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CONCEPTIONS THÉORIQUES DE LA TDE

4. HYPOTHÈSE DE PLUSIEURS NIVEAUX DE TDE

Un récent travail de Sabbagh (2004) examine les bases neuro-anatomiques de la TDE à partir de travaux réalisés chez le sujet autiste. Plusieurs auteurs s'accordent aujourd'hui pour dire que le raisonnement TDE pourrait regrouper deux processus séparés (voir Tager-Flusberg, 2001). Ainsi, il y aurait d'une part, la capacité à décoder les états mentaux d'autrui à partir de détails directement observables (comme les expressions faciales). Cette aptitude spécifique reposerait sur le circuit orbito-frontal/médial temporal de l'hémisphère droit. D'autre part, il y aurait la capacité à raisonner à partir de l'état mental d'autrui (non visible, impalpable) et cette aptitude reposerait davantage sur les régions frontales médiales gauches.

De manière plus précise, ces auteurs soutiennent l'idée d'une dissociation dans la TDE entre: - le décodage des états mentaux

- et le raisonnement réalisé sur la base des états mentaux.

4.1. Décodage d'état mental et substrat neuro-anatomique (Sabbagh, 2004)

Les émotions sont des états mentaux et les jugements réalisés sur les émotions peuvent être réalisés sur la base d'informations immédiates. Ainsi, des études neuropsychologiques ont montré qu'une atteinte bilatérale de l'amygdale avait un impact sur la reconnaissance d'émotions et principalement la peur (Adolphs et al., 1994; Calder et al., 1996). Hornack et al. (1996) ont montré que des patients avec lésions préfrontales ventrales médiales (incluant le COF) étaient en difficulté pour décoder des émotions à partir d'expressions faciales. Ces travaux vont dans le sens d'une implication des régions frontales orbitaires et temporales médiales (incluant l'amygdale) pour décoder les états mentaux et émotionnels d'autrui (Baron-Cohen, 1995; Rolls, 1996; voir aussi Sabbagh, 1999).

4.2. Raisonnement sur des états mentaux et corrélats neuro-anatomiques

Un nombre important d’études de neuro-imagerie a déjà tenté d’identifier le substrat neuro- anatomique sur lequel repose notre capacité à raisonner sur les états mentaux d’autrui (pour une revue sur la question, voir Frith et Frith, 1999; Frith et Frith, 2001). Généralement, ces études reposent sur des tâches requérant un raisonnement sur des états mentaux. Il s’agit de comparer l’activation neuronale sur ce type de tâche par rapport à des tâches proches, mais ne requérant pas de raisonnement sur la base d’états mentaux. Par exemple, Fletcher et al. (1995) ont réalisé un travail à partir d’un paradigme en PET dans lequel des sujets sains devaient prédire ou expliquer un comportement sur la base d’inférences causales (physiques) ou bien sur la base d’inférences liées à un état mental.

Ces études (voir aussi Siegal et Varley, 2002) mettent en évidence l’implication des régions frontales médiales, particulièrement hémisphériques gauches, dans la capacité à raisonner sur des états mentaux, ce qui renforce l’idée de deux zones cérébrales différentes pour deux processus différents :

- le cortex orbito-frontal et médial temporal pour le décodage des états mentaux, - les aires frontales médiales pour le raisonnement sur des états mentaux.

Selon Sabbagh (2004), une critique peut toutefois être opposée à ces études. L’activation cérébrale est démontrée à partir du débit sanguin et de ses modifications en situation de raisonnement sur des états mentaux (comme les croyances, ou les connaissances personnelles particulières) par rapport à des situations de contrôle. On peut toutefois objecter à ces conclusions le fait que la condition « raisonnement sur des états mentaux » induit nécessairement des représentations plus abstraites que la condition « contrôle ». Ainsi, il est possible que le cortex médial frontal gauche soit particulièrement important pour réaliser des jugements à partir de représentations abstraites et que la TDE en dépend ainsi que d’autres processus abstraits.

Dans ce travail réalisé à partir d’une étude sur des potentiels évoqués, Sabbagh (2004) cherchait à analyser la contribution des régions préfrontales gauches dans le raisonnement sur des états mentaux par rapport à des représentations non mentales et les résultats observés corroborent ceux des études citées précédemment. Il apparaît bien que le cortex médian gauche semble particulièrement impliqué dans la représentation des états mentaux d'autrui.

