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B ] LE MODELE DE LA BOUCLE PHONOLOGIQUE.

2 2 3 UNE STRUCTURE COMPOSITE COMME COMPROMIS ?

B ] LE MODELE DE LA BOUCLE PHONOLOGIQUE.

La Boucle Phonologique a été longuement étudiée. C'est un système relativement passif qui stocke le matériel verbal ou prononçable de manière ordonnée. La Boucle Phonologique a deux composantes, une unité de représentation et un mécanisme de contrôle. L'unité de stockage phonologique contient temporairement des informations mais ne peut plus les récupérer au delà d'une seconde et demie environ, ce qui reflète la durée limitée de l'activation des informations dans cette unité. Les stimuli présentés oralement y accèdent directement. Dans cette unité, les informations sont stockées sous forme phonologique c'est à dire ni visuelle ni sémantique.

Entrées auditives Entrées non auditives Registre de stockage à court terme phonologique Répétition subvocale

Figure 5 : Le modèle de la Boucle Phonologique d’après Baddeley (1986).

Le mécanisme de contrôle articulatoire rafraîchit les traces mnésiques contenues dans l'unité de stockage phonologique par une sorte de lecture continue qui les renvoie dans le registre de stockage. Ce processus convertit aussi les stimuli écrits ou les images en code phonologique de façon à ce qu'ils puissent être stockés dans l'unité de représentation. On peut imaginer une sorte de bande son qui boucle dans un intervalle de une à deux secondes. Ceci rend compte du nombre limité d'informations qui peuvent être contenues en même temps et c'est un facteur essentiel pour expliquer la performance. On parle de répétition "subvocale".

Cette architecture à deux composantes rend compte de phénomènes expérimentaux fréquemment rencontrés comme l'effet de similarité phonologique ou l'effet longueur des mots liés à la structure même du matériel utilisé. Elle est soutenue par l'effet d'interférences comme l'écoute inattentive ou l'articulation concurrente. Les découvertes de la neuropsychologie soutiennent également cette division puisqu'on trouve des patients dont les déficits correspondraient à l'une ou l'autre des deux composantes de la Boucle Phonologique. Dès lors, il a été supposé un recouvrement entre le processus de mémoire verbale à court terme et le système dévolu au traitement et à la production de la parole. Cette assertion est restée la toile de fond de toutes les études de la Boucle Phonologique.

Un processus basé sur la réponse.

La Boucle Phonologique a été considérée comme un processus basé sur la réponse en raison de la présence de deux effets en mémoire immédiate verbale qui se trouvent correspondre à des caractéristiques de la parole, l’effet de similarité phonologique et l’effet longueur de mots.

Les items proches sur le plan phonologique comme "b, d, t" ou "mad, map, man, can" sont moins bien rappelés que les items non similaires sur le plan phonologique comme "k, z,

h", même s'il sont proches au niveau sémantique, comme "huge, long, tall, big" ou proches au niveau orthographique comme "rough /raf/, dough, /deou/, bough /baou/, through / rou/" (Baddeley, 1966 c). Ces résultats indiquent que la performance de mémoire immédiate verbale n'est pas sensible aux aspects de similarité orthographique ou sémantique. Conrad et Hull (1964) ont montré que cet effet de similarité existait avec du matériel présenté visuellement. Ceci soutient l'idée que le phénomène, appelé effet de similarité phonologique, n'est pas lié à des confusions auditives.

Les effets perturbateurs de la similarité phonologique sur la performance de mémoire immédiate s'expliquent dans le modèle de Mémoire de Travail par une perturbation du registre phonologique. Les items verbaux y seraient stockés sous une forme phonologique, forme qui facilite la confusion quand les sonorités sont semblables. Salamé et Baddeley (1982) ont suggéré que les représentations phonologiques des items mnémoniques sont exposées à une perte partielle de leurs traits, donc des phonèmes, par le déclin ou l'interférence. L'effet plus drastique de l'interférence par des stimuli proches sur le plan phonologique s'expliquerait par le fait qu'il y aurait moins de traits qui permettent de discriminer les items similaires, une perte partielle serait plus délétère quand elle se produit sur un nombre de traits réduit3.

