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INTRODUCTION À LA PROBLÉMATIQUE DU PATIENT TRAUMATISÉ CRÂNIEN GRAVE (TCG)

THÉORIE DE L’ESPRIT ET TRAUMATISME CRÂNIEN GRAVE

WHAT ABOUT THEORY OF MIND AFTER SEVERE BRAIN INJURY ?

1. INTRODUCTION À LA PROBLÉMATIQUE DU PATIENT TRAUMATISÉ CRÂNIEN GRAVE (TCG)

1.1. Répercussions neuropsychologiques d'un traumatisme crânien grave

1.1.1.Introduction

La survenue d’un traumatisme crânien grave (TCG) a malheureusement souvent un retentissement significatif sur l’adaptation sociale du sujet cérébrolésé (Tate et al., 1989; Prigatano et Altman, 1991; Prigatano, 1992; Levin, 1995; Ponsford et al., 1995; Kendall et Terry, 1996; Koskinen 1998). De nombreux travaux consacrés aux patients traumatisés crâniens relatent l’apparition fréquente ainsi que la persistance de difficultés cognitives et comportementales au sein de cette population. Prigatano déjà en 1992 insiste sur cette tendance qu’ont les patients TC à sous- estimer leurs problèmes sociaux et émotionnels, ce qui, comme le soulignent Mazaux et al. (1997), les conduit à rencontrer de grandes difficultés de réinsertion sociale, familiale et professionnelle.

1.1.2. Traumatisme crânien grave et syndrome dysexécutif

Ce type de traumatisme est le plus souvent à l’origine de lésions cérébrales frontales et temporales (Levin et al., 1987) associées à des atteintes axonales diffuses (Fontaine et al., 1995). En lien avec ces zones lésées, la plupart des séquelles observées chez le patient TCG renvoie à un dysfonctionnement exécutif (Mattson et Levin, 1990; Vilki et al., 1994; Tate, 1999). Ainsi, comme le rappellent Van der Linden et al. (2000), les déficits affectant les fonctions exécutives sont généralement évoqués pour rendre compte de la plupart des troubles cognitifs observés dans cette pathologie.

Il s’agit fréquemment d’une altération de la planification (Mazaux et al., 1997), de la flexibilité (Vilki et al., 1994) et de l’inhibition (Dornan et Schentag, 1995).

Par ailleurs, Vilki et al. (1994), comme Tate (1999), ont montré que les tests cognitifs rendant le mieux compte du devenir psychosocial après TCG sont ceux dévolus à l’évaluation du fonctionnement exécutif.

Ces observations ont eu un impact direct sur l’évaluation et la prise en charge des patients, les bilans ayant été davantage orientés vers l’appréciation des habiletés cognitives et notamment des fonctions exécutives.

Par conséquent, l’objectivation des perturbations comportementales reste souvent au second plan de l’évaluation bien que ces difficultés soient, d’après les proches, plus invalidantes que les atteintes physiques et cognitives (Henry et al., 2006).

1.1.3. Traumatisme crânien grave et perturbations socio-comportementales

Les déficits affectant la sphère comportementale sont souvent rapportés après un TCG. Truelle et al. (1995) les ont articulés autour de 4 grands pôles :

- un pôle agressivité (colère, perte du contrôle émotionnel), - un pôle désinhibition (agitation, bavardage),

- un pôle apragmatisme (défaut d’initiative, repli émotionel) - un pôle trouble de l’affectivité (dépression, anxiété).

De manière plus précise, Martin et McDonald (2003), dans une revue de littérature sur les troubles de la pragmatique rappellent que ces perturbations concernent différentes populations cliniques dont les plus étudiées sont les patients porteurs de lésions hémisphériques droites, les patients autistes, ainsi que les patients traumatisés crâniens. Ce travail souligne qu’en dépit d’une

