• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Le paradoxe de la culture

II- 2.2.1.2 La relation avec le parent qui reste

Au-delà de la mort en elle-même, beaucoup d’albums traitent de la relation avec le parent qui reste. Celle-ci n’est absolument pas idéalisée, elle marque la difficulté qu’ont les adultes à vivre avec leur propre chagrin et à gérer celui des enfants. Ceux-ci se retrouvent souvent mis à l’écart, isolés dans des non-dits, ils voient bien que tout change, mais personne ne leur en parle. Mais la plupart du temps ils savent : « Maman est prof au collège, nos vacances on les passes toujours ensemble. Papa est mort.113 »

L’ensemble des sentiments décrits par ces albums sont réalistes.

Tout d’abord l’incompréhension entre les deux êtres endeuillés. Les enfants ne comprennent pas les réactions des adultes : « « Si tu ne pleures pas c’est parce que tu gardes tes larmes à l’intérieur ? » Demande-t-il à son papa.114 » Ils souffrent souvent du manque de la personne

mais aussi de la relation avec ce parent restant. C’est le cas dans l’œuvre de Kitty Crowther, Moi et Rien115, la petite fille qui a perdu sa maman est complètement désemparée face au comportement de son papa, le jardin qu’il entretenait pour sa femme reste à l’abandon, aucun dialogue n’existe avec son enfant. « Le temps passe et papa a toujours autant de soucis. » Ce qui est également récurent, c’est la phase de colère que vivent les enfants, ils vivent la mort de plein fouet, trouvent cela injuste lorsqu’ils prennent conscience du caractère irrémédiable de celle-ci. On retrouve dans les albums des phrases très dures telles que : « Puisque c’est comme ça, bon débarras, j’ai crié à papa. C’est nul de nous laisser comme ça et pas très malin !116 » ou encore les mots du personnage de Christophe Honoré dans je joue très bien tout seul, lorsque celui-ci imagine sa vie d’adulte :

« Je serai un papa qui jouera avec son fils, qui supportera pas l’idée que son fis s’ennuie, se sente seul. Je serais un papa toujours là. Elle me croira et son ventre grossira. »

Nous sentons la détresse de ce jeune garçon qui malgré une colère qui se tourne davantage sur les autres, en veut à son papa de ne pas avoir été là, et de le laisser s’ennuyer. Il se jure que lui

113 Christophe Honoré, Je joue très bien tout seul, coll. Mouche, l’école des loisirs, Paris, 1997, p.15 114 Michel Van Zeveren, T’aurais pu prévenir avant de partir, coll. Paste, l’école des loisirs, 2017 115 Kitty Crowther, Moi et Rien, coll. Pastel, l’école des loisirs, 2000

76

sera un papa toujours là. Il poursuit en parlant de sa maman :

« Je ne sais pas si je serai fier ou jaloux le jour où mon fils appellera maman, la mienne, « mémère ». Je ne sais pas si elle sera contente ou seulement vieille. »

Même dans sa vie d’adulte, le petit garçon pense à sa maman et au cycle de la vie, il sait qu’elle va vieillir, mais il ne sait toujours pas quelles seront ses réactions, et c’est le cas tout au long de l’œuvre, il ne la comprend pas, et elle ne le comprend plus. Elle s’entête à continuer une vie normale, où les mamans n’aiment pas que les enfants s’ennuient : « Encore une après-midi à tuer ! », « Ecoute Louis, va voir là-bas si j’y suis. », « Grattes toi les jambes, ça te fera des bas roses ! » Leur chagrin à tous les deux nuit à leur relation, mais au fur et à mesure du deuil, ils se rapprochent : « Maman me prend dans ses bras. Il y a trois siècles que je ne lui réclame plus, elle répond toujours que ça lui bousille le dos. » L’hyperbole « trois siècles », marque le manque d’affection de ce garçon et de cette maman que les non-dits et le chagrin ont quelque peu séparés. Lors de mes recherches, j’ai été très surprise de voir que cette œuvre qui m’avait beaucoup touchée dans son enjeu : écrire la douleur et les sentiments d’un enfant qui vit un drame, n’était pas bien reçue par les lecteurs.

Sandram47 18 avril 2012

« Un court roman à ne pas mettre entre les mains d’enfants (collection Mouche pour les premières lectures : erreur de l’éditeur ?) Le récit d’un enfant dépressif ? après la perte d’un être cher.

Très dérangeant. Je déconseille.117 »

avis d’adulte lecteur qui rejette le dessein même de l’auteur, alors que les critiques le saluent : « Honoré ne reconnait que la sienne (nécessité) : écrire sur l’incapacité d’écrire, sur ce dont on se sent incapable de rendre compte.118 » Il semble clair que c’est un roman qui révolutionne les écrits sur la mort, mais il semble que le tabou de la société se reflète dans les ressentis de lecture de certains adultes, qui, parce que l’on parle de tristesse, doute même du public auquel il est destiné.

Les albums qui peignent la mort d’un parent, n’hésite donc pas à décrire les relations difficiles qui peuvent s’établir avec le parent endeuillé et le chagrin profond que les enfants ressentent.

117 Commentaire laissé en avis sur le site Babelio, le 18 avril 2012 à propos de l’œuvre de Christophe Honoré, Je joue très bien tout seul, 1997

77 Se mettre à leur place pour mieux les comprendre et ne plus se cacher derrière l’idée qu’ils y sont hermétiques. C’est un constat récurant dans de nombreuses œuvres. Montrer l’incompréhension ne permet-elle pas de mieux accompagner les enfants victimes de drames ?