La performance de mémoire immédiate est influencée par la longueur des mots, on retient moins de mots longs (de cinq syllabes, par exemple) que de mots d'une syllabe (Baddeley, Thomson et Buchanan, 1975). Ce phénomène appelé effet longueur de mots se produit quel que soit le mode de présentation (auditif ou visuel), il serait lié à la durée d'articulation des items et non à leur nombre de syllabes. Le fait que le facteur déterminant soit la durée réelle de prononciation des mots et non le nombre de syllabes a été testé dans la langue anglaise qui comporte des voyelles courtes et des voyelles longues, expérience plus difficile à réaliser dans la langue française car cette différence n'existe pratiquement pas (Baddeley et al, 1975 ; Ellis et Hennelley, 1980 ; Naveh-Benjamin et Ayres, 1986). Le temps de lecture des stimuli corrèle aussi fortement (r = .685, p<.005) et de manière linéaire avec le niveau de performance de mémoire (Baddeley et al, 1975).

Ce phénomène dépendrait du processus de répétition subvocale supposé fonctionner en temps réel. Les mots les plus courts à produire sont aussi les plus courts à répéter, tant au niveau subvocal qu'au niveau de la prononciation à haute voix. Si les mots sont longs, le mécanisme en rafraîchit moins et le contenu de l'unité de stockage phonologique sensible au déclin perd plus de stimuli. Les représentations seront de plus en plus sensibles au déclin au fur et à mesure que leur longueur augmentera.

3 Par exemple, perdre le phonème /t/ du mot "TAS" rend ce mot impossible à discriminer des mots "BAS" ou "CAS" mais pas des mots "SON" ou "LIE". Cette difficulté de discrimination est supposée se produire au moment de la récupération (Baddeley, 1966 a, c).

Deux interférences spécifiques à l’appui du modèle.

Les investigations de la Boucle Phonologique ont été largement aidées par la présence de tâches interférentes de choix, la suppression articulatoire et l'effet de stimuli non pertinents.

La présentation d'un flux de paroles non pertinent durant la présentation du matériel perturbe la mémorisation de stimuli verbaux (Colle et Welsh, 1979). Cet effet se produit quel que soit le mode de présentation des stimuli. Des études complémentaires de Salamé et Baddeley (1982) montrent que le rappel d'une série de chiffres est perturbé par l'audition d'un matériel verbal non pertinent bien qu'on annonce au sujet qu'il doit ignorer le message entendu. Les auteurs trouvent que lorsque les stimuli non pertinents sont similaires au matériel à retenir au niveau phonologique, la perturbation est plus marquée. La perturbation apportée par les stimuli non similaires est significative mais de plus faible ampleur. Lorsque le matériel de la tâche interférente est constitué de matériel similaire à celui de la tâche principale ou de pseudo-mots construits sur la même base phonologique l'effet est très drastique mais de manière similaire dans les deux cas. Le degré de similarité phonologique et non les aspects lexicaux ou sémantiques semblerait donc le facteur déterminant.

Ce phénomène appelé effet du discours entendu et non écouté (en anglais, irrelevant speech effect) soutient l'idée que les stimuli oraux accéderaient directement au registre de stockage phonologique. Cet accès provoquerait une interférence avec le matériel pertinent contenu également dans le registre et viendrait de ce fait provoquer une chute de la performance (Salamé et Baddeley, 1987 ; 1989). Nous pouvons souligner que les effets des stimuli non pertinents ont été étudiés sur la performance du rappel de l'ordre de stimuli et qu'il semble que des caractéristiques triviales puissent alors jouer un rôle majeur (e. g., Jones, Macken et Murray, 1993).

La technique de suppression articulatoire consiste à faire répéter au sujet des sons non pertinents simultanément avec une tâche principale. La prononciation continue de syllabes simples telles que "la, la, la" ou une suite de chiffres pendant une tâche de mémoire immédiate fait chuter la performance (Levy, 1971 ; Murray, 1968 ; Peterson et Johnson, 1971). Ce phénomène appelé suppression articulatoire se produit quel que soit le mode de présentation, auditif ou visuel, du matériel.

