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Modèles cognitifs de la pathologie schizophrénique

PSYCHOPATHOLOGIE ET THÉORIE DE L’ESPRIT

3. THÉORIE DE L’ESPRIT ET SCHIZOPHRÉNIE

3.3. Modèles cognitifs de la pathologie schizophrénique

3.3.1. Le modèle de Frith (1992)

Traditionnellement, les modèles de la TDE postulent que l’attribution d’un état mental à un sujet se fait sur la base de l’exploitation automatique d’informations périphériques sans accès à la conscience (Leslie et Roth, 1993).

A partir de son observation de la pathologie schizophrénique, Frith (1992) vient rompre avec cette conception en rappelant que seuls les hauts niveaux de traitement du langage sont altérés dans la schizophrénie, mais il précise néanmoins que cela n’écarte pas des difficultés pour les bas

niveaux qui peuvent alors être la conséquence d’anomalies du traitement à des niveaux supérieurs. Le problème ne se situerait alors pas au niveau de la compétence linguistique (traitement de la syntaxe et de la sémantique) mais davantage au niveau de l’usage du langage. Il s’agit d’un déficit au niveau de la compétence pragmatique, les patients schizophrènes ne tenant pas compte du savoir de l’auditeur pour la formulation de leur discours.

Le cadre théorique de Frith (1992) est étroitement basé sur le concept de métareprésentation (MR). Ce concept de MR serait le mécanisme fondamental sous-jacent à la conscience de soi. L’auteur distingue plusieurs mécanismes cognitifs nécessaires à la mentalisation et propose ainsi différents niveaux de représentation :

- les représentations de 1er ordre correspondant aux représentations primaires portant sur l’état physique du monde,

- les représentations de 2nd ordre correspondant aux MR (représentation sur les états mentaux tels que la simulation, la croyance, les désirs).

Ainsi, la MR est une représentation de la représentation et est requise pour n’importe quel type de proposition concernant un état mental (« elle croit qu’il pleut »).

Déjà, en 1991, Frith et Frith proposent l’hypothèse selon laquelle il existerait dans la schizophrénie un déficit en théorie de l’esprit qui serait d’apparition plus tardive que dans l’autisme, mais dont les conséquences se traduiraient, au niveau clinique, par certains points communs, comme le déficit des relations sociales et les comportements stéréotypés (Baron-Cohen, 1995). Pour Frith, le sujet autiste a toujours ignoré qu’autrui dispose d’une vie mentale alors que le sujet schizophrène au contraire, sait parfaitement qu’autrui dispose d’une vie mentale, mais il a perdu l’aptitude à inférer ce que peut être le contenu de cette vie mentale (croyance, intention d’autrui).

Frith distingue trois grands types de MR en fonction de leur contenu : - celles portant sur les états mentaux d’autrui,

- celles portant sur ses propres états mentaux,

- celles portant sur ses propres buts (effet recherché sur le monde réel).

On comprend bien alors en quoi tenir compte des intentions et croyances d’autrui est essentiel au développement d’une TDE et que cela relève de la métareprésentation car il s’agit d’un savoir sur le savoir d’autrui.

D’après le modèle de Frith (1992) sur le dysfonctionnement cognitif schizophrénique, le postulat repose sur une difficulté pour inférer les états mentaux d’autrui chez le patient schizophrène ce qui impliquerait une tendance à lui prêter des intentions erronées. Cette hypothèse

permet d’expliquer les idées délirantes de références et de persécution. De plus, la difficulté à interpréter les états mentaux d’autrui a des répercussions sur les relations sociales et peut contribuer à expliquer certains signes négatifs tels que la pauvreté des affects et l’absence de contacts sociaux (Frith, 1992; 1994).

Plusieurs paradigmes ont été élaborés pour tester ces liens cognitivo-cliniques. Une tâche de Corcoran et al. (1995) dite de «suggestion » montre que les sujets schizophrènes avec idées délirantes de référence, de persécutions et hallucinations à la 3ième personne, et des symptômes négatifs, échouent à repérer l’intention implicite derrière le discours explicite, à la différence des patients ayant des idées de passivité ou encore de ceux en rémission, des sujets psychiatriques et normaux. Ce modèle fait explicitement appel au principe de conscience pour rendre compte de troubles de la régulation de l’action : il postule une métarégulation de l’action par des phénomènes autonomes de conscience, auxquels il attribue une inscription cérébrale sur la base de travaux issus du champ de la neuro-anatomie fonctionnelle (Frith et al., 1991; Mazzoni et al.,1990).

Déjà en 1977, Flavell et Wellman concevaient les activités métacognitives comme des phénomènes d’autorégulation délibérées des conduites et du fonctionnement psychologique. Ainsi, le cadre théorique de Frith (1992) est étroitement basé sur le concept de métareprésentation et est l’héritier, par conséquent, des modèles de métacontrôle conscient de la fonction, d’où découle le processus de contrôle de l’action. En d’autres termes, dans ce modèle, les auteurs font l’hypothèse d’une désorganisation dans la régulation de l’action et invoquent précisément une anomalie dans cette fonction d’auto-représentation de l’action pour expliquer les symptômes schizophéniques. Selon Sarfati (2000a), le modèle de Frith fait rupture avec les modèles traditionnels de la TDE pour lesquels l’attribution d’un état mental à un sujet se fait sur la base de processus de bas niveaux, sans accès à la conscience.

