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QUELS LIENS EXISTE IL ENTRE THÉORIE DE L’ESPRIT ET FONCTIONS EXÉCUTIVES ?

CONCEPTIONS THÉORIQUES DE LA TDE

3. QUELS LIENS EXISTE IL ENTRE THÉORIE DE L’ESPRIT ET FONCTIONS EXÉCUTIVES ?

Il est aujourd’hui admis que l’émergence de hauts niveaux de conscience (conscience de soi et TDE) est associée au développement des niveaux exécutifs, en particulier le contrôle inhibiteur, la flexibilité mentale, le raisonnement et la mémoire de travail (Perner et al., 2002), ce qui est

cohérent avec l’idée selon laquelle les lobes frontaux jouent un rôle important dans tous ces domaines. Toutefois, les données actuelles concernant le lien potentiel entre le fonctionnement exécutif et la TDE sont quelque peu controversées et ne permettent pas pour l’instant d’aboutir à un consensus. Bien qu’une atteinte de ces différents niveaux puisse coexister, cela ne démontre pas que ces aspects dépendent les uns des autres.

3.1. Hypothèse d’une indépendance fonctionnelle de ces deux niveaux

Les études d’imagerie cérébrale ne confirment pas le fait que les tâches de TDE ou mentalisation impliquent des niveaux de résolution de problème comparables à ceux requis en tâches évaluant les fonctions exécutives (FE). On sait que beaucoup de tâches exécutives activent le cortex cingulaire antérieur (CCA). Duncan et Owen (2000) ont montré que la partie dorsale du CCA était associée à la difficulté de la tâche. Or, lors des tâches de mentalisation, les activations semblent plus antérieures et concerner davantage le cortex paracingulaire antérieur (CPCA) que le CCA. Des études lésionnelles de patients vont dans le sens d’une distinction entre tâches exécutives et tâches de TDE. Ainsi, des patients peuvent être très dysexécutifs mais rester performants en tâches de mentalisation (Varley et al., 2001). De même, Tager-Flusberg et al. (1997) rapportent que des enfants souffrant d’un syndrome de Prader-Willi peuvent échouer aux tâches exécutives mais réussir les tests de TDE (tests de fausses croyances) ce qui suppose donc que les fonctions exécutives ne sont pas indispensables au fonctionnement de la TDE. Bird et al. (2004), à partir de l’étude d’un cas, ont montré qu’un patient peut présenter un syndrome dysexécutif sans déficit de TDE associé. A l’opposé, Fine et al. (2001) ont montré un profil inverse chez un patient ayant reçu un diagnostic de schizophrénie et de syndrome d’Asperger. Ce patient manifestait des difficultés réelles en tâches de TDE (tâches de fausses croyances, de compréhension d’humour) mais restait performant en tâches évaluant les fonctions exécutives. Morris et al. (2003) ont aussi montré chez des patients porteurs de lésions du cortex préfrontal une indépendance entre ces deux niveaux que sont la TDE et le fonctionnement exécutif. Des perturbations de la TDE ont été observées indépendamment de toutes perturbations exécutives chez des malades porteurs de lésions de certaines régions frontales touchant notamment le cortex orbito-frontal et l’hémisphère droit. Mais il est possible d’observer une association de ces troubles (fonctions exécutives déficitaires et compétences en TDE altérées) sans que ces deux types de dysfonctionnement n’apparaissent liés sur un plan statistique (Rowe et al., 2001; Havet-Thomassin et al., 2006b). Ces différents travaux

tendent à montrer que les deux niveaux (TDE et FE) sont indépendants bien que relevant tous deux des régions frontales.

Ainsi, pour certains auteurs (Frith et al., 1991; Leslie et Roth, 1993; Baron-Cohen, 1995; Frith et Frith, 1999), la théorie de l’esprit renvoie à un domaine spécifique reposant sur un substrat anatomique précis, ce qui corrobore l’hypothèse modulaire de la TDE soutenue par Happé et al. (2001).

Néanmoins, d’autres travaux objectivant des corrélations entre le fonctionnement exécutif et les performances en TDE d’enfants autistes (Zelazo et al., 2002) et d’enfants au développement normal (Hughes, 1998) sont venus remettre en question l’hypothèse strictement modulaire de la TDE.

3.2. Hypothèse d’une étroite dépendance entre fonctions exécutives et TDE

Pour certains chercheurs, la TDE fonctionne sur une analyse logique de la situation comme pour les tâches exécutives. Ainsi, ils postulent que les informations sur les états mentaux relèvent des fonctions cognitives générales appelées fonctions exécutives. Ils font l’hypothèse que la TDE se développe en parallèle des autres compétences cognitives comme la mémoire de travail et les fonctions exécutives (Perner, 1998; Perner et Lang, 2000; Carlson et Moses, 2001; Carlson et al., 2002, 2004a et b; Goukon et al., 2006; Pellicano, 2007). La TDE nous sert à développer des états mentaux pour nous-même et les autres. Il faut pour cela disposer de capacités multiples permettant d’imaginer, de sentir, de prévoir le comportement d’autrui. Il faut aussi tenir compte du monde extérieur et pouvoir distinguer les apparences de la réalité (Vuadens, 2005). Or, pour exécuter une tâche de TDE, il faut d’abord la comprendre et pouvoir contrôler ses propres états mentaux.