préservation des aspects structuraux du langage chez ces patients, c’est davantage la capacité à utiliser le langage en situation sociale qui fait défaut. Le TCG est un désordre hétérogène fréquemment caractérisé par des lésions au niveau des lobes frontaux et de leurs connexions. Les difficultés de communication rencontrées au sein de cette population peuvent être de différents niveaux : les patients peuvent être très bavards, manifestant des difficultés dans l'organisation du discours et produisant des commentaires douteux, passant du coq à l'âne. A l'inverse, d'autres patients présentent un discours très pauvre en quantité et en qualité reposant sur des formats de réponse limités. D'autres patients peuvent présenter un discours confus, imprécis et confabulatoire. Les patients TCG avec atteinte frontale prédominante présentent des perturbations de la pragmatique du langage. Ils ont notamment des difficultés à comprendre au-delà du sens littéral, ce qui rend difficile la compréhension du sarcasme (McDonald, 1992; McDonald et Pearce, 1996), de l'humour (Docking et al., 1999, 2000). Ces perturbations fréquentes peuvent s'expliquer en partie par une difficulté à prendre en considération le point de vue ou l'état de connaissance de l'interlocuteur. En situation conversationnelle, les patients TCG s'intéressent peu au comportement de l'interlocuteur, ils manifestent peu d'intérêt pour les autres personnes (égocentrisme) et ont des difficultés à prendre en compte les remarques des autres (Flanagan et al., 1995).

C’est pourquoi il apparaît nécessaire d’élargir l’évaluation et la prise en charge des patients en identifiant, en plus des variables strictement cognitives, d’autres facteurs susceptibles d’être à l’origine des perturbations socio-comportementales. Comme le rappelaient Allain et al. (2001), pour surmonter ces problèmes de sensibilité des tests cognitifs et combler le décalage souvent relevé entre le comportement des patients dysexécutifs en laboratoire et dans leur vie quotidienne, Shallice et Burgess (1991a) puis Bechara et al. (1994) ont avancé l’idée de développer des épreuves frontales à visée écologique.

Dans les années 90, les travaux de Damasio (1995) ont proposé une approche nouvelle visant à mettre en évidence les mécanismes à l’origine de l’inadéquation du comportement social. Ils ont ainsi considéré qu’un trouble du comportement pouvait être lié à une atteinte du traitement des informations du registre émotionnel ou social, ce qui pouvait expliquer que les tests neuropsychologiques usuels soient préservés chez ces patients. A partir de ce postulat, l’équipe de Damasio a développé l’idée d’un déficit des marqueurs somatiques. Ils ont fait l’hypothèse que les patients porteurs de lésions ventro-médiales souffrent d’une perturbation de l’utilisation des marqueurs somatiques, ce qui les conduit à privilégier les perspectives immédiates et à négliger les conséquences ultérieures de leur choix (Godefroy et al., 2004).

Dans cette étude, nous proposons une approche qui se veut, d’une certaine manière, complémentaire de celle proposée par Damasio en nous appuyant plus particulièrement sur la théorie de l’esprit, théorie qui s’avère tout à fait intéressante lorsque l’on étudie les troubles du comportement social.

1.2. Traumatisme crânien grave et Théorie de l'esprit

Certains troubles comportementaux seraient liés à une atteinte de la représentation des états mentaux d’autrui comme ses intentions ou ses convictions. Cette aptitude appelée « Théorie de l’esprit » (TDE), ou encore théorie de l’inférence sociale, ou théorie de l’intentionnalité, est une position théorique visant à expliquer les déficits socio-cognitifs. Elle a été plus particulièrement étudiée dans l’autisme. Toutefois, les troubles du comportement ne sont pas l’apanage de la psychopathologie, de nombreux travaux réalisés en neuropsychologie se sont intéressés à la théorie de l’esprit.

Des études effectuées auprès de patients neurologiques ont permis de mettre en évidence l’implication des régions frontales, dans l’interprétation et la compréhension des situations sociales, les patients porteurs de lésions frontales et notamment orbitaires étant en difficultés en tâches de TDE (Channon et Crawford, 2000; Happé et al., 1999; 2001; Stuss et al., 2001). Ces résultats viennent globalement corroborer les différentes études d’imagerie fonctionnelle.

Cependant, et comme pour le traitement des émotions complexes, ces aspects n’ont pas ou peu été investigués auprès d’une population ayant subi un TC alors que McDonald et Pearce (1996, 1999), par exemple, ont montré que les patients TC étaient en difficulté lors de tâches mettant en œuvre les compétences pragmatiques.

Dans le même ordre d’idée, Milders et al. (2003) se sont intéressés au comportement émotionnel et social après un TC sévère et ont montré une corrélation significative entre un score en TDE (tâche de faux pas) et les troubles du comportement des patients, évalués par les proches à partir d’échelles comportementales (Social Integration Questionnaire ; Neuropsychology behaviour and affect profile).

