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Chapitre 2 Modèles spatialement explicites de l’utilisation des terres reposant sur les processus de décision des

B. Principaux enjeux et perspectives des méthodes de dissémination horizontale des décisions spatialement

3. Applications du raisonnement à partir de cas en agronomie et en géographie

La géographie et l’agronomie ne font pas partie des principaux domaines d’application du RàPC, qui est davantage appliqué en industrie, en médecine, en cuisine et dernièrement pour la conception de jeux vidéo. Néanmoins, huit applications du RàPC en agronomie et en géographie ont relevé notre attention pour les raisons présentées dans le tableau 3.4.

L’objectif de cette partie étant d’identifier les applications du RàPC pouvant se rapprocher le plus à une application potentielle du RàPC pour modéliser l’insertion territoriale du miscanthus à partir des décisions des agriculteurs, nous avons choisi de présenter les travaux répondant à trois critères d’analyse : (i) le niveau de représentation des décisions des agriculteurs, (ii) le niveau de description de l’organisation spatiale et fonctionnelle d’un territoire et (iii) les conditions de dissémination spatiale d’une application. Par ce prisme d’analyse, nous avons choisi de présenter trois applications.

3.1. L’application de Bosch et al. (1997) : exemple d’une prise en compte des processus de

décision des agriculteurs via une démarche participative d’acquisition de connaissances

Les premiers travaux modélisant explicitement les décisions des agriculteurs dans un système de

RàPC remontent à 1997 : ils ont été réalisés par Bosch et al. (1997) en vue de fournir un outil d’aide à

la décision pour la conduite de prairies. Ces travaux s’appuient sur le constat que les connaissances des agriculteurs apportent une complémentarité aux connaissances scientifiques : en effet par leurs expériences, ces acteurs apportent de nombreuses connaissances adaptées au contexte local et utiles à la résolution de problèmes particuliers.

Ainsi, les travaux de Bosch et al. (1997) consistent en la mise en place d’une démarche permettant

l’intégration continue de connaissances d’agriculteurs à celles des scientifiques, dans un même outil d’aide à la décision destiné aux agriculteurs (cf. figure 3.9). Cette démarche est participative et repose sur un dialogue entre les deux communautés afin de transformer les informations renseignées par les agriculteurs en de nouvelles connaissances et en de nouvelles priorités de recherche utiles à l’amélioration continue de l’outil.

Concrètement, le rôle de l’agriculteur est de fournir des solutions à des problèmes particuliers de conduite de prairies et d’en contrôler les résultats en vue d’une validation. Les scientifiques ont eux pour rôle (i) d’identifier les manques de connaissances à la résolution des différents problèmes pour orienter de nouvelles questions de recherche et (ii) d’évaluer le niveau d’applicabilité des nouvelles actions incrémentées ainsi que leurs impacts financiers et environnementaux.

Considérant que le raisonnement des agriculteurs pour résoudre des problèmes particuliers s’appuie sur un raisonnement par analogie, les auteurs ont alors choisi la méthode du RàPC pour développer l’outil d’aide à la décision. L’intérêt de ce choix est de constituer une base de cas déjà résolus sur laquelle les agriculteurs peuvent s’appuyer pour fournir leurs propres solutions pour résoudre de nouveaux problèmes particuliers.

“The first version of the case-base allows land managers to obtain solutions to a particular problem. This is done by searching the case-base for other cases and solutions to similar problems. In this way land managers do not have to rely on their own experiences to find possible solutions, but can actually share in the pool of cases from many minds and experiences. Land managers implement the recommendations obtained from the case-base, and then measure the outcomes of their management actions. This implementation can be regarded as a new experiment, and as such, leads to the continual gain of new ‘experimental results’. These results provide new information which can be used to enhance the case-base through to construction of more cases, or the validation of existing cases” (Bosch et al., 1997)

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Figure 3.10 : visualisation d’un cas (Bosch et al., 1997)

Variables descriptives de l’organisation des territoires du système ROSA

Land use : crop fields, paddocks, rough grazings, temporary meadows, etc.

Buildings and farm equipments : farm house, sheep pen, water point, etc.

