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Modèles théoriques sous-jacents à la rémunération en fonction des prestations

le droit de la fonction publique

III. Modèles théoriques sous-jacents à la rémunération en fonction des prestations

Avant de résumer les modèles théoriques au fondement de la rémuné-ration à la prestation, il convient de définir cette pratique. En effet, les termes sont variés pour désigner des pratiques semblables, mais légère-ment différentes. La rémunération à la performance, appellation la plus fréquente (Performance Related Pay, PRP (OCDE, 2005b), côtoie la rémunération au mérite, elle-même proche de la rémunération en fonc-tion des prestafonc-tions, formule retenue en Suisse en particulier (traducfonc-tion de l'allemand Leistungslohn, figurant dans la loi du 24 mars 2000 sur le personnel de la Confédération 1 ). Dans tous les cas, il s'agit de fonder l'évolution salariale d'un employé public non plus uniquement sur son

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ancienneté, mais en partie au moins sur des éléments dépendant de la manière dont il ou elle s'acquitte des tâches et responsabilités confiées.

Les formulations exactes sont les suivantes:

article 15, alinéa 1, LPers: L'employeur verse un salaire à l'employé.

Le salaire dépend de la fonction, de l'expérience et de la prestation.

article 15, alinéa 3, de l'ordonnance du 3 juillet 2001 sur le per-sonnel de la Confédération 2: L'évaluation personnelle sert de base à l'évolution du salaire, laquelle est opérée en fonction des objec-tifs convenus en matière de prestations, de comportement et de compétences.

Il est intéressant de noter que la fonction exercée, ainsi que l'expérience de la personne considérée, continuent à influencer la rémunération, alors que la prestation vient s'y ajouter. Cette dernière fait l'objet d'une évaluation qui dépend des objectifs fixés, touchant à la fois les presta-tions, mais également le comportement et même les compétences. En référence aux différents niveaux de reconnaissance mis en exergue par

BRUN et DuGAS, nous pouvons relever que ces vecteurs de l'évolution salariale touchent à la fois la personne en tant que telle (notamment ses compétences), mais également son comportement (plus proche de la no-tion de mérite) et bien entendu les résultats obtenus (la nono-tion de perfor-mance au sens strict, ou de prestations) (BRUN & DuGAS, 2005). C'est donc dire que l'appellation rémunération en fonction des prestations, prise au sens strict, peut être trompeuse en ce qu'elle intègre également la notion de mérite, voire même celle de compétences maîtrisées.

L'idée consistant à faire dépendre une partie de la rémunération des agents publics de leurs prestations est sous-tendue par plusieurs mo-dèles théoriques qui montrent le potentiel, mais également les limites a priori de cette pratique. Ces fondements théoriques doivent être connus pour analyser en connaissance de cause les modèles de rémunération en vigueur. Nous avons sélectionné ceux qui nous paraissent les plus per-tinents, en précisant qu'en aucun cas, cette présentation n'a prétention d'exhaustivité.

Tout d'abord, la conception behavioriste du comportement humain, qui met en exergue l'importance du contrôle externe et des renforcements

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(récompenses) pour stimuler et orienter le comportement des employés (BERGMANN & UWAMUNGU, 1997; PERRY & VANDENABEELE, 2008).

Selon cette approche déjà fort ancienne, un individu aura tendance à répéter un comportement pour lequel il reçoit une <<récompense,, par quoi il faut entendre ici une augmentation particulière ou une prime unique attribuée (en fonction de prestations ou de comportements spé-cifiques). Le mécanisme décrit est censé fonctionner dans l'autre sens également, à savoir qu'une personne sanctionnée (par exemple à travers la diminution ou la suppression de son annuité) aura tendance à ne pas reprodnire le comportement problématique en cause.

Deuxièmement, l'approche dite des choix rationnels (rational choices theories), d'inspiration économique, qui a orienté nombre de modèles de motivation au travail (VROOM, 1964; LAWLER, 1973; LAWLER, 1990).

Ce modèle théorique précise que les décisions touchant le comportement individuel sont prises par des personnes qui anticipent les conséquences de leur comportement et la probabilité que ce dernier leur donne accès à des formes de récompenses valorisées (ici, des augmentations salariales).

Ainsi, une personne à qui la hiérarchie promet, en cas d'implication dans un projet particulier qui ne fait pas partie de son cahier des charges, l'octroi d'une prime spécifique ou d'une augmentation plus importante que la norme, aura tendance à accepter plus volontiers que s'il n'y a pas de promesse formulée. Ce modèle, classiquement orienté vers des moti-vations extrinsèques, s'oppose actuellement à la conception intrinsèque de la motivation au sein des services publics, portée par le courant de la Public Service Motivation (PSM), très en vogue (GIAUQUE, RITZ et al., 2011; EMERY & GIAUQUE, 2012). Alors que la motivation extrinsèque n'est pas liée à la réalisation d'une activité pour elle-même, mais à ce que cette activité peut apporter à la personne concernée, la motivation in-trinsèque est liée aux tâches réalisées en tant que telles, pour lesquelles la personne a envie de s'investir. A noter à ce propos que l'articulation entre motivations extrinsèques et intrinsèques, qui sont le plus souvent présentes en même temps chez un individu, donne lieu à divers débats enflammés dans la littérature spécialisée, sous l'appellation de crowding out effect (DECI & RYAN, 2004; FREY & ÜSTERLOH, 2005; PERRY, HONDEGHEM et al., 2010). Il s'agit en particulier de savoir si l'introduc-tion du système de rémunéral'introduc-tion à la prestation est susceptible de faire diminuer la motivation intrinsèque au service public, sujet sur lequel les

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chercheurs ne sont pas unanimes, même si la réponse à cette question a tendance à être affirmative.

Finalement, l'introduction de telles pratiques salariales est également inspirée de la théorie de l'équité (ADAMS, 1965) et de ses nombreuses déclinaisons, notamment à travers la théorie de la justice organisation-nelle (WILLIAMS, 1999; THELEN, 2007). Ces approches mettent en évi-dence une forme de balance, présente en chaque individu, qui met en comparaison ses "contributions, au sens large (tout ce que la personne apporte à l'organisation, son énergie, ses compétences, et bien entendu ses prestations) et les "rétributions, qu'il reçoit en retour de l'orga-nisation (ici également, au sens large, à savoir la rémunération, mais également toute autre marque de reconnaissance formelle et informelle).

La rémunération à la prestation serait dans ce registre issue d'une vo-lonté de mieux équilibrer cette balance "contributions-rétributions,, en adaptant la rémunération aux prestations fournies.

Voyons maintenant les expériences liées à la mise en œuvre de tels dispo-sitifs au niveau international, avant de détailler les pratiques helvétiques.

IV. Principaux constats liés à la rémunération en fonction