeux d’acteurs sur le territoire

adaptation aux territoires

contraignants 10/10 les subventions européennes 10/10 Facteurs accélérateurs

itinéraire technique simplifié 10/10 « gagner de l’argent » 10/10 participer à un projet local 4/10

faible besoin d’intrants 10/10 sécuriser le revenu 3/10 être administrateur de la

coop. 3/10

amélioration des conditions

de travail 10/10

compenser l'arrêt de la

betterave 2/10

rencontrer de nouvelles

personnes 3/10

pérennité de la culture 10/10 réguler les marchés

alimentaires 2/10 Facteurs ambivalents

Facteurs freins être déjà actionnaire de la

coop 2/10

confiance aux acteurs de la

filière 4/10

incertitudes sur les modalités

de récolte 10/10 Facteurs freins Les valeurs de l’agriculteur

incertitudes sur les

rendements 10/10

l’avance de trésorerie de 2

ans 10/10 Facteurs accélérateurs

réorganisation de

l'assolement 2/10

incertitudes sur la PAC à

venir 1/10 diversifier son métier 10/10

incompatibilité avec le travail

du sol 1/10 évolution du cours du blé 1/10

répondre aux enjeux de

l’énergie 10/10

Facteurs ambivalents

avoir le goût pour

l’innovation 8/10

retour sur investissement 10/10 participer au dvpmt durable 3/10

rentabilité espérée 7/10

projets énergétiques sur la

ferme 3/10

« croire » aux débouchés 5/10 Ses caractéristiques sociales

s’assurer un revenu en

retraite 2/10 Facteurs accélérateurs

salaire extérieur à la ferme 1/10

travailler à plusieurs sur la

ferme 1/10

Facteurs ambivalents

être proche de la retraite 4/10

Tableau 5.5 : Classification des motivations et des freins à l’adoption du miscanthus exprimés par les enquêtés : liste des facteurs « accélérateurs », « freins » et « ambivalents » (accélérateur ou frein selon les enquêtés)

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4.2.1.Les facteurs d’adoption (ou de non adoption)

Malgré les subventions européennes proposées aux agriculteurs enquêtés constituant une motivation importante pour tous, on remarque l’existence de nombreux freins technico-économiques (cf. tableau 5.5). Le manque de recul sur le comportement de la plante dans son milieu et sur les rendements espérés en est la principale raison.

En revanche, le choix de l’adoption a été motivé par divers facteurs sociaux et culturels qui ont pallié les incertitudes agronomiques et économiques des enquêtés.

Premièrement, le choix des enquêtés repose sur la volonté de participer à un projet territorial, construit par des jeux d’acteurs. En effet, l’adoption du miscanthus est pour tous très fortement associée à une solution pour « sauver des eaux » la coopérative de Baigneux-les-Juifs et comme le nouveau « tournant » de l’agriculture pour la zone d’Aizerey, marquée par l’arrêt de la betterave. La relation professionnelle voire personnelle de certains enquêtés avec les responsables et techniciens de la coopérative a même été, pour certains, un gage de confiance décisif pour prendre un risque et « avancer dans l’inconnu » et, pour d’autres, la cause de fortes réticences. Le mode de gestion de la filière du miscanthus dans le territoire a également été un facteur déterminant pour deux agriculteurs. L’un explique par exemple son choix par la gestion de la filière en coopération ; un autre explique à l’inverse qu’il attend un acteur privé chargé de la commercialisation du miscanthus pour faire de nouvelles implantations.

Le choix des enquêtés repose deuxièmement sur un système de préférences et de valeurs socio-culturelles, qui façonne les « croyances » de chacun vis-à-vis du miscanthus et de son avenir dans le territoire.

Extraits du discours d’E3 : « C'est-à-dire qu’il y en a qui ont cru à des cultures nouvelles, type miscanthus. Il y en a d’autres qui ne croient pas ou qui ne croiront jamais (…). Il faut y croire, tout simplement. On fait parfois des choses, on n’a pas forcément envie tout de suite d’en sortir un chèque. Je veux dire ce n’est pas… Ce n’est pas cette démarche-là qui nous habite aujourd’hui ».

Si le miscanthus est associé pour certains à un effet de mode pour les politiques et à une affaire de générations au sein du milieu agricole, cette culture renvoie aussi pour d’autres à des interrogations plus fortes sur le métier d’agriculteur. En effet, tous les agriculteurs enquêtés ont exposé leurs points de vue sur les « enjeux énergétiques de demain » et tous se sont montrés favorables à la diversification du métier d'agriculteur.

Extraits du discours d’E1 : « Bon, avec l’alimentation, l’énergie c’est une des choses qui est indispensable à la vie. Plus que tout autre je pense. C’est une nécessité. On en a besoin pour se chauffer, pour se déplacer… pour travailler, pour faire… pour avoir de l’électricité tout ça ».

Néanmoins, l’ensemble des agriculteurs explique « ne pas être prêt à mettre cette culture sur les bonnes terres » en raison de la concurrence qu’elle engendrerait avec l’alimentaire.

Extraits du discours d’E10 : « Moi, je suis pour l’alimentaire déjà. Je pense qu’il y a des gens qui crèvent de

faim. On n’a pas le droit. Même en ce moment de crise… Bon les céréales sont très chères, mais ce n’est pas bon du tout pour tous ces pays-là parce qu’ils ne peuvent plus, ils ne vont plus pouvoir manger, c’est quand même… ».

