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1.4.1 Les modèles in vitro de digestion GI

Le tractus GI constitue une interface dynamique entre le milieu extérieur et le milieu intérieur de notre organisme. Outre son rôle digestif, il est bien souvent la voie privilégiée pour l’absorption de molécules pharmacologiques, de polluants ou de contamination par des pathogènes. Face aux nombreux problèmes éthiques, techniques et financiers qu’engendrent les études in vivo et cliniques, des systèmes in vitro visant à reproduire le plus fidèlement possible les conditions GI ont émergé depuis ces vingt dernières années dans les domaines de la nutrition, de la toxicologie, de la pharmacologie et de la microbiologie (Guerra et al., 2012). Comme présenté dans cette partie, chaque organe de l’appareil digestif occupe un rôle particulier dans la digestion des aliments et se caractérise par des conditions mécaniques et biochimiques particulières. Les trois principaux organes le plus souvent représentés dans ces systèmes sont la bouche, l’estomac et l’intestin grêle simulés indépendamment ou successivement. Le modèle de digestion GI in vitro tend à les reproduire par l’utilisation séquentielle des enzymes digestives, une reproduction appropriée du pH, un temps de transit proche de celui d’un repas, l’action mécanique du tube digestif et enfin les processus d’absorption intestinale et de fermentation bactérienne (Venema et al., 2009). Plusieurs modèles in vitro ont alors émergé se distinguant par le nombre de compartiments représentés (mono- ou pluri-compartimenté) et la modélisation de la motilité GI (statique ou dynamique). Si les deux modèles utilisent bien souvent les mêmes sources enzymatiques (amylase, pepsine, enzymes intestinales et autres) et les mêmes électrolytes pour simuler les sécrétions GI, le modèle dynamique se distingue par la simulation des procédés mécaniques mis en œuvre dans le tube digestif ainsi que par les cinétiques de modification des conditions physico-chimiques ayant lieu in vivo. Le contrôle des paramètres gastro-intestinaux permet de simuler des conditions physiologiques particulières dépendant de l’espèce (humain, chien, porc), de l’âge (jeunes enfants, personnes âgées), des pathologies ou de l’état nutritionnel lié au repas (à jeun ou non). Il a été démontré que les états pré ou postprandiaux de sujets humains avaient des effets significatifs sur le pH, la composition de la bile, le pouvoir tampon et l’osmolalité des fluides digestifs (Kalantzi et al., 2006).

Les modèles statiques mono-compartimentés sont les plus utilisés grâce à leur simplicité de mise en œuvre et leur rapidité. Ils consistent à simuler dans un réacteur thermostaté les

conditions physico-chimiques des différentes étapes de la digestion GI par ajout des enzymes, variation du pH et du temps de résidence. L’agitation est maintenue constante grâce à un barreau aimanté ou une pale. Ces modèles sont essentiellement utilisés pour l’étude de la bioaccessibilité de métabolites secondaires végétaux, de contaminants (Versantvoort et al., 2005) ou pour la digestion des macronutriments (Kopf-Bolanz et al., 2012). Le modèle statique est très fréquemment utilisé pour estimer le potentiel allergène d’une protéine alimentaire lié à sa faible, ou non, dégradation pendant la digestion, lui permettant de survivre dans la lumière du tube digestif et de rentrer en interaction avec le système immunitaire intestinal (Javier Moreno, 2007). La résistance à l’action de la pepsine est souvent l’un des critères avancés, bien que souvent discuté, pour qualifier le potentiel allergène d’une protéine (Wickham et al., 2009). Les études portent fréquemment sur les allergènes issus des protéines de lait (Mandalari et al., 2009), de l’ovalbumine (Martos et al., 2010), de noix (Javier Moreno et al., 2005), de cacahuètes ou de soja (van Boxtel et al., 2008). Cependant, ce modèle reste assez simpliste et ne s’attache pas à représenter les procédés mécaniques digestifs, la progression du chyme dans le tractus ou encore le changement de débit des sécrétions digestives. De plus, les modèles statiques utilisés diffèrent par les ratios enzyme : substrat, le temps d’incubation, les sources enzymatiques et les sources de bile, rendant les comparaisons des protocoles et des résultats obtenus parfois difficiles. Un protocole de digestion in vitro statique mono-compartimenté a récemment été établi s’appliquant aussi bien aux aliments liquides et solides et visant à harmoniser les conditions de digestion GI se fondant sur des données physiologiques. L’utilisation d’un tel protocole devrait permettre de générer des données comparables (Minekus et al., 2014). Pour pallier les imperfections du modèle statique, quelques modèles dynamiques ont été conçus et, à ce jour, le TIM est le modèle de digestion GI in vitro dynamique le plus abouti associant action mécanique et pluri- compartimentation. Développé et commercialisé par l’entreprise néerlandaise TNO, il simule plusieurs paramètres physiologiques tels que la variation temporelle de pH, le transit du chyme, la sécrétion et la composition de fluides digestifs ou encore l’absorption d’eau et de nutriments. Le TIM-1 est constitué de quatre compartiments successifs mimant l’estomac, le duodénum, le jéjunum et l’iléon. Chaque compartiment est connecté à des pompes péristaltiques assurant la mise en mouvement du chyme à l’intérieur du système (Minekus et al., 1999). Le TinyTIM est une version simplifié du TIM-1 et n’est composé que des compartiments gastrique et duodénal (Minekus, 2015). Le TIM-2 simule quant à lui le gros intestin. Il est construit sur le même principe que le TIM-1 et est inoculé avec un microbiote intestinal standard. La validation du TIM-2 a été réalisée grâce à des études cliniques de

