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Chapitre 2 : Le paradoxe de la culture

II- 2.2.4 La métaphore pour dire le deuil

Afin d’édulcorer un tel sujet, certains albums choisissent de prendre un parti pris poétique. Edulcorant dans l’image mais pas dans le fond. Mais à travers eux, des images mentales se créaient, laissant une grande place à l’imaginaire pour un sujet dont nous n’avons pas toutes les clés.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit l’album de Claude Ponti, l’Arbre sans fin103. Tout

comme les œuvres citées précédemment, la mort de la grand-mère d’Hippollène va être le déclencheur d’un voyage initiatique. « Elle est là, et il n’y a plus personne dedans », face à cette perte l’héroïne va décrire « un grand trou dans son amour », « elle est si triste, si triste toute entière qu’elle se transforme en larme.104 » Elle va alors tomber de la maison et partir pour un immense voyage à travers l’arbre sans fin, représentation de l’aspect cyclique de la vie, mais aussi du long processus du deuil. La vie y est vue comme une continuité qui ne cesse de se renouveler à travers une passation générationnelle. Mais c’est cet arbre et ces rencontres incroyables qui vont décrire le deuil et la tristesse de la petite créature mais aussi son appréhension du monde et de ce qu’est la mort.

100 Edgar Rice Burroughs, Tarzan chez les singes, Fayard, 1926

101 Rudyard Kipling, le livre de la jungle, Macmillan Publishers, Londres,1894

102 Réal.Roger Allers et Rob Minkoff, Scénario Irene Mecchi Jonathan Roberts et Linda Woolverton, The lion king, Walt Disney Pictures, 1994

103 Claude Ponti, l’arbre sans fin, L’école des loisirs, 1992 104 Claude Ponti, l’arbre sans fin, L’école des loisirs, 1992, p.16

69 C’est dans cette catégorie que s’inscrit aussi l’une des œuvres de mon corpus didactique : Il faut le dire aux abeilles105. C’est un album pour les jeunes enfants (à partir de 6ans) qui est illustré par des photographies de nature centrée autour du jardin. La ruche et les abeilles, qui sont pourtant au centre du texte, ne sont qu’accessoire au milieu de ces fleurs et de cet ours en peluche qui trône au milieu des champs. Les photographies vont troubler le texte, jusqu’à nous pousser à véritablement l’interroger : Parle-t-on vraiment des abeilles ? Le texte nous interroge, nous met en garde, il nous parle directement, passant par un « on » très généralisant, puis à une apostrophe directe à travers des questions oratoires « Tu ne crois pas ? ». C’est un album qui interroge le fait même de parler de la mort aux enfants, de leur expliquer sans tourner autour du pot. C’est une manière habile de faire comme si nous avions une véritable discussion avec les enfants, sur la mort d’un apiculteur et le fait qu’il faille le dire à ses abeilles, qu’elles peuvent comprendre et que pour leur bienêtre il faut avoir le courage de le dire. A travers cela, c’est aussi faire comprendre aux élèves que derrière l’apiculteur, il peut y avoir un papa, et derrière les abeilles il peut y avoir des enfants. Nous y trouvons les différentes étapes du deuil, le temps qui passe, et un jour, la joie qui revient dans le jardin, l’envie de vivre à travers un nouveau souffle, et le désir d’offrir un nouvel apiculteur bienveillant à ces abeilles.

« Si on ne leur dit rien, elles ne comprennent pas ce qui se passe, pourquoi il ne vient plus les voir. Elles volent dans tous les sens, elles sont perdues, énervées aussi. Parfois même elles s’en vont, elles partent au loin toute ensemble ; un matin la ruche est vide et on ne sait pas pourquoi. Quand un apiculteur meurt, il faut aller le dire à ses abeilles, elles ont le droit de savoir. Inutile de leur raconter qu’il est parti pour un long voyage ; inutile de faire semblant que c’est une bonne nouvelle ; inutile de prétendre qu’il est au ciel et s’amuse avec les anges. On ne sait pas. Ça on peut leur dire. On peut dire aux abeilles qu’on ne sait pas. On peut aussi leur dire qu’on est triste, qu’on pense à lui tout le temps et qu’il nous manque. Et puis qu’on ne sait pas quoi faire de soi, dans la maison qui semble vide même si elle ne l’est pas. On ne sait pas quoi faire de ses mains de ses mots, on ne sait plus où poser tout ça, a quoi ou à qui ça peut encore servir si ce n’est plus à lui. C’est comme si on avait perdu le mode d’emploi. Il faut leur dire que c’est bizarre pour nous aussi que tout continue comme avant, le soleil, la pluie, le matin puis la nuit. Et le grand lit aussi. Il faut le dire aux abeilles, elles peuvent comprendre, il n’y a pas de raison. 106 »

Comme une fable, les abeilles viennent amoindrir la tristesse. C’est tout comme si on parlait d’enfants, mais les abeilles apportent un supplément poétique, c’est un album qui fait réfléchir

105 Sylvie Neeman et Nicolette Humbert, Il faut le dire aux abeilles, La joie de lire, 2011

70 les enfants, ils ne prennent pas la métaphore comme telle : ils repèrent les indices.