De cette conception émergent deux positions différentes quant aux relations entre fonctions exécutives et théorie de l’esprit.

- La première, essentiellement soutenue par Ozonoff et al. (1991), Russel (1996, 1997), Ozonoff et McEvoy (1994), Carlson et Moses (2001), Carlson et al. (2002, 2004a et b), Goukon et al. (2006), Pellicano (2007), suppose que le développement des fonctions exécutives permet celui de la TDE chez l’enfant ou en tous les cas optimise son développement. Ainsi, Hughes et Russel (1993) déjà soutenaient l’idée que la reconnaissance des croyances des autres requiert un fonctionnement exécutif développé, défini comme un système permettant ainsi à l’esprit de se

dégager de l’entrée actuelle et de former des plans d’action. Ils postulent alors que la TDE peut être secondaire du système exécutif.

Pellicano (2007) a récemment montré auprès de 30 enfants autistes et 40 enfants contrôles sains, des corrélations entre les performances en TDE (tâches de fausses croyances de 1er et 2nd ordre) et les variables exécutives (inhibition, planification et flexibilité mentale). Dans cette étude, une seule dissociation apparait (TDE déficitaire versus fonctions exécutives préservées) alors que la réciproque (TDE préservée versus fonctions exécutives déficitaires) n’est pas observée. Ces résultats apportent un crédit à l’hypothèse que les fonctions exécutives sont un facteur important dans la compréhension de la TDE car en cas d’atteinte, la TDE n’est pas correctement appréhendée. Par ailleurs, l’absence de double dissociations n’étaye pas l’hypothèse modulaire.

- La deuxième conception ne dissocie pas réellement les systèmes et suppose que la mise en œuvre d’états mentaux et les performances lors de tâches de théorie de l’esprit pourraient résulter du fonctionnement exécutif (Frye et al., 1995, 1996; Leslie et al., 2004, 2005). Les auteurs considèrent que la TDE repose à un certain niveau sur la base d’une déduction logique et que beaucoup de tâches censées mettre en œuvre les fonctions exécutives nécessitent la même logique.

Actuellement, la plupart des théories sur le raisonnement social des enfants postulent une contribution de composantes modulaires et non modulaires dans les performances en TDE.

L’une insiste sur le rôle des fonctions exécutives dans la construction initiale d’une compréhension conceptuelle (système métareprésentationnel), mais une fois formé et opérationnel, ce système TDE ne requiert plus les niveaux exécutifs (Moses, 2001). Cette position postule que chez l’adulte ces constructions (métareprésentations) sont stables et résistent au déclin cognitif associé au vieillissement. De ce point de vue, les constructions peuvent être considérées comme modulaires car s’activant automatiquement et étant résistantes face aux demandes cognitives générales.

L’autre position (davantage soutenue par Leslie et al., 2004; McKinnon et Moscovitch, 2007) insiste sur la contribution perpétuelle des fonctions exécutives dans la TDE. Au départ, chez le jeune enfant, le niveau de TDE reste archaïque et ne va évoluer que lorsque les niveaux exécutifs vont se développer, permettant alors la compréhension de situations sociales complexes de plus en plus élaborées (1er ordre puis 2nd ordre). De ce point de vue, un déclin exécutif occasionné par l’âge ou par des lésions cérébrales contribuera à une réduction des performances en tâches de TDE (McKinnon et Moscovitch, 2007)

D’autres hypothèses concernant la conception de la TDE et ses relations par rapport au fonctionnement exécutif sont évoquées dans la littérature. Au lieu d’être spécialisés, chacun des circuits pourrait mettre en jeu un domaine général nécessaire quand différents processus de TDE sont engagés, qui ne seraient cependant pas spécifiques au domaine socio-cognitif. Par exemple, le cortex orbito-frontal (COF) peut être utile pour le décodage d’états mentaux, mais aussi pour celui de stimuli relevant d’autres domaines non spécifiques au contexte social. De même, la contribution du cortex frontal médian gauche pourrait refléter une contribution cognitive générale fortement utile quand des sujets effectuent un raisonnement de type TDE. Par exemple, raisonner sur des états mentaux peut reposer sur les régions préfrontales gauches car ce niveau serait lié au fonctionnement exécutif et au contrôle inhibiteur. De nombreux travaux ont montré que les fonctions exécutives (dont la mémoire de travail, Smith et Jonides, 1998; le contrôle des erreurs, Gehring et Knight, 2000; et l'inhibition, Diamond, 1998) reposent sur les régions préfrontales. De plus, pour certains auteurs, ces niveaux exécutifs sont nécessaires pour le développement de notre système de raisonnement sur des états mentaux (Carlson et Moses, 2001; Russel, 1996). Toutefois, des travaux ont montré que les aspects exécutifs qui semblent liés à la TDE chez l’enfant seraient davantage associés aux régions dorsolatérales préfrontales et non au cortex frontal médian.

Les hypothèses sont donc aujourd’hui multiples. Les tâches utilisées ne sont pas pures et il est probable qu’elles mettent bien souvent en jeu les deux composantes. Par ailleurs, il est possible que les régions cérébrales sur lesquelles reposent la théorie de l’esprit et les fonctions exécutives soient anatomiquement proches. Une autre conception de la TDE tout à fait récente peut contribuer à enrichir ce débat. Il s'agit d'une position supposant l'existence de différents niveaux de TDE.