Morpho-geological types : plateau, coast, low and high areas, etc.

Livestock : lambs, ewes, dairy cows, etc.

Farm functionning : lambing, feeding, grazing management, etc.

Spatial and spatio-functionnal relations : border, near, far, separate, lead, etc.

Tableau 3.5 : variables descriptives de l’organisation des territoires du système ROSA (d'après Le Ber et al., 2003)

95 Pour ce faire, les cas de la base ont été élaborés par les scientifiques à partir d’enquêtes menées en exploitations agricoles (cf. figure 3.10). Un cas décrit une situation (problème à résoudre) et des actions recommandées (solution). Le problème est plus particulièrement décrit par trois éléments : un titre, une phrase résumant le problème et des questions-réponses décrivant le contexte local exact du cas. De son côté, le cas cible est lui décrit par l’utilisateur final, pour chacun de ces trois

éléments, via une requête. Ainsi, le formalisme textuel pour décrire les cas a été choisi pour

s’adapter au mieux au propre langage des utilisateurs finaux du système. Par conséquent, de puissants algorithmes de comparaison de texte ont été utilisés pour remémorer les cas sources. La remémoration quant à elle a été décomposée en deux étapes : la première consiste à identifier un premier groupe de cas sources par une requête portant sur le titre, la description générale du cas et la description des principaux facteurs d’influence contenus dans les questions 1 et 2 (cf. figure 3.10) ; la deuxième étape consiste à extraire de ce groupe les cas les plus similaires par une requête portant cette fois-ci sur les questions 3 et 4 décrivant les principales particularités du cas à résoudre.

Les conclusions tirées de ces travaux montrent que le RàPC est un cadre formel de modélisation adapté à une démarche participative d’acquisition de connaissances et de conception d’outil d’aide à la décision. Les auteurs soulignent également l’intérêt d’utiliser à terme de la logique floue pour manipuler au mieux les connaissances qualitatives et incertaines tirées de situations empiriques. Ils encouragent aussi à poursuivre ces travaux par l’intégration de facteurs non plus exclusivement biophysiques mais socio-économiques ; pour cela, ils signalent la difficulté d’identifier en amont de la conception du système les principaux facteurs socio-économiques d’influence sur la solution.

3.2. ROSA : une application du RàPC modélisant des décisions à la fois spatiales et

fonctionnelles des agriculteurs relatives à l’organisation de leur territoire

Les deuxièmes travaux modélisant explicitement les décisions des agriculteurs dans un système de RàPC sont ceux d’un collectif de chercheurs regroupés au sein du projet « Modélisation, comparaison et interprétation d’organisations territoriales agricoles- Aspect techniques, sociaux et cognitifs de la mobilisation de représentations de l’espace » entre 2000 et 2005 (Le Ber, 2003 ; Metzger, 2005 ; Osty

et al., 2008). Les disciplines concernées sont l’intelligence artificielle, l’agronomie, la psychologie de

la cognition et la linguistique. Le système développé est le système ROSA, déjà présenté pour partie dans le chapitre 2 et par les figures 3.2, 3.3, et 3.6 de ce chapitre.

Ainsi, pour rappel, le système ROSA a été conçu pour fournir une analyse des modes d’organisation spatiale et fonctionnelle de territoires d’exploitation agricole (solution) à partir de la structure de morceaux d’espace appartenant au territoire de l’exploitation (problème). Dans ce système, le problème d’un cas est décrit par un graphe conceptuel et sa solution par des explications textuelles. Comme pour les travaux présentés dans la partie précédente, la base de cas initiale du système ROSA a été conçue par les chercheurs en s’appuyant de données d’enquêtes en exploitation agricole. Les cas rendent compte donc de décisions d’agriculteurs. En revanche, à la différence des travaux de

Bosch et al. (1997), ce ne sont pas les agriculteurs eux-mêmes qui utilisent le système pour produire

de nouveaux épisodes de résolution de problème et de nouvelles connaissances utiles au système. Le système ROSA a en effet été conçu pour un usage plus autonome, capable de résoudre par lui-même de nouveaux problèmes. Ainsi, dans le système ROSA, la phase de modélisation des connaissances des agriculteurs en amont de l’utilisation du système lui-même est plus conséquente (cf. partie 4). Par ailleurs, les connaissances des agriculteurs modélisées dans le système ROSA sont plus complexes

que celles modélisées dans le système de Bosch et al. (1997), puisque l’organisation des territoires

des agriculteurs repose à la fois sur des facteurs biophysiques, topologiques, agronomiques, fonciers, etc. (cf. tableau 3.5).

