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Evolution de la gestion des ressources humaines publique: un accent porté sur

le droit de la fonction publique

II. Evolution de la gestion des ressources humaines publique: un accent porté sur

la gestion des performances

La vague de réformes touchant l'administration publique qui a débuté il y a une bonne vingtaine d'années sous la bannière de la "nouvelle gestion publique •• (NGP) poursuivait différents objectifs, qui ont pour point commun de renforcer le dispositif de gestion en place pour amé-liorer les prestations fournies à la population tout en coutrôlant da-vantage les coûts de production (OCDE, 2005a). Parmi les substantifs fréquemment utilisés pour désigner ces réformes, objectifs, résultats et performances figurent en bonne place, indiquant le souci de finali-ser plus clairement l'action publique, tant au niveau des prestations à fournir que des effets à générer au sein de la société (BoucKAERT &

HALLIGAN, 2008). L'appellation retenue en Suisse allemande pour dési-gner ce mouvement de réforme est très significatif à cet égard, puisque la wirkungsorientierte Verwaltungsführung (ScHEDLER & PROELLER, 2000) désigne une conduite (politique, administrative) des services pu-blics qui vise la production d'effets particuliers permettant de résoudre les problèmes collectifs de la société (sécurité, environnement, précarité, éducation, etc.). En conséquence, l'encadrement et la gestion du person-nel public ont eux-mêmes été adaptés pour orienter plus concrètement le travail des agents publics vers des objectifs susceptibles d'améliorer les performances fournies par les administrations publiques.

Sans rentrer à ce stade dans le débat consistant à questionner ce que recouvre le terme de "performance» dans l'administration publique (FRYER, ANTONY et al., 2009; EMERY, 2011), nous aimerions montrer les répercussions d'une telle conception de la gestion publique sur la gestion des ressources humaines (GRH) mise en œuvre dans l'adminis-tration. En effet, les liens entre la gestion des performances au niveau de 148

l'ensemble de l'administration publique, et la rémunération en fonction des prestations sont nombreux et importants pour que le dispositif in-troduit ait des chances de succès.

Plusieurs rapports et recherches ont été publiés au niveau internatio-nal et font ressortir les tendances principales suivantes (STRACK &

FRANCOEUR, 2008; MEYER-SAHLING, 2009; DEMMIΠ& MOILANEN, 2010) qui soutiennent a priori cette orientation vers la performance (EMERY & GIAUQUE, 2012):

Introduction de dispositifs de pilotage de la GRH, sur la base d'ob-jectifs découlant d'une politique du personnel. Plutôt que la po-litique du personnel ne soit qu'un amalgame d'affirmations sans orientation spécifique, ne permettant aucun pilotage, ou plus sim-plement qu'il n'y ait pas du tout de politique du personnel (EMERY

& LAMBELET-Rossr, 2000), ce premier point met en avant

l'imtance de préciser les grandes orientations que la GRH devrait por-ter, ainsi que les objectifs plus spécifiques à atteindre. Logiquement, dans le contexte qui nous occupe, il s'agirait d'intégrer dans la po-litique du personnel une orientation vers la performance, ainsi que l'introduction d'un système de reconnaissance.

Flexibilisation des types de rapport d'emploi, et simplification de la procédure de licenciement et de résiliation de ces rapports. Sur ce point également, la gestion de la performance peut amener à des besoins nouveaux en effectifs, à affecter de manière flexible en fonc-tion des projets en cours; ou alors à devoir se séparer d'une per-sonne dont les prestations sont manifestement insuffisantes, malgré les efforts de l'intéressé et le soutien que l'employeur lui aurait, par hypothèse, apporté.

Gestion prévisionnelle des compétences, permettant d'anticiper les savoir-faire recherchés, et professionnalisation des systèmes de re-crutement visant à identifier les agents publics les plus compétents pour fournir avec efficacité les prestations attendues.

