• Aucun résultat trouvé

2 Quand la mort s’immisce au sein d’une classe et perturbe son déroulement interne

Chapitre 3 : La mort à l'école

III- 2 Quand la mort s’immisce au sein d’une classe et perturbe son déroulement interne

Lors de la rédaction de ce mémoire de recherche, j’ai été amenée à questionner ma propre relation avec la mort. Mon éducation et le vécu de ma famille font qu’elle n’a jamais été un tabou. Mes questionnements sont arrivés très vite. J’ai toujours pu avoir des réponses de manière très ouverte. Ma mère n’essayant pas de camoufler la vérité m’a toujours dit qu’on ne savait pas vraiment ce qu’il se passait après la mort, mais que pour elle, les personnes qu’elle avait aimées par-dessus tout continuer de vivre dans son cœur, et par extension dans le mien. Je n’ai pourtant aucun souvenir d’en avoir parlé à l’école. Il semble que si ma famille ne m’en avait pas parlé et qu’elle s’était elle aussi, enfermée dans un mutisme, je n’aurais jamais vraiment eu de réponse. Il semble que ce soit le cas de beaucoup d’élèves.

Les professeurs des écoles sont tous dans une relation avec la mort qui leur est propre. Malgré le fait qu’elle soit un élément familier, il semble qu’elle reste anxiogène. Lorsque la mort s’immisce en classe, nous n’avons pas tous les mêmes outils personnels ni la même aisance. La mort est donc un élément très intime, qui relate de notre relation personnelle avec ce sujet. Y a-t-il plus personnel ? Mais alors qu’advient-il lorsqu’elle s’immisce dans le domaine professionnel ? Comment réagirions-nous si un jour nous étions amenés à vivre un deuil au sein même de la classe. ? La perte d’un élève. Comment mettre de côté, ou non, sa tristesse ? Comment accueillir celle des élèves ? Que faire de la table vide ? Quelle place laisser au chagrin ? Quelles sont les conséquences à courts et longs termes ? Ces questions, la professeure des écoles que j’ai rencontrée a dû se les poser très rapidement dans sa carrière. Souhaitant garder l’anonymat, son nom ne sera pas cité, ni même l’école dans laquelle elle exerçait. Cette maîtresse a été confrontée au décès de l’un de ses élèves de CP. Dans des circonstances dramatiques, l’enfant et son petit frère sont décédés à la suite d’un incendie provoqué par la mère, au domicile. Une mort extrêmement violente et qui plus est, donnée par la mère.

91 La maîtresse que j’ai rencontrée était alors en poste depuis deux ans, elle était très jeune. Un matin, dans la voiture pour se rendre à l’école, elle reçoit un appel de la directrice. Elle comprend alors qu’il y a eu un incendie, mais sous le choc elle ne saisit pas que l’élève est décédé. Lors de notre entretien, la voix de la jeune femme est serrée, malgré le temps qui est passé, je comprends bien que c’est un sujet très difficile pour elle. Encore aujourd’hui. Arrivée à l’école, elle est convoquée dans le bureau de la directrice qui lui explique ce qu’ils savent de la situation qui s’est déroulée la veille. Elle m’explique que le déroulé est très flou pour elle, le traumatisme a été tel qu’elle ne sait plus ce qu’il s’est passé dans le détail. Ne se sentant pas capable d’annoncer la nouvelle à sa classe de CP, c’est la directrice qui s’en est chargée. Avant toute chose, on a demandé à la maîtresse de ne pas dire que c’était la maman qui avait mis le feu à l’appartement, car « les enfants ne comprendraient pas ». On lui a aussi dit de faire classe normalement, comme si de rien était. Elle a commencé par déplacer la table du garçon, comme si les autres élèves allaient moins le remarquer. Une fois les enfants en classe et après l’annonce de la directrice, la journée lui a semblé interminable, elle était dans un état de choc : elle appelait les élèves par le prénom du petit garçon, elle avait des absences, et les élèves, eux, avaient plein de questions : « Maîtresse, c’est sa maman qui l’a tué ? », « Maîtresse pourquoi tu nous appelles […] ? Il est mort tu sais. », « Il va au ciel ? », « Son corps il a brulé ? » et même le besoin de juste en parler : « Je suis triste parce qu’il est mort. »