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Etapes de représentation du fonctionnement et de l’organisation spatiale des exploitations agricoles

Etape 1 : description des caractéristiques globales de l’exploitation et des objectifs de production à partir

d’une enquête rapide

Etape 2 : construction d’un modèle graphique de la structure de l’exploitation, sur la base du parcellaire

d’usage repéré sur le plan cadastral et la photographie aérienne (il sert de fond de modèle pour reporter les autres informations)

Etape 3 : construction d’un modèle graphique de l’utilisation saisonnière du territoire à partir des pratiques

d’allotement des animaux et d’assolement des surfaces (reconstitution de calendrier de pâturage sur une campagne)

Etape 4 : construction d’un modèle graphique de la configuration progressive du territoire de l’exploitation à

partir de l’historique de la constitution et de l’aménagement de l’exploitation sur plusieurs décennies

Etape 5 : interprétation de l’organisation du territoire de l’exploitation par rapport aux objectifs de

production, d’organisation du travail et de gestion des ressources. Les pratiques d’utilisation et de

configuration rendent compte des logiques des exploitants et des contraintes de leur territoire pour la mise en œuvre des activités d’élevage

Tableau 3.6 : étapes permettant la représentation du fonctionnement et de l’organisation spatiale des exploitations agricoles (d'après Lardon et al., 2005)

Etapes de transformation des chorèmes en graphes

Etape 1, écriture des graphes : dénomination des sommets-entités, définition des

sommets-relations, fixation des arêtes et des rôles entre relations et entités

Etape 2, définition des concepts du domaine : catégorisation des sommets entités

et des sommets-relations, définition des attributs, hiérarchisation des concepts

Etape 3, constitution des cas : explicitation de certaines structures, acquisition

d'éléments explicatifs sur le fonctionnement des exploitations agricoles

Tableau 3.7 : étapes de transformation des chorèmes en graphes conceptuels (d'après Le Ber et Brassac, 2008)

97 La modélisation des décisions des agriculteurs a nécessité une démarche en trois temps, réalisée par trois agronomes et trois informaticiens : (i) représenter le fonctionnement et l’organisation spatiale des exploitations agricoles par des chorèmes (cf. tableau 3.6), (ii) transformer les chorèmes en graphes (cf. tableau 3.7) et (iii) raisonner sur les organisations spatiales et leurs explications

fonctionnelles par RàPC (Lardon et al., 2005).

Cette démarche a été employée pour modéliser l’organisation spatio-fonctionnelle de deux systèmes de production - élevage ovin et élevage bovin en polyculture - respectivement situés dans la région des Grands Causses, soumise à des dynamiques d’embroussaillement et en région Lorraine, soumise à des risques de contamination des eaux souterraines pour les EA enquêtées.

Les conclusions de ces travaux montrent que le système ROSA permet d’outiller la réutilisation des connaissances fines du fonctionnement d’exploitation agricole provenant d’enquêtes pour fournir une aide au diagnostic d’autres exploitations agricoles (cf. chapitre 2). Ce système permet ainsi une dissémination des connaissances entre exploitations agricoles similaires. Pour autant, dans ces travaux cette dissémination se fait dans le respect du système de production et de la zone géographique. En effet, constatant qu’un même terme pouvait couvrir une diversité de concepts selon le système de production et la région prise en compte, les auteurs ont défini deux hiérarchies de concepts du domaine.