Gestion de la performance en tant que telle, un dispositif décliné le plus souvent au niveau individuel (EMERY, 2004 ), et qui consiste à préciser les responsabilités confiées aux agents publics, fixer et évaluer des objectifs, et définir des mesures d'amélioration telles que suivre des formations, changer les équipements ou méthodes

YVES EMERY

de travail, etc. Sans un tel dispositif, la rémunération à la prestation n'est tout simplement pas possible; c'est pourquoi il est au centre de la thématique de cet article.

Optimisation du développement des compétences et de l'évolution professionnelle, pour tenir compte des prestations effectivement réa-lisées par les agents publics, ainsi que des besoins de l'organisation qui les emploie. De façon archétypique au sein des corps de police, par exemple, on observe une évolution de la gestion des parcours professionnels et de l'obtention des grades, qui traditionnellement étaient octroyés essentiellement par l'ancienneté. A l'heure actuelle, la progression au sein de la hiérarchie policière est plus largement dépendante des compétences acquises que de l'ancienneté.

Toutes les tendances précédentes impliquent une forte responsabilisa-tian de la hiérarchie, à tous les niveaux, pour être mises en œuvre de manière convaincante. En effet, les cadres seront les porteurs princi-paux de dispositifs de GRH conçus et promus par le service RH, lequel doit pouvoir s'appuyer sur la hiérarchie de proximité pour mettre en œuvre ces nouvelles méthodes (EMERY & GoNIN, 2009).

Nous avons utilisé à dessein l'expression a priori, parce que les hypo-thèses qui sous-tendent ces changements n'ont pas été toujours vérifiées, comme nous le montrerons plus en avant. Si la rémunération en fonction des prestations occupe une place importante dans les projets de moder-nisation et dans la littérature spécialisée, parce qu'elle symbolise l'intro-duction de pratiques de gestion privée dans le secteur public, elle n'en est pas pour autant la pierre angulaire, qui est davantage ce qu'il convient de résumer sous «gestion de la performance», comme le montre les études de l'OCDE (OCDE, 1997; REICHARD, 2002; OCDE, 2005b).

Dans une analyse visant à mettre en évidence l'évolution des administra-tions publiques européennes d'un modèle bureaucratique classique vers un modèle dit post-bureaucratique, DEMMKE et MO!LANEN identifient une quinzaine de critères qui permettent d'évaluer les pratiques de GRH des différents pays comparés (DEMMKE & MO!LANEN, 2010). Parmi ces critères, le système salarial pèse 20%, avec en particulier l'évolution salariale basée sur les performances plutôt que l'ancienneté. Les autres critères concernent la nature des rapports d'emploi (en particulier droit public versus droit privé), la structure des carrières, le système de recru-tement (typiquement par concours dans la bureaucratie, et ouverts sur 150

postulation dans la post-bureaucratie), ainsi que la sécurité de l'emploi.

On notera donc que les éléments touchant spécifiquement à la rémuné-ration sont importants dans l'évolution du modèle bureaucratique, sans toutefois en représenter l'essentiel.

Voyons maintenant les changements intervenus plus concrètement dans les pratiques de gestion de la rémunération des agents publics, toujours au niveau international et sur la base des recherches mentionnées pré-cédemment. Première tendance relevée, la décentralisation progressive des décisions touchant la rémunération individuelle, précisément pour tenir compte des propositions émanant de la hiérarchie de proximité.

La réduction des automatismes de progression salariale est clairement la deuxième tendance, permettant d'intégrer la prise en compte des com-pétences acquises et des prestations fournies par le personnel concerné dans la progression salariale. Pour ce faire, il apparaît que les systèmes d'évaluation des performances des agents publics ont tendance à se gé-néraliser, et que ces systèmes constituent la base la plus importante pour décider de l'octroi de primes ou d'augmentations individuelles. Dès les années 1980, la rémunération à la prestation se répand dans les pays anglo-saxons principalement, alors que la décennie suivante montre une quasi-généralisation de telles pratiques, y compris en Suisse (avec de fortes nuances, comme nous allons le montrer).

III. Modèles théoriques sous-jacents à la rémunération