Ce phénomène pourrait être lié au fait qu'il empêche les sujets de répéter le matériel pertinent, il gênerait le fonctionnement du processus de répétition subvocale. En conséquence, le maintien des éléments qui se trouvent dans le registre phonologique ne serait pas assuré et la transformation des items visuels en code phonologique ne pourrait pas être réalisée (Baddeley, Grant, Wight et Thomson, 1975 ; Baddeley, Lewis et Vallar, 1984).

Mais la suppression articulatoire ne provoque pas une simple diminution de la performance, des effets particuliers apparaissent qui vont signer le fonctionnement de la Boucle Phonologique.

L'effet longueur de mots et la suppression articulatoire sont supposés dépendre tout deux du processus de répétition subvocale. Lorsqu'on les fait réaliser simultanément, l'effet longueur de mots disparaît quelle que soit la modalité de présentation des stimuli. La suppression annihile l'effet longueur de mots lorsqu'elle a lieu pendant la présentation et le rappel pour les stimuli présentés oralement (Baddeley et al, 1984) alors que la suppression pendant la seule phase de présentation suffit à annihiler l'effet longueur avec une présentation visuelle du matériel pertinent (Baddeley, Thomson et Buchanan, 1975). Ces résultats sont interprétés comme montrant que le processus de contrôle articulatoire est neutralisé par la suppression articulatoire, il n'y aurait alors plus de répétition subvocale donc pas d'effet longueur des mots puisque celui-ci est lié au seul fonctionnement du mécanisme de répétition.

Dans le modèle, l'effet de similarité phonologique est lié à des confusions dans l'unité de stockage phonologique. Il disparaît sous suppression articulatoire quand les items sont présentés visuellement mais pas quand ils sont présentés oralement (Baddeley et al, 1984 ; Levy, 1971 ; Peterson et Johnson, 1971). Ces résultats sont interprétés de la manière suivante. Sous suppression articulatoire, les items présentés visuellement ne sont pas convertis en code phonologique par le processus de contrôle articulatoire occupé à répéter le matériel non pertinent, il est donc normal que l'effet de similarité phonologique disparaisse. Mais lorsque la présentation est auditive, le matériel arrive directement à l'unité de stockage phonologique sans utiliser le processus de répétition, la performance est donc sensible à l'effet de similarité phonologique. Nous soulignons néanmoins que le matériel n'est pas rafraîchi dans ce cas, il devrait donc au moins se montrer sensible au déclin de la trace.

La suppression articulatoire annule l'effet du discours entendu et non écouté. Salamé et Baddeley (1982) expliquent ce phénomène de la façon suivante. En condition contrôle (sans articulation concurrente), le matériel pertinent présenté visuellement est codé sous forme phonologique, quand on présente un discours inattendu, celui-ci accède aussi à l'unité de stockage phonologique et en altère le contenu, comme on l'a vu. Avec suppression articulatoire, le matériel pertinent n'est pas codé sous forme phonologique, il repose sur une unité de stockage non phonologique. Le discours inattendu, quant à lui, accède toujours à l'unité de stockage phonologique mais il n'y perturbe pas le matériel qui se trouve ailleurs. En revanche, si la présentation est auditive, le discours non écouté fait diminuer la performance même sous suppression articulatoire puisque les informations ne peuvent être stockées sous une forme visuelle (Hanley et Broadbent, 1987).

Nous voyons que Salamé et Baddeley ne réussissent à expliquer leurs résultats expérimentaux qu'en ajoutant une unité supplémentaire au modèle initial, une mémoire

tampon visuelle. Cette unité ne serait utile que dans les cas extrêmes puisqu'elle semblait inopérante lorsque le discours inattendu perturbait la mémorisation de stimuli présentés visuellement (Colle et Welsh, 1979) ou lorsque la suppression articulatoire gênait la transformation des items visuels en code phonologique (Baddeley, Grant, Wight et Thomson, 1975 ; Baddeley, Lewis et Vallar, 1984), cas où elle aurait pu apporter une aide substantielle. L'arrivée à point nommé de cette unité de stockage visuelle à court terme nous donne l'impression d'un colmatage rapide du problème alors qu'une réelle révision du modèle de la Boucle Phonologique nous aurait paru souhaitable.