3.3.2. Le modèle de Hardy-Baylé (1994, 2003)

Le modèle de dysfonctionnement cognitif proposé par Hardy-Baylé (1994) permet de rendre compte d’une partie de la symptomatologie schizophrénique, le syndrome de désorganisation (Sarfati, 2000a). Tout comme chez Frith, l’hypothèse principale de ce modèle postule un trouble de l’organisation de l’action chez les sujets schizophrènes (Widlöcher et Hardy-Baylé, 1989) mais l’origine de cette désorganisation dépendrait d’un tout autre niveau, le trouble de l’intentionnalité étant à relier ici à une anomalie cognitive élémentaire : la négligence du traitement du contexte

(Hardy-Baylé, 1997; Passerieux et al., 1997). Ce modèle en cascades peut se résumer de la façon suivante :

1) le déficit des processus élémentaires d’ajustement au contexte provoque un mauvais ajustement de l’action au cadre où elle se déroule,

2) ce mauvais ajustement empêche ou entrave l’attribution de sens et d’intention que le sujet confère à l’action d’autrui après qu’elle se soit déroulée,

3) ces anomalies induiraient, au niveau clinique, un désajustement du sujet placé en situation d’interaction conversationnelle, situation dans lesquelles les contraintes de prise en compte du contexte (par définition mouvant), et d’inférences des intentions d’autrui (par définition implicites cf. Sperber et Wilson, 1986), sont les plus fortes.

Dans un travail plus récent, Hardy-Baylé et al. (2003), en reprenant le modèle de 1994, postulent que deux anomalies sont présentes chez tous les patients schizophrènes désorganisés :

- un déficit d’intégration des informations contextuelles (difficulté à prendre en compte les informations contextuelles dans un sens adapté à la situation). Des arguments expérimentaux appuient cette hypothèse. Passerieux et al. (1995) ont montré une préservation des processus automatiques mais une difficulté des processus intégratifs contrôlés chez les patients schizophrènes désorganisés. Dans le même sens, Besche et al. (1997) ont montré un effet de facilitation contextuelle chez les patients schizophrènes non désorganisés mais ne l’ont par contre pas trouvé chez les patients désorganisés. - un déficit en TDE (difficulté à prendre en compte l’état mental de l’autre). L’équipe de

Frith a fourni des preuves expérimentales montrant que les patients schizophrènes, avec perturbations comportementales telles que les discours incohérents, sont en difficulté pour attribuer des intentions ou croyances aux autres, ce qui n’est pas le cas des patients schizophrènes avec symptômes passifs (Pickup et Frith, 2001). L’idée d’un lien entre la désorganisation et les difficultés d’attribution d’intention a réellement été appuyée par des études statistiques montrant des corrélations entre le niveau de désorganisation et le niveau de réponse correct dans une tâche de TDE (Greig et al., 1999). Une autre étude menée par l’équipe de Hardy-Baylé (Sarfati et al., 1997b; Sarfati et Hardy-Baylé, 1999) a montré que certains patients schizophrènes (désorganisés) ont des difficultés à identifier les intentions des personnages de la bande dessinée. Le type d’erreur de ces patients montre qu’ils tentent de donner du sens aux comportements des autres en

répondant par la réponse la plus fréquente au quotidien au lieu de prendre en compte l’état mental qui le sous-tend et tel qu’il est suggéré par le contexte.

Dans les situations de vie quotidienne, la communication avec les autres requiert une grande capacité à s’adapter au contexte et à attribuer des états mentaux adéquats.

Ces deux processus cognitifs (prise en compte du contexte et de l’état mental de l’autre) qui sous-tendraient la désorganisation schizophrénique ne seraient peut-être pas indépendants. Pour Pickup et Frith (1997), les déficits en TDE et de prise en compte du contexte peuvent renvoyer à un seul dysfonctionnement dans la schizophrénie. Le déficit en TDE pourrait en effet prendre racine dans un déficit clé lié à l’intégration d’informations contextuelles (Harrow et al., 2000). Ainsi, la capacité à prendre en compte les informations contextuelles, qui est considérée comme un processus cognitif élémentaire (de bas niveau), peut avoir des conséquences à un niveau plus élevé (au niveau des capacités de TDE), qui requiert aussi l’intégration du matériel contextuel utile afin de proposer une réponse appropriée (Hardy-Baylé et al., 1994; 1996).

A l’opposé de Frith (1992), Hardy-Baylé (1994) inscrit l’attribution d’intention à autrui dans le même cadre théorique que les modèles traditionnels de la théorie de l’esprit. Elle postule que l’attribution d’un état mental à un sujet n’aurait qu’un accès facultatif et secondaire à la conscience, comme un « output » du traitement de l’information. Selon elle, les verbalisations intervenant au décours de la mise en situation expérimentale sont informatives mais ne coïncident pas systématiquement avec l’exploitation faite des stratégies sous-jacentes.

Les deux modèles présentés ci-dessus supposent que seuls les sujets schizophrènes présentant des troubles du langage et de la communication devraient présenter un déficit d’attribution d’intention à autrui. Ces hypothèses théoriques sont validées par Sarfati et al. (1997a et b) qui ont ainsi montré que seuls les sujets schizophrènes désorganisés avaient des difficultés à reconnaître les intentions et fausses croyances des protagonistes. Par ailleurs, il semble que le déficit en TDE dans la schizophrénie ne soit pas immuable comme dans l’autisme mais au contraire, remédiable sous certaines conditions.

CHAPITRE 3:

INTERFACES POPULATION NEUROLOGIQUE ET