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Dans le cadre de la recherche de peptides bioactifs dérivant des protéines alimentaires, deux approches sont actuellement principalement utilisées : une approche empirique largement répandue et une approche bioinformatique émergente.

4.2.1 Approche empirique d’identification des peptides bioactifs

L’approche expérimentale la plus communément appliquée consiste à isoler des séquences bioactives grâce à l’utilisation combinée de tests biologiques in vitro et de techniques analytiques en suivant la stratégie illustrée Figure 23 (partie gauche du schéma).

Figure 23 : Approches empiriques et bio-informatiques dédiées à la recherche de peptides bioactifs

Inspirée de Udenigwe et al., 2010 et Li-Chan et al., 2015

Les hydrolysats protéiques sont d’abord purifiés, séparés et fractionnés, généralement par des méthodes de chromatographie d’exclusion stérique (SEC), d’échange d’ions (IEX) ou de chromatographie en phase inverse (RP-HPLC). La sélection des fractions d’intérêt par les tests d’activité biologique in vitro est suivie de l’identification des séquences peptidiques par spectrométrie de masse en mode tandem. Les techniques les plus couramment utilisées sont la fragmentation par MALDI-MS-MS ou le couplage d’une séparation préliminaire par chromatographie liquide ou électrophorèse capillaire avec une fragmentation par ESI-MS- MS. La composition en acides aminés des peptides de courte taille a une influence importante sur leur séparation. En effet, un peptide contenant des acides aminés hydrophiles ne sera pas retenu sur la même phase qu’un peptide présentant des acides aminés hydrophobes. Afin de faire face à cette diversité physico-chimique, l’association de techniques chromatographiques complémentaires telles que la phase inverse (séparation selon l’hydrophobie de la molécule sur des phases apolaires) et la phase normale (séparation selon les propriétés hydrophiles de la

molécule sur des phases polaires) peut améliorer l’identification du peptidome (Panchaud et al., 2012). De même, les techniques d’ionisation ESI et MALDI peuvent être utilisées en complémentarité dans une démarche d’identification exhaustive : elles présentent chacune des avantages techniques (couplage avec ESI, empreinte peptidique obtenue par MALDI) et une ionisation peptidique préférentielle (l’ESI ionise plus facilement les résidus d’acides aminés hydrophobes alors que le MALDI joue en faveur des résidus basiques) (Stapels and Barofsky, 2004). Quelle que soit la technique employée, les deux critères cruciaux pour la fragmentation peptidique sont la précision de la masse moléculaire et l’énergie de collision apportée pour la fragmentation de la chaine peptidique. Dans le cas des peptides de bas poids moléculaires, la fragmentation de l’ion parent génère peu d’ions fragments, avec un signal de qualité généralement assez moyen, rendant ainsi l’identification de la séquence parfois ambiguë (Paizs and Suhai, 2005). Afin de contourner cette difficulté, l’utilisation de modèles de prédiction de temps de rétention et de la technologie séparative HILIC (Hydrophilic

Interaction Chromatography) facilite la séparation et l’identification des peptides à bas poids

moléculaire. La technologie HILIC a gagné récemment en popularité, grâce à sa bonne compatibilité avec la spectrométrie de masse utilisant le mode d’ionisation ESI, et trouve parfaitement son application dans le cadre de la peptidomique (Harscoat-Schiavo et al., 2012). Définie en 1990 par Alpert, la technologie HILIC appartient à la catégorie des phases normales, c'est-à-dire qu’elle sépare les molécules selon leur polarité, les interactions hydrogène et électrostatiques (Alpert, 1990) et se prête à la séparation de peptides et d’hydrolysats protéiques (Yoshida, 2004). Le Maux et al. ont ainsi couplé un modèle de prédiction de temps de rétention fondé sur les propriétés hydrophiles des di-, tri- et tétra- peptides avec une analyse HILIC-MS. Cette stratégie analytique a mis en avant la participation de chaque résidu selon sa position dans la chaine (N- ou C-terminal) et a été validée avec l’utilisation d’un hydrolysat de protéines de lactosérum (Le Maux et al., 2015a). Appliquée à des perméats de nanofiltration d’un hydrolysat bioactif de protéines de lactosérum, cette stratégie a permis d’identifier plusieurs peptides bioactifs à courte chaîne (moins de 5 résidus d’acides aminés) et de valider leur potentiel inhibiteur de la DPP-IV (Le Maux et al., 2015b). Enfin, la combinaison de plusieurs technologies chromatographiques complémentaires, en amont de la spectrométrie de masse, est également une solution pouvant améliorer la caractérisation exhaustive d’un mélange complexe, combinant plusieurs propriétés physico-chimiques des peptides à séparer. C’est par exemple le cas de la combinaison RP/HILIC, de plus en plus employée lors de l’analyse des peptidomes, qui

augmente significativement le nombre de séquences uniques identifiées (Fichtenbaum et al., 2016; Vásquez-Villanueva et al., 2016).