4.3. Aspects chauds et aspects froids de la mentalisation

D'autres travaux plus récents encore font émerger de nouvelles propositions quant à la conception de la fonction de mentalisation. Coricelli (2005) fait l’hypothèse de deux niveaux de lecture mentale. L'auteur propose un premier niveau, considéré comme un phénomène préconceptuel automatique reposant spécifiquement sur une compréhension primitive du mental de l’autre. Ce niveau serait effectivement basé sur l’imitation précoce, la reconnaissance des émotions et des actions. Le second niveau renverrait à un phénomène conceptuel volontaire (contrôlé) basé sur l’empathie, l’intentionnalité et les hauts niveaux de raisonnement. Il suppose la capacité à pouvoir adopter le point de vue d’un autre quant à la compréhension et l’anticipation d’un comportement.

Ce 1er niveau permet l’accès primaire aux intentions à partir de l’observation des mouvements tandis que le second est basé sur la reconnaissance des émotions et de l’impact de celles-ci.

S’agissant du second niveau, Coricelli (2005) distingue les aspects chauds des aspects froids en fonctions du type d’inférences. Les aspects froids renvoient aux inférences sur des états épistémiques (croyances, désirs, connaissances) sans implication affective. Les aspects chauds renvoient à des inférences sur les états affectifs des autres, cela passe par l’empathie.

La reconnaissance de l’action et des émotions (1er niveau : automatique, inconscient,

conscient, conceptuel). Ce 1er niveau permet à un sujet de se construire ses propres représentations des autres nécessaires pour la TDE.

Cette approche de lecture mentale à deux niveaux est en contraste avec l’idée d’un module TDE unique.

Dans la cognition sociale, les concepts d’empathie et de TDE sont deux processus importants.

La TDE renvoie à la capacité à attribuer un état mental à un autre tandis que l’empathie renvoie à la capacité de deviner les expériences émotionnelles de l’autre. La base de la TDE est de pouvoir nous imaginer à la place de l’autre c’est à dire utiliser notre pensée propre pour simuler les processus mentaux qui opèrent dans l’esprit d’autrui. Cette compétence nous permet de comprendre les états mentaux (intentions, buts et croyances) et serait spécifique à l’être humain.

L’empathie renvoie au cas spécifique de la simulation des émotions et permet de partager le ressenti et les émotions des autres (basiques et complexes). Elle permet d’adopter un comportement altruiste (partage des affects, attribution d’état mental, contrôle de l’action, imitation) ; cependant, il ne s’agit pas uniquement d’un partage car l’état mental de l’autre doit pouvoir être perçu comme distinct de son propre ressenti. Pour Decety et Lamm (2006), l’empathie est la capacité à faire l’expérience et à comprendre ce que les autres pensent sans confusion avec soi-même.

Pour Preston et de Waal (2002), l’observation ou l’imagination d’un état émotionnel singulier chez l’autre active automatiquement une représentation chez l’observateur qui va associer des réponses automatiques et somatiques.

L’empathie dépend de structures cérébrales se développant plus précocément et est donc fonctionnelle plus tôt dans le développement que la TDE. On peut aussi considérer qu'il existe différents niveaux d’empathie. Le 1er est de comprendre ce que ressent l’autre quand il ressent la même chose (congruence). Ce niveau est basé sur sa propre représentation d’un état personnel (structures limbiques). Le 2nd niveau est de comprendre ce que ressent l’autre quand il ne ressent pas la même chose. Ce niveau nécessite une capacité de mentalisation (structures préfrontales et temporales).

Les différents travaux qui se sont développés autour de ces concepts d’empathie et de TDE ont émergé des recherches effectuées en primatologie et en psychopathologie, l’objectif majeur étant de contribuer à mieux comprendre l’origine des troubles du comportement et ainsi de mieux les appréhender. Actuellement, la tendance générale est d’opposer deux approches explicatives sur cette capacité de « lire » les autres esprits. Il s’agit d’une part de l’approche liée à la notion de « simulation » et d’autre part, de l’approche liée à la notion de « théorie-théorie ».

5.APPROCHESEXPLICATIVESDELATDEETDEL’EMPATHIE