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Chapitre 2 : Le paradoxe de la culture

II- 2.2.1.1 L’école : mise en abîme

En questionnant la place de l’école dans l’acquisition du concept de la mort, il est très intéressant de penser à l’image de l’école au sein des albums de littérature de jeunesse. La plus révélatrice, est celle de D. de Saint Mars et Serge Bloch dans la série Max et Lili, Lili a peur de la mort111. Voici ce que nous découvrons pour la quatrième de couverture :

109 Christophe Honoré, Je joue très bien tout seul, coll. Mouche, l’école des loisirs, Paris, 1997 110 Christophe Honoré, Je joue très bien tout seul, coll. Mouche, l’école des loisirs, Paris, 1997, p. 60 111 D. de Saint Mars, Lili a peur de la mort, Calligram, série Max et Lili, ainsi va la vie, 2009

73 « L’histoire :

Après avoir vu un accident, Lili n’arrête pas de peser à la mort. Elle refuse même d’aller sur la tombe de son grand-père ? Va-t-elle retrouver l’envie de s’amuser ? Le sujet :

Ce livre de Max et Lili parle de la mort qui fait peur, car on ne peut pas l’empêcher, on ne la comprend pas et elle nous sépare de ceux qu’on aime.

La réflexion :

Une histoire pour apprendre comment vivre avec cette idée qu’on va mourir un jour … En n’y pensant pas ? En se révoltant ? En acceptant qu’on fait partie de la grande chaîne de la vie ? En profitant de chaque instant pour donner un sens à la vie, pour aimer et agir ? »

C’est donc une bande dessinée qui affiche clairement son dessein : rompre avec le tabou de la mort. Lili est très angoissée par la mort, elle va alors en parler à ses amis qui finalement n’en savent pas plus qu’elle sur le sujet. Elle va aussi en parler avec son frère et ses parents qui ne comprennent pas tellement l’inquiétude de Lili. Max est dans l’humour, il relativise, il voit la mort comme quelque chose de très lointain : « Toi qui te fais facilement des copines… t’as qu’à faire ami-ami avec la mort ! », « Ami-ami avec la mort … mais t’es malade ! Si tu crois qu’elle est gentille, la Mort ! » « Mais pourquoi elle serait méchante ?! », « Qu’est-ce qui te prend ? » « Ben … si tu préfères… Je te l’explose ! KIAÏ !!!112 » Max est dans une relation enfantine contrairement à Lili qui est dans une phase cruciale de sa construction de la représentation de la mort : elle vient de voir un accident. Elle a peur pour Max, pour ses parents, pour son chien et son chat, et pour elle-même. La scène qui se déroule à l’école est introduite par la maîtresse qui inscrit au tableau : « Fête des morts. C’est quoi la mort ? », sans qu’elle ne parle, les élèves en parlent, ils illustrent les questions et les réflexions qui reviennent souvent : « La mort, c’est quand on arrête de respirer ! On est enterré. Et ça nourrit la terre ! », « Ce qui est embêtant c’est de penser qu’après on ne pense plus. On ne peut même plus se dire : « je suis mort ! » ». Au bout d’un certain temps, les élèves interrogent la maîtresse : « Maîtresse est-ce qu’il y a une vie après la mort ? », « certains pensent que oui, ceux qui croient en Dieu par exemple… d’autre pensent que non ! » La maîtresse entame donc un début de réponse, vague et sans vraiment répondre à la question. Elle introduit pourtant que lorsque l’on croit « en Dieu », sous-entendu le Dieu Chrétien on imagine, on croit à la vie après la mort… Mais croire en Dieu ça ne veut rien dire, quel Dieu ? quelle culture ? quelle religion ? N’y a-t-il pas des religieux polythéistes ? N’y a-t-il pas des athées qui pensent qu’il y a une vie après la mort ? Et puis, une vie après la mort ça veut dire quoi ? Réincarnation ? Paradis ? Fantôme ? Le maîtresse se lance dans une séance sur la mort, mais n’a aucunement anticipé le contenu des apprentissages, elle ne se

74 contente pas de travailler sur la fête des morts elle annonce clairement comme objectif de répondre à ce qu’est la mort. Ce qui importait à l’auteur, c’était certainement les interrogations des enfants, de montrer que ce n’est pas propre qu’à Lili, et amener les réflexions qu’on les enfants. Mais qu’en est-il de l’image du professeur des écoles ? La réponse au sujet lui-même du livre n’est absolument pas à la hauteur : « Maîtresse, comment ne pas avoir peur de la mort ? », c’est la problématique de Lili ici, le pourquoi de cette bande dessinée. La maîtresse, plutôt que de rassurer ses élèves et de leur donner une connaissance qui ne se tourne pas uniquement vers l’affectif, semble paniquée : elle se frotte le crâne, écarquille les yeux, pour finalement hausser les épaules et répondre :

« En travaillant bien à l’école !! »

Donc c’est une réponse censée rassurer les élèves qui visiblement ont besoin qu’on leur explique, que l’on réponde à leurs questions et à leurs craintes concernant la mort. Elle laisse les discussions entre les enfants se faire, et finalement la sonnerie retentie et la seule réponse qu’auront les élèves sur l’objectif de la séance c’est cette dernière. Lili rentre avec ses questions et ses inquiétudes, la maîtresse ne lui a rien apporté, si ce n’est que les angoisses de la classe se sont additionnées les unes avec les autres.

Dans cette bande-dessinée, il semble clair que ce n’est pas à l’école que Lili va régler son problème. Pourtant, la maîtresse fait une séance sur cela, mais n’a pas préparé les questions que Figure IX : D. de Saint Mars, Lili a peur de la mort, Calligram, série Max et Lili, ainsi va la vie, 2009 pages 24, 25 et 26

75 l’on pourrait lui poser, ce qui semble absurde. C’est une illustration de l’image que renvoie l’école sur sa capacité, ou plutôt son incapacité, à parler et à éduquer les enfants à la mort.