Plus récemment, McDonald et Flanagan (2004) ont montré, chez des patients ayant subi un TCG, un lien entre les performances dans une tâche induisant l'inférence d'un état mental à partir de vidéos et les perturbations concernant leur comportement social spontané (et notamment dans le cas de l'utilisation de l'humour). De même, Bibby et McDonald (2005) ont posé la question d’un déficit

spécifique en tâches requérant la TDE chez des patients ayant subi un TC grave. Ces auteurs ont montré que le groupe expérimental manifestait des difficultés significatives en tâches de TDE par rapport au groupe contrôle ainsi qu’en tâches nécessitant la production d’inférences générales (non liées à un état mental). Dans ce travail, les différentes analyses réalisées a posteriori montrent que les résultats ne peuvent s’expliquer complètement par un déficit en mémoire de travail (MDT) ou par l’implication de ressources implicites nécessaires dans ce type de tâches. Les analyses de régressions multiples vont dans le sens d’un déficit général des capacités inférentielles chez les patients TC graves, combinées à des limitations linguistiques et de MDT.

1. 3. Traumatisme crânien grave et traitement des émotions

Quelques rares travaux ont rapporté des difficultés dans la reconnaissance des émotions (particulièrement les émotions négatives) à partir d’expressions faciales et/ou du ton de voix (Hopkins et al., 2002; Milders et al., 2003). De telles difficultés ont aussi été rapportées chez des individus atteints de lésions frontales ventrales (Hornack et al., 1996) ainsi que chez des patients ayant une atteinte de l’amygdale (Broks et al., 1998) en ce qui concerne notamment le traitement des émotions sociales complexes (Adolphs et al., 1995, 2002).

Bien que les régions frontales et amygdaliennes soient vulnérables lors d’un TCG, peu d’études ont examiné la reconnaissance d’émotions complexes et leur lien avec la reconnaissance d’émotions de base chez les patients TCG. Très récemment, Henry et al. (2006) se sont intéressés aux liens qu’entretiennent la TDE, les fonctions exécutives (FE) et la reconnaissance d’émotions de base dans le contexte d’un TCG. Les auteurs ont comparé un groupe de 16 patients TCG à un groupe de 17 sujets contrôles sur différentes tâches: des mesures exécutives, une tâche de reconnaissance d’émotions de base (Ekman et Friesen, 1976), une tâche de TDE (Baron-Cohen et al., 2001). Pour ces auteurs, le travail de Milders et al. (2003) ne considérait pas suffisamment l’impact de la reconnaissance d’émotions de base sur les performances en TDE. Ainsi, Henry et al. (2006) ont cherché à analyser l’impact de cette variable sur le niveau en TDE des patients TCG. Ils ont aussi analysé les liens potentiels pouvant exister entre le niveau exécutif et les performances en TDE. Les résultats de ce travail montrent que les patients TCG ont des performances significativement réduites par rapport aux sujets de contrôle sur la tâche de reconnaissance d’émotions de base et sur la tâche d’attribution d’état mental à autrui. Par ailleurs, ils observent une forte corrélation de ces deux mesures chez les sujets contrôles qu’ils ne retrouvent pas chez les patients TCG. Par contre, ce travail objective une association entre un déficit exécutif (évalué à partir d’une tâche de fluence verbale littérale) et les scores en TDE. Cependant, cela ne permet pas

de conclure si le déficit exécutif a pu conduire à de faibles performances en TDE ou bien si ces deux niveaux dépendent de systèmes neuro-anatomiques proches. Des difficultés dans la capacité à pouvoir évaluer de manière générale une information sociale semblent aussi particulièrement présentes après un TCG.

Toutefois, un travail récent de Bach et al. (2006) ne retrouve pas de déficit en TDE chez les patients TCG. Les auteurs ont comparé deux groupes de patients TCG. L’un des groupes présentait des perturbations comportementales évaluées à partir du NRS (Neurobehavioural Rating Scale) tandis que l’autre n’en manifestait pas. L’étude compare ces deux groupes sur des tâches de TDE (verbales et non verbales), des tests psychométriques standard et des mesures du fonctionnement exécutif. Les deux groupes ne se distinguent pas sur ces différents tests. En effet, ils ne présentent pas de difficultés particulières en tâches de TDE, ni même en tests exécutifs sauf pour certains items de la BADS (Behavioral Assessment of Dysexecutive Syndrome). A partir de ces résultats, les auteurs concluent que les capacités en TDE ne semblent pas prédictibles des perturbations comportementales et semblent indépendantes du fonctionnement exécutif.