Face aux questions des enfants, elle a décidé de suivre les demandes de la directrice : faire mine de ne pas entendre, esquiver les réponses, continuer la classe comme s’il ne s’était rien passé. Les élèves ont fait des dessins pour le garçon. Pourtant, ils n’ont pas pu s’exprimer ni en classe, ni avec la psychologue scolaire et ont montré des mois plus tard des réactions très violentes. C’est ce que nous disions précédemment : le long terme a un véritable impact sur les enfants. Deux élèves ont commencé à être victimes de crises d’épilepsie pour la première fois, dans les moments de classe. D’après les aides extérieures sollicitées par les parents, ces crises étaient le fruit à retardement du traumatisme lié à ce drame. L’ambiance de classe était pesante pour tout le monde, un poids semblait ne jamais laisser de répit. Pour cette maîtresse qui aujourd’hui a plus d’expérience, il semble qu’avec du recul elle ne fonctionnerait absolument pas de la même manière. Elle s’est rendu compte trop tard que les enfants avaient été complètement déboussolés, ils ont imaginé le pire face au silence et à la tristesse de la professeure des écoles. Ils n’avaient pas compris que c’était définitif. Le poids s’est accumulé chaque jour un peu plus, provoquant un réel malaise au sein même des apprentissages et du climat de classe. Les angoisses autour de l’acte de la mère ont eu un effet boule de neige, sans modération de leurs inquiétudes, ils ont continué à en parler entre eux et à entendre les parents. Un tel silence était pour eux synonyme

92 d’un véritable danger. Rappelons qu’en CP, en ce qui concerne la psychologie de l’enfant par rapport au concept de la mort, nous avions dégagé la chose suivante : Il semble que la conceptualisation soit marquée par un véritable tournant vers l’âge de six ans. En effet, l’enfant entre dans une réaction affective à l’idée de la mort. Il développe de véritables inquiétudes, plus ou moins fortes, sur la mort possible de ses parents Ces élèves étaient donc en plein dans cette phase-là. On peut donc voir que cette réaction face à la situation a eu des conséquences dramatiques sur la conception même de la mort.

La maîtresse m’a confié qu’elle savait aujourd’hui qu’il existe beaucoup de supports tels que la littérature de jeunesse, si elle devait vivre cette situation aujourd’hui, elle les utiliserait. Et surtout elle ouvrirait un dialogue. Pour les laisser s’exprimer, et elle aussi.

Malgré cet événement, paradoxalement, elle a confié que pour elle, parler de la mort revenait plutôt à un apprentissage qui se fait dans le domaine du privé. Puisque c’est un thème qui nous tire vers les croyances, il est difficile d’aller à l’encontre de la famille.

Mais est-ce que parler de la mort, c’est prendre position sur des croyances ? S’il y a bien un domaine dans lequel nous sommes tous dans l’ignorance c’est celui-ci. En parler ce n’est pas prendre parti et réfuter les croyances… C’est un argument que j’ai très souvent retrouvé dans un questionnaire rempli par des professeurs des écoles (Annexe 1) leur demandant si la thématique de la mort avait sa place au sein de l’école et pourquoi :

« Cela appartient aux croyances de chacun et ceux sont aux parents d’en parler qui se devront de rassurer leur enfant au moment de l’échange. »

« Cela relève de la sphère intime plus que de d’enseigner un savoir sur quelque chose. Cela à un rapport aux sentiments, aux vécus et au culturel. L’éducation à : c’est libérer la parole, partager des expériences plus que d’apprendre à… affronter la mort ? »

III-3. Pourquoi la plupart des professeurs des écoles redoutent-ils, ou