digestions GI de plusieurs macronutriments, de survie de probiotiques ou encore, à cause de la non-accessibilité à la flore intestinale du côlon, grâce à l’étude de l’activité et la composition des microbiotes intestinaux de sujets décédés subitement (Venema et al., 2009). Le SHIME (Simulator of Human Intestinal Microbial Ecosystem) est actuellement le seul système à modéliser le tube digestif de l’estomac au côlon de manière continue mais se focalise plus sur les interactions entre les aliments ingérés et le microbiote intestinal. Bien que de nombreux progrès technologiques et scientifiques ont permis d’améliorer la pertinence des modèles de digestion in vitro, plusieurs paramètres physiologiques intervenant dans le contrôle de la digestion ne sont actuellement pas modélisés comme la régulation hormonale et neuronale, la détection du contenu nutritionnel du repas ou l’intervention du système immunitaire (Guerra et al., 2012). Si à l’heure actuelle, aucun modèle ne remplace l’étude in vivo, le récent développement de tissus en 3D dérivant de cellules souches pluripotentes du tube digestif apporte de nouveaux outils de recherche in vitro notamment dans le domaine des maladies digestives ou dans les interactions entre le microbiote et les tissus intestinaux (Dedhia et al., 2016). Leurs applications sont essentiellement limitées à des fins médicales mais pourraient potentiellement être étendues à la modélisation de la digestion GI in vitro.

1.4.2 Les modèles in vitro d’absorption intestinale

La barrière intestinale est en interaction dynamique avec le contenu luminal et ne constitue pas uniquement une barrière physique entre milieu intérieur et extérieur. Comme discuté au paragraphe 1.3.2, elle prolonge la digestion des protéines et des glucides. Elle est le lieu de transport des nutriments vers la circulation sanguine et communique avec le système immunitaire. Son rôle a été particulièrement étudié lors des études de pharmacocinétique qui visaient à suivre le devenir d’une molécule pharmacologique durant l’absorption intestinale (Artursson et al., 2001). Les modèles cellulaires de barrière intestinale in vitro ont été développés afin de pouvoir créer un outil fiable, rapide et peu coûteux. De plus, la mise en place de ces modèles a permis d’augmenter les connaissances sur les mécanismes d’absorption cellulaires et d’établir des stratégies pharmaceutiques afin d’optimiser la conception de nouvelles molécules (Pauletti et al., 1996). Comme la culture in vitro de cellules épithéliales primaires s’est révélée difficile, des lignées cellulaires épithéliales dérivées d’adénocarcinome de côlon ont été isolées et représentent aujourd’hui des modèles représentatifs des situations physiologiques. Les deux lignées les plus utilisées pour la modélisation de la barrière intestinale sont les lignées Caco-2 et HT-29. La lignée Caco-2 a été développée dans les années 70 et présente les avantages de se différencier spontanément

en culture in vitro et d’avoir des caractéristiques morphologiques très proches de celles d’un entérocyte, à savoir une croissance en monocouche, une polarisation avec la présence de microvillosités au pôle apical, des jonctions serrées permettant l’intégrité de la monocouche et l’expression de nombreuses enzymes intestinales comme la DPP-IV ou l’aminopeptidase N (Sambuy et al., 2005). Depuis les années 90, des modèles de cellules Caco-2 ont été utilisés pour étudier l’absorption de nutriments ou de minéraux provenant de digestions GI in vitro d’aliments. Ainsi, de bonnes corrélations avec des études d’absorption in vivo ont été observées comme par exemple lors de l’étude de la biodisponibilité du fer (Glahn, 2009). Ce modèle présente toutefois quelques limites dont l’absence de production de mucus. La lignée cellulaire HT29 est l’autre modèle cellulaire employé pour étudier la barrière épithéliale. Elle présente également des similarités avec des cellules épithéliales matures comme une polarité, l’organisation en une monocouche intègre grâce à la présence de jonctions serrées, la présence de microvillosités en pôle apical et l’expression de plusieurs enzymes de la bordure en brosse. Les activités enzymatiques et la résistance transépithéliale (caractérisant l’intégrité de la barrière cellulaire) sont néanmoins plus faibles que celles exprimées par les cellules Caco-2. La lignée HT29 s’est distinguée comme étant d’une part un bon modèle d’étude des mécanismes moléculaires de la différenciation cellulaire intestinale et d’autre part grâce sa production de mucine. Une exposition séquentielle des cellules au métotréxate (MTX) induit une différentiation en cellules productrices de mucines (HT29-MTX). De même que la lignée Caco-2, la lignée HT29 est un outil remarquable pour le criblage ou l’étude de mécanismes moléculaires et est à utiliser en complémentarité d’études in vivo (Martínez-Maqueda et al., 2015). Les modèles de co-culture de ces deux lignées cellulaires (Béduneau et al., 2014) ou avec d’autres cellules comme des cellules lymphoblastoïdes (Hégarat et al., 2012) améliorent constamment les modèles de barrière épithéliale en prenant en compte un nombre croissant de paramètres physiologiques influençant l’absorption intestinale.