Extraits du discours d’E6 : « Nous en agriculture biologique, on a plutôt tendance à manquer de surfaces.

Déjà. Donc il y a déjà largement de quoi faire… comment dire… il y a la demande pour la vente. Donc on est tenté de produire sur toutes les surfaces quoi ».

La prédominance de ce point de vue dans le discours des agriculteurs enquêtés montre donc que les facteurs d’adoption du miscanthus se combinent étroitement à des facteurs de localisation.

130 Facteurs techniques Occurrence Facteurs économiques Occurrence Facteurs sociaux Occurrence

distance et accès à la parcelle 10/10 parcelle en propriété,

propriété familiale 10/10 Jeux d’acteurs du territoire

hors zone inondable 8/10 parcelle donnant droit aux

aides 9/10 conseil d’un technicien 10/10

protection de l’eau 8/10 parcelle proche de la zone

de collecte 2/10 Valeurs de l’agriculteur

forme de la parcelle 4/10 parcelle de moindre valeur

économique 1/10

limiter la concurrence des

sols 9/10

lisière de bois 4/10

taille de la parcelle 3/10

topographie 3/10

parcelle non drainée 1/10

loin des habitations 1/10

« terres difficile à travailler » 10/10

Tableau 5.6 : Les facteurs de localisation du miscanthus exprimés par les enquêtés (classement par occurrence sur les 10 agriculteurs enquêtés)

Enquêtés

Parcelles de miscanthus

(ha)

Texture du sol des parcelles de miscanthus

Extraits de discours des enquêtés sur la qualité du sol des parcelles de miscanthus

E1 4 ha

argileux "C’est une horreur. Parce que t’arrives dans un endroit, tu n’arrives pas à

casser les mottes, tu arrives à un endroit… Je veux dire, c’est… Tu ne peux pas mener une culture correcte. Il faudrait être avec le GPS au centimètre près" calcaire sableux E3 2,5 ha sableux

"(…) des terrains sableux, à faible potentiel de culture par rapport à l’assolement"

"(…) des parcelles plutôt sableuses, donc avec une qualité de sol qui correspond tout à fait à une possibilité de récolte des racines"

1,6 ha 0,9 ha

E4 15 ha argileux "(…) des terres noires, avec un pourcentage d’argile qui est énorme"

5 ha

E6 6 ha

argileux "C’est des argiles qui quand ça sèche se rétractent beaucoup. Donc ça

crevasse et quand c’est des cultures comme le blé tout ça, ça casse les racines et finalement ça dessèche plus ici que n’importe où ailleurs, même dans les endroits les plus pierreux de la ferme"

pierreux

E7 3 ha limoneux "Il est dans de la terre. Oui, c’est…. Si on veut bien c’est comme dans la

vallée"

E9 2 ha caillouteux

"J’avais une parcelle qui faisait 2 hectares, mais qui était très, très différente au niveau qualité de terres. Là-bas, c’était une terre profonde, au-dessus c’était des cailloux. Une parcelle qui était difficile à travailler au niveau céréales"

E10 1 ha limoneux "(…) dans la zone la plus argileuse du champ"

Tableau 5.7 : Perception des enquêtés de la qualité des sols des parcelles de miscanthus en termes d’atouts (en vert) et de contraintes (en rouge) relatifs au potentiel de production des cultures classiques de l’exploitation

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4.2.2.Les facteurs de localisation

D’après le discours des enquêtés, on remarque que le point de vue des agriculteurs sur la concurrence de l’usage des sols est une des composantes du choix de localisation du miscanthus, mais qu’il n’a pas déterminé à lui seul l’ensemble des pratiques de localisation. En effet, les facteurs économiques ont une influence prépondérante, comme le statut foncier de la parcelle (qui garantit à l’agriculteur un retour sur investissement à long terme si le miscanthus est implanté sur une parcelle en propriété ou appartenant à un membre de la famille) et comme l’appartenance à une zone géographique éligible aux subventions européennes (cf. tableau 5.6).

Concernant les facteurs techniques, si les enquêtés perçoivent le miscanthus comme une opportunité pour valoriser les parcelles humides de l’exploitation, pour tous (à l’exception d’un agriculteur) le miscanthus ne doit pas pour autant être implanté en zone inondable, pour faciliter l’accès à la parcelle au moment de la récolte. La localisation du miscanthus dépend aussi pour la grande majorité des zones de protection de la ressource en eau (zones en directive nitrates et zones de protection de captage d’eau potable) et pour quelques-uns d’entre eux, de la forme et de la taille de la parcelle.

Les enquêtés expliquent également vouloir localiser le miscanthus sur les « terres difficiles à travailler » c’est-à-dire sur des terres difficiles à travailler mécaniquement et présentant de mauvais rendement pour les cultures classiques (blé et maïs principalement). Se pose alors la question de la part de subjectivité dans l’appréciation de ce facteur par les agriculteurs. Pour mieux saisir comment ce facteur s’est décliné dans le territoire, nous avons demandé aux agriculteurs de décrire les parcelles d’implantation et leurs différentes contraintes. Leurs réponses ont mis en évidence deux critères, la teneur en eau de la parcelle et la qualité de son sol (cf. tableau 5.7). Les différentes caractéristiques biophysiques des terres décrites comme contraignantes montrent qu’il n’y a pas de régularités spatiales communes ni de pratiques communes.