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Nous avons pu voir que l'existence d'une mémoire immédiate verbale avait été mise en évidence tardivement. Au niveau fonctionnel, l'écologie de ce processus ne peut faire de doute car nous savons qu'au quotidien, il est souvent nécessaire de retenir avec précision une petite quantité d'informations pour un temps très court. La mémoire immédiate a très vite soulevé des polémiques car elle est un moyen de retenir à court terme des informations mais elle est aussi impliquée dans les tâches complexes qui nécessitent elles aussi un maintien à proximité d'informations en état d'activation.

Au niveau théorique, la conceptualisation de la Mémoire de Travail non seulement ne fait pas l'unanimité, la question de la nécessité de postuler deux processus de mémoire immédiate séparés ou un seul processus impliqué dans les situations de rappel explicite et de traitement n'a jamais abouti à un consensus, mais l'imperfection des modèles proposés ne nous permet pas d'en accepter pleinement un seul. Leur complémentarité renforce nos velléités et leurs divergences sont difficiles à embrasser d'un unique point de vue.

Il est plus économique de ne postuler qu'un système à capacité limitée. C'est ce que font les auteurs qui supposent un seul système pour toutes les opérations mnémoniques (e. g., Cowan, 1988). D'autres font l'hypothèse d'une mémoire subdivisée mais ne postulent qu'un seul processus de mémoire immédiate impliqué dans les tâches de rétention à court terme et dans les tâches complexes (e. g., Anderson, 1983). Ces conceptions paraissent plus écologiques que les modèles "à boîtes". Cette position est soutenue par des résultats expérimentaux comme ceux de LaPointe et Engle (1990) qui trouvent que l'effet longueur de mots se retrouve aussi bien dans une tâche de rappel simple supposée dépendre de la Mémoire à Court Terme que dans une tâche d'empan de lecture (Daneman et Carpenter, 1980) et dans

une tâche d'empan arithmétique (Turner et Engle, 1989) supposées dépendre de la Mémoire de Travail. Ces résultats questionnent les théories qui soutiennent que ces tâches différentes relèvent de processus différents, d'autant que les auteurs trouvent que les tâches d'empan simple prédisent toutes la performance à la compréhension de lecture (Verbal Scholastic Aptitude Test) avec des corrélations aussi élevées qu'avec les tâches complexes.

En revanche, de nombreux arguments soutiennent la dissociation des tâches de Mémoire à Court Terme et des tâches de Mémoire de Travail. Ces arguments sont issus de domaines aussi variés que la psychologie différentielle, la psychologie de développement et la psychologie expérimentale et cognitive. Pour tenir compte de ces données, certains auteurs postulent une distribution des fonctions mnémoniques sur tous les processus de traitement de l'information, on aboutit à un éclatement de la Mémoire de Travail (e. g., Monsell, 1984). D'autres restent plus économiques en ne postulant qu'un seul processus mais en supposant l'existence de traces différentes (e. g., Brainerd et Kingma, 1985).

A la recherche d'un modèle sur lequel on peut s'appuyer, il semble que le modèle hiérarchique de Mémoire de Travail de Baddeley et Hitch (1974) soit le plus heuristique qu'on puisse trouver actuellement, car si son défaut est de proposer des sous-systèmes chaque fois qu'une dissociation apparaît, en revanche, il ne feint pas d'ignorer les problèmes. On peut le concevoir comme un cadre dans lequel la recherche peut être prospère, même s'il présente encore de nombreuses imperfections.

Si la recherche s'est intéressée de prime abord à la mémoire immédiate verbale c'est qu'il paraissait plus évident que "quelque chose" fonctionnait pour retenir momentanément du matériel verbal. Les résultats expérimentaux et les recherches de neuropsychologie ont mis en évidence le fonctionnement spécifique de la mémoire immédiate dans les tâches verbales. Les informations qui peuvent être retenues sont en nombre limité. Un système de rafraîchissement basé sur la parole est supposé les maintenir. La rétention du matériel verbal est influencée par des caractéristiques inhérentes au matériel, comme la longueur des mots et la similarité phonologique. La performance est perturbée par la tâche interférente de suppression articulatoire et par la présentation de stimuli non pertinents dans la modalité auditive. Lorsque l'on couple caractéristiques et interférences, l'on obtient des effets très particuliers qui appuient la conception en deux registres proposée par Baddeley et Hitch (1974).

Mais au niveau fonctionnel, tout n'est pas parfait. Les travaux de Jones semblent remettre en cause la structure en deux modules de la Boucle Phonologique, faisant reposer les effets classiques sur l’intervention de processus de bas niveau (e. g., Jones, 1993). La suppression articulatoire, censée empêcher le fonctionnement du processus de répétition subvocale, n'élimine pas l'effet longueur de mots supposé également être une manifestation du fonctionnement du processus de répétition subvocale (LaPointe et Engle, 1990). Baddeley et ses collègues ont l'habitude, dans leurs expériences, d'utiliser un même ensemble limité

d'items dans chacune des séries et de demander un rappel ordonné (e. g., Baddeley, 1986). Or, LaPointe et Engle montrent que l'effet longueur de mots persiste sous suppression articulatoire quand on propose aux sujets des items différents à chacun des essais alors qu'il disparaît quand, classiquement, on propose des items appartenant à une série de faible étendue qui revient continuellement, et ceci même lorsque les auteurs contrôlent l'aspect concret des mots proposés. Le modèle de Baddeley ne permet pas d'expliquer ce phénomène. Une interprétation possible est que la Boucle Phonologique ne soit qu'une stratégie de codage basée sur l'activité et non une caractéristique structurelle (Reisberg, Rappaport et O'Shaughnessy, 1984). Selon ces auteurs, cette stratégie serait très efficace parce qu'elle serait beaucoup utilisée mais elle pourrait être remplacée par n'importe quelle autre stratégie plus adaptée à une tâche donnée. Ces hypothèses sont renforcées par les recherches en développement qui montrent, que bien qu'au niveau instrumental la répétition pourrait se mettre en place dès cinq ans puisque l'effet longueur de mots existe à cet âge lorsque les items sont présentés oralement, cette stratégie n'est spontanément utilisée que vers l'âge de six ou sept ans dans les tâches de Mémoire à Court Terme (pour une revue, Kail, 1984).

Baddeley et Hitch (1974) séparent les tâches en fonction du type de matériel à maintenir, ils séparent notamment les sous-systèmes dévolus à la mémorisation du matériel verbal et du matériel visuo-spatial. Les recherches sur la Mémoire de Travail visuo-spatiale, qui intéressent particulièrement cette thèse seront présentées dans le dernier chapitre, mais, auparavant, nous allons nous pencher sur les recherches et les modèles de mémoire visuelle et d'imagerie mentale.

CHAPITRE 2

DE LA MEMOIRE VISUELLE