3.3. CARMA : exemple de dissémination spatiale de connaissances expertes pour la lutte

contre les sauterelles ravageuses des prairies

Le système CARMA (CAse-based Rangeland grasshopper Management Advisor) est un outil d’aide à la décision pour déterminer les meilleures modalités économiques et environnementales de lutte

contre les sauterelles ravageuses des prairies (Hastings et al., 2002 ; Hastings et al., 2009 ; Hastings et

al., 2010). Ce système repose sur plusieurs modules de raisonnement, dont un module de RàPC qui

permet de prédire les pertes de fourrage induites par la consommation des sauterelles (les autres modules permettent la prédiction des traitements de lutte contre les sauterelles, cf. figure 3.11). Alors que le système a été initialement conçu pour l’état du Wyoming (situé à l’ouest des USA),

Hastings et al. (2010) proposent une méthode pour étendre les prédictions du système CARMA à

neuf autres Etats situés à l’ouest des USA, permettant d’élargir la zone d’application du système de

253 000 km² à 2 494 000 km² (Hastings et al., 2010). C’est cette méthode que nous présentons ici.

Signalons avant que les cas du système sont globalement considérés par les auteurs comme

« neutres », i.e. comme peu dépendants de leur localisation (seuls trois descripteurs sont dépendants

de la localisation des cas) et que des informations sur l’historique de la localisation des cas sont systématiquement demandées à l’utilisateur.

Ainsi, la méthode globale d’extension du système CARMA à un plus large territoire consiste à :

1. incrémenter les informations concernant l’historique de chaque nouvel Etat, au grain de l’Etat

2. généraliser l’interface graphique pour que l’utilisateur manipule les connaissances spécifiques aux

nouveaux Etats incrémentés (étape jugée délicate pour la gestion des données géographiques, les auteurs signalent que des améliorations du système sont à prévoir pour un couplage avec le SIG)

3. conserver sans modification la fonction d’ajustement pour prédire la période critique d’invasion

des ravageurs déterminée par l’altitude et la latitude de la parcelle.

Notons que cette méthode n’implique pas l’incrémentation de cas supplémentaires. Ceci n’est pas un oubli mais bien un choix spécifique fait par les auteurs, considérant que la base de cas initiale, bien que petite, couvre un large spectre de cas possibles :

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“Prior research indicated that completeness of the model-based knowledge used for matching and adaptation is more important to CARMA’s accuracy than coverage of the case library (Branting and Hastings [1994]). Based on the results of this research, CARMA’s case library for the initial releases of CARMA for Wyoming was kept justifiably small. For Wyoming, the model was powerful enough to avoid augmenting the cases. But for a larger region, is the model powerful enough (when bolstered with the extended region specific information) to entirely handle scaling CARMA to new regions without developing state or region specific cases? Surprisingly, the answer is yes! The key turns out to be a component within critical period adjustment”

Globalement, les auteurs expliquent la réussite de cette extension par (i) l’architecture générique du système, (ii) des concepts du domaine applicables aux nouveaux Etats, (iii) des cas décrits par peu de variables dépendantes d’une localisation, (iv) la fonction d’ajustement de la période d’attaque des ravageurs et enfin (v) l’accessibilité des informations décrivant les nouveaux Etats pris en compte. Signalons que la précision des prédictions sur le territoire élargi n’a pas été évaluée dû à l’absence de données empiriques dans les nouveaux Etats. Une validation des connaissances du système par expertise a néanmoins été faite.

3.4. Implications pour la thèse

Les trois travaux que nous venons de présenter dans cette partie montrent (i) qu’il est possible de modéliser les décisions des agriculteurs par RàPC, même si cela n’a pas fait l’objet de nombreux travaux, (ii) qu’il est également possible de modéliser finement l’organisation des territoires et les décisions qui en sont relatives et (iii) qu’il est possible d’outiller la transférabilité de ces décisions d’un territoire à un autre sous réserve d’une validité du domaine ou de fonctions d’ajustement. Néanmoins, ces trois travaux montrent aussi l’importance de l’acquisition de connaissances, tant en termes d’expériences particulières de résolution des cas, qu’en termes de connaissances du domaine apportées par les scientifiques et/ou par les experts. L’acquisition de ces connaissances se présente donc comme un enjeu méthodologique fort.

Pour évaluer l’opérationnalité du RàPC pour modéliser l’insertion territoriale du miscanthus à partir des décisions des agriculteurs, il convient donc maintenant de présenter les difficultés relatives à l’acquisition de ces connaissances.