Le traitement des spectres MS-MS est effectué par un logiciel de protéomique, soit de novo, soit, à partir de l’interrogation des bases de données permettant la confrontation des potentielles séquences peptidiques dérivant des sources protéiques connues aux spectres de fragmentation. La synthèse peptidique des motifs identifiés constitue l’étape suivante permettant de confirmer, in vitro et/ou in vivo, l’activité biologique de la séquence isolée et de la renseigner dans les bases de données de peptides bioactifs telles que BIOPEP ou PepBank (Sánchez-Rivera et al., 2014). La structure du peptide peut donc servir de support pour la conception d’autres peptides actifs et permet d’étudier les relations structure-fonction pour caractériser l’origine de l’activité biologique du peptide. À partir des séquences identifiées, l’établissement de cartographies peptidiques, représentant la provenance des peptides sur la chaine protéique hydrolysée, fournit une représentation visuelle de l’évolution du peptidome au cours de l’hydrolyse. Elles permettent d’illustrer les zones préférentiellement clivées et les zones conservées de la chaîne protéique et apportent ainsi des éléments de réponse sur le devenir d’une protéine durant sa dégradation. Bien que cette approche empirique soit actuellement la plus fréquemment utilisée, elle ne peut être employée dans le cadre d’une production en masse en un peptide donné (Agyei and Danquah, 2011). De plus, l’activité recherchée n’est parfois pas portée par une seule séquence mais peut résulter de l’action synergique de plusieurs peptides (Udenigwe, 2014).

4.2.2 Approches bio-informatiques d’identification des peptides bioactifs

Avec la démocratisation des outils informatiques, une approche in silico de recherche de peptides bioactifs s’est développée en parallèle de l’approche expérimentale classique (partie droite de la Figure 23). L’objectif est de prédire l’activité biologique d’un peptide, d’identifier les sources protéiques potentiellement précurseurs de ces peptides et de modéliser la libération des peptides ciblés en se fondant sur les sites préférentiels d’action des enzymes grâce à des outils informatiques. Des séquences bioactives ou motifs bioactifs connus dans les banques de données peuvent être recherchés au sein de plusieurs séquences protéiques animales et végétales, permettant de réduire considérablement les tests d’activités biologiques à réaliser et constituant ainsi une approche moins coûteuse (Li-Chan, 2015). Des approches d’arrimage moléculaire (docking) permettent de prédire la liaison du peptide bioactif à des sites spécifiques (récepteur protéique ou enzyme) et de caractériser les interactions impliquées

(Nongonierma and FitzGerald, 2016b). Ainsi, une étude a montré que parmi la quinzaine de dipeptides identifiés in silico pour le potentiel inhibiteur de la DPP-IV, seulement cinq ont été prédits comme étant stables et semblent interagir avec des résidus de tyrosine dans le site actif de l’enzyme (Nongonierma et al., 2013).

Certaines études ont ainsi réalisé un criblage de sources protéiques animales et végétales sur la base de leur capacité à générer des peptides inhibiteurs de la DPP-IV, en recherchant une liste de plusieurs dizaines de séquences identifiées pour leur potentiel inhibiteur. Plusieurs indices sont alors calculés pour chaque source protéique permettant la prédiction de son potentiel à être source de peptides inhibiteurs de la DPP-IV (occurrence des motifs, recouvrement de séquences). Les caséines de lait de vache et les collagènes de viande de bœuf et de saumon ont ainsi été prédits comme de très bonnes sources de peptides inhibiteurs de la DPP-IV (Lacroix and Li-Chan, 2012a). Cependant, cette technique ne permet pas de s’affranchir de la validation in vitro par hydrolyse enzymatique de la source protéique et de la validation de la stabilité des peptides obtenus en conditions GI (Nongonierma and FitzGerald, 2014). La prédiction de l’activité biologique d’une molécule peut être réalisée par la méthode QSAR (Quantitative Structure Activity Relationship), méthode quantitative visant à prédire les activités biologiques d’une molécule en fonction de ses propriétés physico-chimiques (Yousefinejad and Hemmateenejad, 2015). L’activité biologique d’un peptide (ex : IC50,) est

traduite en fonction de sa structure chimique (structure secondaire, charge, enchaînement d’acides aminés) au sein d’un modèle mathématique et permet d’identifier les zones potentiellement actives de protéines alimentaires (Dziuba et al., 2003). Enfin, le docking est une technique intéressante permettant de prédire les interactions entre un récepteur ou une enzyme et une séquence peptidique et d’estimer l’affinité du peptide pour sa cible (score VINA). Toutefois, le potentiel bioactif prédit n’a pas toujours été démontré in vitro et vice

versa. Ceci suggère ainsi que l’interaction entre un peptide et son récepteur impliquerait des

interactions non spécifiques et d’autres sites de liaison que le site actif (Nongonierma and FitzGerald, 2014). Afin de dépasser les limites respectives des deux approches, une approche bio-informatique intégrée a été suggérée. Elle tend à associer à chaque peptide inactif, rejeté par l’étude in silico, une possible activité biologique en identifiant des motifs déterminants (présence de résidus d’acides aminés particuliers, motifs connus) au sein de la séquence (Udenigwe, 2014). Ensuite, la libération du motif bioactif doit se faire par le choix de protéases appropriées et l’activité biologique est ensuite à valider par les tests in vitro avant d’incrémenter les bases de données de peptides bioactifs.